Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 12 février 2019 et le
29 juillet 2020, la société civile d'exploitation agricole Los Poujols, représentée par
Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 décembre 2018 ;
2°) de condamner le département des Pyrénées-Orientales à lui verser la somme de 356 336 euros en réparation de son préjudice matériel et la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral en réparation des préjudices subis résultant de l'inondation de son exploitation de production de tomates ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise visant à déterminer l'étendue de son préjudice ;
4°) de condamner le département des Pyrénées-Orientales aux dépens de l'instance ;
5°) de mettre à la charge du département de Pyrénées-Orientales une somme de
15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le sinistre du 21 novembre 2011 dont elle a été victime est imputable à la passerelle flottante de la piste cyclable qui s'est encastrée contre le pont ferroviaire, et a constitué un obstacle à l'écoulement normal des eaux ;
- les conséquences dommageables de cet événement ont été aggravées par l'ouvrage public par rapport à ce qu'elles auraient été en son absence ;
- le rapport d'expertise de M. E... et de M. F... est entaché d'inexactitudes et contredit par les autres expertises produites au dossier ;
- sa parcelle n'est pas concernée par le plan de prévention des risques naturels prévisibles alors que les précipitations de novembre 2014 identiques à celles du
21 novembre 2011 n'ont pas provoqué d'inondations de sa parcelle.
Par quatre mémoire en défense enregistrés les 2 mars, 8 juin, 31 août et 4 septembre 2020, le département des Pyrénées-Orientales, représenté par Me B..., conclut principalement à l'irrecevabilité de la requête et subsidiairement au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SCEA Los Poujols au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la société requérante n'apporte pas la démonstration de sa qualité à agir au présent litige ;
- les violentes précipitations qui ont provoqué la crue de " la Riberette " présentent un cas de force majeure qui l'exonère de toute responsabilité ;
- les moyens soulevés par la SCEA Los Poujols ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 7 septembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au
30 septembre 2020 à 12 heures.
Un mémoire présenté le 30 septembre 2020 pour la SCEA Los Poujols n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la société civile d'exploitation agricole Los Poujols, et de Me D..., substituant Me B..., représentant le département des Pyrénées-Orientales.
Une note en délibéré présentée pour la société civile d'exploitation agricole Los Poujols a été enregistrée le 18 novembre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. La société civile d'exploitation agricole (SCEA) Los Poujols a été victime le
21 novembre 2011 d'une inondation de ses installations de production de tomates grappes sous serre, en culture hors sol, situées sur la commune de Palau-del-Vidre alors que des pluies violentes s'abattaient sur le massif des Albères. La SCEA Los Poujols relève appel du jugement n° 1601269 du 13 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation du département des Pyrénées-Orientales à lui verser la somme de 356 336 euros en réparation de son préjudice matériel et la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Les personnes mises en cause doivent alors, pour dégager leur responsabilité, établir que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse utilement être invoqué le fait du tiers.
3. La SCEA Los Poujols se livre à une activité agricole sur la parcelle cadastrée section AD n° 02 lieu-dit " Los Poujols " qu'elle tient par bail à ferme. A la suite des pluies du
21 novembre 2011, la rivière " la Riberette " appelée autrement rivière Saint-André qui s'écoule à proximité, a débordé. Ses eaux ont inondé la zone d'exploitation de la société requérante à une hauteur de 130 centimètres, causant d'importants dommages aux serres et aux divers matériels se trouvant sur place. La société requérante met en cause la passerelle de la piste cyclable arrachée en amont de sa base par les flots, qui est venue s'encastrer en aval longitudinalement contre le pont de la voie ferrée, en soutenant que l'existence de cet ouvrage a fait obstacle au libre écoulement des eaux.
4. En premier lieu, la société requérante ne conteste pas les différents facteurs et conditions de la crue en cause, relevés par l'expert judiciaire qui a repris les conclusions de son sapiteur ingénieur hydrologue, à savoir la saturation des terrains gorgés d'eau, et un épisode pluviométrique d'une intensité exceptionnelle, localement estimée à plus de 200 mm en 24h, avec des précipitations sur 3h de 150 mm de 9 h à 12h et de 190 mm sur 4,5 h de 9 h à 13 h 30, ayant une occurrence supérieure à 50 ans. En outre, la parcelle sur laquelle la société requérante exerce son exploitation est couverte par le plan de prévention des risques naturels prévisibles d'inondation de la commune de Palau-del-Vidre. Le rapport de présentation de ce plan, produit par la société requérante indique notamment que " la rivière Saint-André longe la limite sud-est du territoire et traverse la voie de chemin de fer à environ 1,3 km du village. Son caractère torrentiel est lié aux caractéristiques du bassin versant de la rivière de Sorède : bassin versant de 26,5 km² ; débit centennal estimé à 270m3/s ". Par ailleurs, il ressort très clairement du rapport de présentation du plan de prévention des risques naturels prévisibles, notamment d'inondation, de la commune de Saint-André dont la limite de territoire avec Palau-del-Vidre se situe au milieu de la " Riberette ", élaboré en 2005, qu'en 1989, cette rivière a débordé submergeant un camping à la suite d'une accumulation de matériaux sous la voie ferrée. Il y est aussi indiqué que la voie ferrée constitue un obstacle aux écoulements et que " dès que l'eau atteint une côte suffisante, les déversements deviennent importants en direction de Palau del Vidre ". En outre, il résulte de l'instruction que lorsque cette rivière déborde de son lit mineur pour rejoindre son lit majeur, ce dernier correspond à la zone d'extension de l'inondation, avec une hauteur d'eau pouvant atteindre 1,50 mètres. Ainsi, un risque d'inondation résultant d'une crue torrentielle existe sur le terrain de la SCEA Los Poujols qui jouxte la rivière " la Riberette ", risque encore accentué par la configuration de cette parcelle qui est située dans une dépression topographique, et alors qu'ainsi qu'il a été dit, le remblai de la voie ferrée, d'une hauteur de 6 m, constitue un obstacle aux écoulements qui se traduit par un accroissement marqué des hauteurs d'eau et un élargissement sensible du champ d'inondation sur le territoire de la commune de Palau-del-Vidre, la possibilité d'embâcles dans le lit de la rivière au niveau de la voie ferrée n'étant pas exclue. Si la SCEA Los Poujols met en cause les termes de l'expert missionné par le tribunal selon lesquels " depuis 1930 (...) on dénombre plus de dix crues remarquables de la Riberette ayant provoqué des désordres de type inondation " alors que le rapport de présentation du PPRI de Palau del Vidre indique que la zone a été inondée à neuf reprises depuis 1891, ce site a été, ainsi qu'il vient d'être dit, au moins sévèrement inondé en 1989. Par ailleurs, si la société requérante fait valoir que ce plan de prévention relève que la rivière " la Riberette " ne concerne que très peu la commune de Palau-del-Vibre de par son exposition à la limite de celle-ci, ce constat ne signifie pas que ce cours d'eau n'ait pas d'incidence sur le territoire de cette commune, alors qu'elle a été l'objet d'inondations à trois reprises en 1986, 1898 et 1999.
5. En deuxième lieu, la société requérante critique le rapport d'expertise ordonné par le tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il serait entaché d'inexactitudes et d'approximations telles que ses conclusions exonérant la responsabilité de la passerelle dans le sinistre qu'elle a subi ne sauraient être retenues, et qu'à tout le moins, une nouvelle mesure d'expertise doit être ordonnée avant dire droit. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, la zone en cause est naturellement inondable et il résulte de l'instruction que la passerelle n'a pu se détacher qu'alors que la côte de l'eau à son niveau était de 5 mètres. Par ailleurs, il n'est pas sérieusement contesté que la rivière est débordante avec un débit de 131m3/s alors que le débit de pointe a atteint ce jour- là 320 m3/s à hauteur du pont. La société ne remet pas sérieusement en cause la présence d'embâcles végétaux devant le pont de la voie ferrée, alors que la passerelle dite " fusible " parce que équipée de flotteurs pour lui permettre en cas de crue de se placer dans le sens du courant était située au niveau de la côte supérieure des eaux, ainsi que le fait qu'en aval du pont, de l'autre côté, l'inondation a été tout aussi importante. Si la société requérante fait valoir que des épisodes pluvieux identiques à celui du 21 novembre 2011 ont été observés en 2012 et en 2020 sur le site sans que celui-ci soit inondé, la modélisation hydraulique qu'elle produit ne se prononce pas sur l'état d'entretien des berges situées en amont relativement à la présence massive de roseaux, susceptible ou pas de créer des embâcles sous les piles du pont de la voie ferrée.
6. Enfin, si la société conteste le rapport de l'expert judiciaire, en s'appuyant sur deux rapports qu'elle a elle-même diligentés, ainsi que l'on dit les premiers juges, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire, le premier de ces rapports ne démontre pas de façon convaincante un lien de causalité entre la passerelle en cause et l'inondation et le deuxième rapport renvoie à des études de modélisation. Dans ces conditions, eu égard à la hauteur d'eau non contestée atteinte sur cette parcelle au moment du sinistre, soit 1,30 mètre, le département des Pyrénées-Orientales est fondé à soutenir que les dommages dont se plaint l'intéressée seraient survenus avec ou sans la présence de la passerelle mise en cause, que sa responsabilité, en l'absence de lien de causalité établi, n'est pas engagée et que les préjudices subis par la SCEA Los Poujols ne lui ouvrent pas droit à réparation.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir du département des Pyrénées-Orientales tirée de l'absence d'intérêt à agir de la société requérante, que la SCEA Los Poujols n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur les dépens :
8. Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier du 27 juillet 2015 et ramenés à la somme de 5 490,22 euros par jugement du tribunal administratif de Nîmes, doivent être laissés à la charge définitive de la SCEA Los Poujols.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département des Pyrénées-Orientales qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SCEA Los Poujols demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCEA Los Poujols une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par le département des Pyrénées-Orientales et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société civile d'exploitation agricole Los Poujols est rejetée.
Article 2 : La société civile d'exploitation agricole Los Poujols versera une somme de
2 000 euros au département des Pyrénées-Orientales au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile d'exploitation agricole Los Poujols et au département des Pyrénées-Orientales.
Copie en sera adressée à M. E..., expert.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2020, où siégeaient :
M. Badie, président,
M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2020.
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N° 19MA00642