Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 2 janvier 2015 sous le n° 15MA00001, MmeA..., représentée par MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Hérault du 3 juillet 2014 ainsi que la décision du 3 octobre 2014 rejetant le recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer un titre de séjour portant la mention vie privée et familiale ou salarié, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, subsidiairement, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de condamner l'Etat à verser la somme de 2 000 euros à Me B...au titre de la combinaison des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A...soutient que :
- l'ordonnance attaquée est irrégulière, sa requête n'entrant pas dans les dispositions de l'article R. 222-1 7° du code de justice administrative ;
- l'arrêté du préfet de l'Hérault est entaché d'un vice de compétence ;
- les décisions attaquées méconnaissent l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les dispositions attaquées sont entachées d'une erreur de droit sur l'application de l'accord franco-tunisien de 1988 ;
- les dispositions attaquées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation sur l'application de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2016, le préfet de l'Hérault conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevées par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
- la décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Marseille n° 13055/004/2014/023042 du 2 décembre 2014 accordant l'aide juridictionnelle totale à MmeA....
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renouf,
- et les observations de MeD..., substituant MeB..., représentant Mme A....
1. Considérant que MmeA..., ressortissante tunisienne, a sollicité le 11 juin 2014 auprès des services de la préfecture de l'Hérault la délivrance d'un titre de séjour vie privée et familiale ou salarié ; que, par un arrêté du 3 juillet 2014, le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer ce titre et lui a ordonné de quitter le territoire français dans le délai de trente jours ; que Mme A...a alors exercé un recours gracieux contre cette décision, le 3 septembre 2014, ainsi qu'un recours en annulation, le 18 septembre 2014, contre l'arrêté devant le tribunal administratif de Montpellier qui l'a rejeté par une ordonnance du 20 octobre 2014 ; que Mme A... fait appel de cette ordonnance ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent, par ordonnance : (....) 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ; (...) " ; qu'aux termes de l'article 50 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 : " " Sans préjudice des sanctions pénales éventuellement encourues, le bénéfice de l'aide juridictionnelle est retiré, même après l'instance ou l'accomplissement des actes pour lesquels il a été accordé, si ce bénéfice a été obtenu à la suite de déclarations ou au vu de pièces inexactes. // Il est retiré, en tout ou partie, dans les cas suivants : // (...) 3° Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive " ; qu'aux termes de l'article 51 de ladite loi : " " (...) Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive, la juridiction saisie prononce le retrait total de l'aide juridictionnelle " ;
3. Considérant que la question du maintien de l'aide juridictionnelle accordée au requérant dans l'instance de premier ressort, procède d'une appréciation du juge qui ne peut être portée par une ordonnance prise en application de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ; que, par suite, en tant qu'elle décide le retrait du bénéfice de l'aide juridictionnelle qui avait été accordée à Me B...par décision du 10 octobre 2012 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Montpellier, l'ordonnance attaquée a été prise par une formation de jugement irrégulièrement composée ; que, par suite, l'ordonnance attaquée doit, être annulée ;
4. Considérant qu'il y a lieu pour la Cour d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif de Montpellier ;
Sur l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour :
5. Considérant que la décision contestée a été signée par M. Olivier Jacob, secrétaire général de la préfecture de l'Hérault, lequel avait reçu, par arrêté n° 2013-I-1532 du 1er août 2013, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département n° 64 du mois d'août 2013, accessible tant au juge qu'aux parties, délégation du préfet de l'Hérault à fin de signer " tous actes, arrêtés, décisions et circulaires relevant des attributions de l'Etat dans le département de l'Hérault (...) " ; que les décisions relatives aux attributions de l'Etat dans le département comprennent, sauf s'il en est disposé autrement par l'arrêté portant délégation de signature, les décisions préfectorales en matière de police des étrangers ; que, par ailleurs, la circonstance que les dispositions du décret du 29 décembre 1962 relatives à la réquisition des comptables publics ont été abrogées par le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique demeure sans incidence sur la régularité de la délégation accordée dès lors que la matière concernée, si elle est désormais régie par ce dernier décret, reste exclue de la délégation en litige ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté ;
6. Considérant enfin qu'aux termes de l'article L. 313-11 de ce même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas à l'état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels ou familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) " ; qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. " ;
7. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que Mme A...a vécu en France de 1969 à 1979, soit de l'âge de 6 à 16 ans, période pendant laquelle elle a suivi la scolarité obligatoire en primaire et collège ; qu'elle produit également l'acte de naissance de sa fille Inès née en France en 1989, puis un récépissé de demande de titre de séjour établissant sa présence en 1998 ; qu'elle est entrée pour la dernière fois en France en 2011 pour fuir des violences conjugales, établies par des attestations circonstanciées de sa fille Inès, de son fils aîné, d'un de ses frères, par des attestations d'un suivi médical par des psychiatres et par un groupe de soutien aux victimes de violences conjugales, avec sa fille Mariem mineure à l'époque ; que cette dernière a poursuivi sa scolarité en France, d'abord au collège puis au lycée en filière professionnelle ; que si celle-ci est devenue majeure en 2014 elle reste à la charge de sa mère ; que Mme A...a également en France son fils aîné qui bénéfice d'un titre de séjour et ses deux frères de nationalité française ; que ses parents sont décédés en France ; qu'il ne lui reste plus dans son pays d'origine qu'une de ses filles mariée, et son mari qui a obtenu le prononcé du divorce par un jugement du tribunal de première instance de Sousse 2 du 29 décembre 2014 ; qu'eu égard à l'ensemble de ces circonstances, Mme A...est fondée à soutenir que la décision du préfet de l'Hérault a des conséquences sur sa vie privée et familiale disproportionnées aux buts pour lesquels elle a été prise et qu'elle méconnaît dès lors l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; qu'ainsi il y a lieu, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés, d'annuler la décision attaquée ainsi que, par voie de conséquence, la décision portant obligation de quitter le territoire et la décision de rejet du recours gracieux du 3 octobre 2014 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Considérant que l'exécution du présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Hérault délivre à Mme A...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que Mme A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ; que, par suite, son avocat peut, comme il le fait dans ses dernières écritures, se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B..., l'avocat de MmeA..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de celui-ci le versement, à cet avocat, de la somme de 2 000 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du tribunal administratif de Montpellier du 20 octobre 2014 est annulée.
Article 2 : Les décisions du préfet de l'Hérault du 3 juillet 2014 portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire et celle du 3 août 2014 rejetant le recours gracieux de Mme A... sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à Mme A...une carte de séjour portant la mention vie privée et familiale dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me B...la somme de 2 000 (deux mille) euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A..., au ministre de l'intérieur et à
MeB....
Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 23 février 2016, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Renouf, président assesseur,
- Mme Pena, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 mars 2016.
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