Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 mai 2014, 22 septembre 2014 et
5 novembre 2015, sous le n° 14MA02238, M. E..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
A titre principal :
1°) d'annuler le jugement du 27 mars 2014 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler les décisions implicites de rejet nées les 16 et 19 juin 2011 du silence gardé par La Poste et l'État sur ses demandes indemnitaires ;
3°) de condamner solidairement La Poste et l'Etat à lui verser la somme de 88 000 euros en réparation des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de ses demandes préalables et des intérêts capitalisés ;
A titre subsidiaire :
1°) de réformer le jugement en tant qu'il a refusé d'indemniser le préjudice de carrière subi et a limité l'indemnisation de son préjudice moral à 2 000 euros ;
2°) de condamner solidairement La Poste et l'État à lui verser la somme de 88 000 euros en réparation des préjudices subis, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de ses demandes préalables et des intérêts capitalisés ;
En tout état de cause, de condamner solidairement La Poste et l'État à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, augmentée des entiers dépens.
Il soutient que :
- le jugement méconnaît les dispositions des articles R. 711-3 et L. 5 du code de justice administrative ;
- La Poste, en s'abstenant de mettre en place des voies de promotion pour ses agents fonctionnaires, et l'État, en s'abstenant de prendre des mesures réglementaires permettant aux agents reclassés de bénéficier de voies de promotion interne, ont commis des fautes de nature à engager leur responsabilité ;
- il a perdu une chance sérieuse d'être promu et c'est donc à tort que le tribunal a refusé de réparer le préjudice de carrière dont il faisait état ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en se fondant sur des éléments de fait postérieurs au déblocage des carrières des fonctionnaires de La Poste, en 2009, alors que la faute commise avait cessé à cette date ;
- l'appréciation faite par le tribunal de sa manière de servir est erronée, comme en témoignent ses notations et appréciations ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en ne constatant pas qu'il remplissait les conditions pour accéder au grade de conducteur de travaux dès 1999 ;
- cette situation a entraîné une minoration de ses droits à pension ;
- son préjudice moral a été insuffisamment réparé par l'allocation d'une somme de 2 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 juillet 2014, le ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique, représenté par la SCP Saidji et Moreau, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 septembre 2015, La Poste, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. E... à lui verser la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 août 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 30 septembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret n° 90-1235 du 31 décembre 1990 ;
- le décret n° 92-930 du 7 septembre 1992 ;
- le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Schaegis,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., substituant Me D..., représentant M. E... et de Me C..., substituant Me F..., représentant La Poste.
1. Considérant que M. E..., entré à La Poste en 1976 au grade de préposé (PRE), a été promu agent d'exploitation le 31 décembre 2010, puis conducteur de travaux (CT) le 31 décembre 2012 et a fait valoir ses droits à retraite le 30 décembre 2013 ; qu'il recherche la condamnation solidaire de son ancien employeur, La Poste, et de l'État, à réparer les préjudices qu'il estime avoir subis dans le déroulement de sa carrière en l'absence, jusqu'à l'intervention du décret susvisé n° 2009-1555 du 14 décembre 2009, de toute possibilité de promotion le concernant du fait de son choix de rester dans un corps dit de "reclassement" ; que, par un jugement n° 1102601 du 27 mars 2014, le tribunal administratif de Marseille a retenu la faute de La Poste pour n'avoir pas mis en place des procédures de promotion interne applicable aux agents "reclassés" et la faute de l'État pour son retard dans l'adoption des dispositions réglementaires applicables ; que M. E... conclut, à titre principal à l'annulation de ce jugement, et à titre subsidiaire à sa réformation en ce qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice à la somme de 2 000 euros, et de porter à la somme de 88 000 euros le montant des condamnations prononcées ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne " ; qu'aux termes de l'article L. 5 du même code : " L'instruction des affaires est contradictoire " ;
3. Considérant, d'une part, que la communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions précitées de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré ; qu'en conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public ;
4. Considérant qu'il ressort de l'extrait de relevé Sagace, produit par M. E..., que le sens des conclusions du rapporteur public a été mis en ligne le 11 mars 2014, soit deux jours avant l'audience au cours de laquelle l'affaire a été appelée, et que ce dernier indiquait, comme le mentionne M. E... : " Condamnation solidaire de La Poste et de l'État à verser à M. E... une somme de 1 500 euros, tous intérêts compris au jour du jugement ; une somme de 800 euros sera mise à la charge solidaire de l'État et de La Poste en application des dispositions de l'article L 761-1 du CJA ; rejet des conclusions de La Poste tendant à l'application des mêmes dispositions et rejet du surplus des conclusions de la requête " ; que dans ces conditions, le rapporteur public a indiqué, dans un délai raisonnable avant l'audience, le sens de ses conclusions et l'ensemble des éléments du dispositif de la décision qu'il comptait proposer à la formation de jugement, comme il y était seulement tenu ; que, dès lors, M. E... n'est pas fondé à soutenir que le défaut de mention, dans le relevé Sagace, des chefs de préjudices pris en compte par le rapporteur public constituerait une méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;
5. Considérant, d'autre part, que le rapporteur public, qui a pour mission d'exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, prononce ses conclusions après la clôture de l'instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement ; que l'exercice de cette fonction n'est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l'instruction ; qu'il suit de là que, pas plus que la note du rapporteur ou le projet de décision, les conclusions du rapporteur public - qui peuvent d'ailleurs ne pas être écrites - n'ont à faire l'objet d'une communication préalable aux parties ; que celles-ci ont en revanche la possibilité, après leur prononcé lors de la séance publique, de présenter des observations, soit oralement à l'audience, soit au travers d'une note en délibéré ; qu'ainsi, les conclusions du rapporteur public permettent aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu'en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle-ci durant son élaboration tout en disposant de l'opportunité d'y réagir avant que la juridiction ait statué ;
6. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire (...)" qu'il résulte de ce qui vient d'être dit, et alors que l'exercice de la fonction de rapporteur public n'est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l'instruction, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que le contradictoire aurait été méconnu par le seul fait que ce magistrat se serait borné à indiquer le sens de ses conclusions et l'ensemble des éléments du dispositif de la décision qu'il comptait proposer à la formation de jugement ; qu'en outre, il ressort de ce jugement-même que l'avocat de M. E... était présent à l'audience du 13 mars 2014, qu'il a entendu les conclusions du rapporteur public et a pu présenter ses observations, et qu'il a ensuite déposé une note en délibéré le 17 mars 2014 ; qu'ainsi, M. E... ne démontre pas que le principe du contradictoire aurait été méconnu ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens mettant en cause la régularité du jugement doivent ainsi être écartés ;
Sur le bien-fondé du jugement :
8. Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de "reclassement" de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de "reclassification" créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de "reclassification", ne dispensait pas le président de La Poste de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de "reclassement" ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires "reclassés" comme aux fonctionnaires "reclassifiés" de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;
9. Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires "reclassés" ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de "reclassement", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires "reclassés" de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires "reclassés" au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a commis une illégalité et, ainsi, une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement ; que l'État a, de même, commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne prenant pas, avant le 14 décembre 2009, le décret organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de "reclassement" de cet établissement, sans que puisse être utilement opposé à M. E... son choix de ne pas demander l'intégration dans les corps dits de "reclassification" et à bénéficier des possibilités de promotion offertes par les statuts de ces corps ;
En ce qui concerne le préjudice de carrière :
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. E... a débuté sa carrière à La Poste (PTT) en 1976 au grade de préposé (PRE) ; qu'il a été nommé agent d'exploitation (AEX) le 31 décembre 2010, puis conducteur de travaux (CT) le 31 décembre 2012, avant de faire valoir ses droits à retraite le 30 décembre 2013 ; qu'il fait état d'un préjudice de carrière, constitué tant par le retard pris dans son avancement, que par la minoration de sa pension de retraite, par voie de conséquence ;
11. Considérant qu'aux termes de la note de service du 16 décembre 2009 invoquée par le requérant : " les préposés dont la candidature au grade de CDTX aura été retenue à l'issue de la commission administrative paritaire compétente, feront l'objet d'une intégration directe dans le grade d'AEXDA " ; qu'il ne ressort pas de ces dispositions, contrairement à ce qu'il soutient, que son grade de préposé (PRE) équivalait à celui d'agent d'exploitation (AEX) ; que, par suite, il n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait pu prétendre à une promotion au grade de conducteur de travaux dès 1999 ;
12. Considérant qu'en revanche, il ressort de l'instruction que M. E... a rempli les conditions statutaires afin de pouvoir être nommé au choix agent d'exploitation le 1er janvier 2001, date à laquelle il avait atteint l'indice brut 363, ainsi que l'a justement relevé le tribunal ; qu'il est constant qu'il a obtenu la note B, indiquant une parfaite adéquation au poste occupé, pour les années 1998, 1999, 2000, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2009, et la note E révélant une valeur professionnelle largement supérieure aux exigences du poste en 2001, 2002, 2007 et 2008 seulement ; que si les appréciations littérales accompagnant cette notation font état des qualités professionnelles de M. E..., elles ne peuvent révéler que la valeur de l'agent dans son poste, et non la probabilité d'une promotion au grade supérieur ; qu'au surplus, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, qui pouvaient valablement se fonder sur des éléments de faits postérieurs au déblocage des carrières, en 2009, pour apprécier ses chances de progression, alors même que sa candidature pour l'accès au corps des conducteurs de travaux a été jugée excellente en 2009, 2010 et 2011, il n'a été promu à ce grade que le 31 décembre 2012 ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a relevé que M. E... ne démontrait pas une perte de chances sérieuses d'être promu dans le corps des agents d'exploitation, puis des conducteurs de travaux ;
En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :
13. Considérant que le requérant conclut à la condamnation solidaire de l'État et de La Poste à lui verser une somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence ; que le tribunal administratif de Marseille a fait une juste appréciation de la mise à l'écart de M. E..., laquelle découle objectivement du blocage de fait des carrières des agents fonctionnaires de La Poste jusqu'au décret précité du 14 décembre 2009, en lui allouant une indemnité de 2 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de ses demandes préalables et des intérêts capitalisés ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif n'a fait droit que dans cette mesure, à sa demande indemnitaire ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
16. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État et La Poste, qui ne sont pas dans la présente instance parties perdantes, la somme demandée par M. E..., au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du requérant la somme demandée par La Poste, au même titre ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de La Poste présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., à La Poste et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2016, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- M. Renouf, président-assesseur,
- Mme Schaegis, première conseillère.
Lu en audience publique, le 29 novembre 2016.
N° 14MA02238 2