Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 22 décembre 2017, MmeA..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 mai 2017 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a limité la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 9 687,17 euros ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet par le ministre de la justice de sa demande indemnitaire préalable tendant à l'allocation d'une indemnité de 62 374,50 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'illégalité fautive de son éviction temporaire ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser cette indemnité de 62 374,50 euros assortie des intérêts capitalisés à compter de l'envoi de sa demande indemnitaire préalable ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué n'a pas été signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- elle n'a pas commis la moindre faute de nature à justifier un partage de responsabilité avec l'Etat ;
- en tout état de cause, ce partage de responsabilité fixé à 50 % est excessif ;
- le lien de causalité entre cette faute et les préjudices qu'elle a subis est direct et certain;
- son préjudice matériel, qui résulte de la différence entre les traitements qu'elle a perçus pendant son éviction et ceux qu'elle aurait dû percevoir en l'absence de cette exclusion, s'élève à 17 374,50 euros ;
- ses troubles dans les conditions d'existence seront indemnisés par l'allocation d'une somme de 20 000 euros ;
- le préjudice né de l'atteinte à sa réputation et à son honneur donnera lieu à l'allocation de la somme de 20 000 euros ;
- son préjudice moral du fait de son état dépressif sera réparé par la somme de 5 000 euros.
Par lettre du 11 octobre 2018, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et indiquant la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du code de justice administrative.
Une ordonnance du 29 janvier 2019 a prononcé la clôture de l'instruction à la date de son émission, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Un mémoire présenté pour la Garde des Sceaux, ministre de la justice a été enregistré le 25 mars 2019, postérieurement à la clôture d'instruction.
La présidente de la Cour a désigné Mme Simon en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de déontologie du service public pénitentiaire ;
- le code de procédure pénale ;
- le décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Carassic,
- et les conclusions de M. Roux, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. MmeA..., adjoint administratif principal, affectée en 2002 à la maison d'arrêt de Nîmes, a été, par décision du 7 janvier 2009 du ministre de la justice, exclue temporairement de ses fonctions pour une durée de deux ans. Cette décision du 7 janvier 2009 a été annulée par la Cour par arrêt n° 10MA02811 du 22 mai 2012. La requérante a démissionné de ses fonctions le 1er décembre 2010. Par lettre du 15 juillet 2015, elle a demandé au ministre de la justice, d'une part de régulariser sa situation auprès des organismes de retraite compétents pour la période du 1er février 2009 au 30 novembre 2010, d'autre part le versement d'une indemnité de 62 374,50 euros assortie des intérêts capitalisés au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité fautive de l'arrêté du 7 janvier 2009. Eu égard au silence gardé par le ministre sur sa demande, elle a demandé au tribunal administratif de Nîmes l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande et la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 62 374,50 euros au titre des préjudices subis du fait de l'illégalité de son éviction. Par le jugement attaqué, les premiers juges ont, par son article 1er, annulé cette décision implicite de rejet de sa demande, par ses articles 2 et 3, condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 9 687,17 euros assortie des intérêts capitalisés et par son article 5, rejeté le surplus de sa demande. Mme A...relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 9 687,17 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué comporte les signatures du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience an application de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait irrégulier pour ne pas comporter ces signatures manque en fait et doit être écarté.
Sur la responsabilité pour faute :
3. En principe, toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. La responsabilité de l'administration ne saurait être engagée pour la réparation des dommages qui ne trouvent pas leur cause dans cette illégalité mais découlent directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle la victime s'est elle-même placée.
4. Aux termes de l'article D. 221 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue du décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998 seule applicable au litige : " Les membres du personnel et les personnes remplissant une mission dans l'établissement pénitentiaire ne peuvent entretenir avec les personnes placées ou ayant été placées par décision de justice sous l'autorité ou le contrôle de l'établissement ou du service dont ils relèvent, ainsi qu'avec leurs parents ou amis, des relations qui ne sont pas justifiées par les nécessités de leurs fonctions. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme A...s'est vue infliger par la décision du 7 janvier 2009 la sanction litigieuse de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de 24 mois pour avoir méconnu les dispositions de l'article D. 221 du code de procédure pénale en entretenant, à compter du mois de juillet 2008, alors qu'elle était encore affectée au service de la comptabilité et de la régie de Nîmes, une relation amoureuse avec M. G. condamné à un an de prison pour escroquerie dans une affaire de négoce automobile, qui a séjourné dans cette maison d'arrêt jusqu'au 13 juin 2008 en bénéficiant d'un régime de semi-liberté à compter du 8 novembre 2007.
6. Saisie par MmeA..., la Cour dans son arrêt du 22 mai 2012, confirmé par décision n° 361281 du 2 juin 2014 du Conseil d'Etat, a estimé que les dispositions de l'article D. 221 du code de procédure pénale, en interdisant de manière générale et absolue à un agent d'un établissement pénitentiaire toute relation avec un détenu ayant purgé sa peine, ainsi qu'avec les parents et les amis de ce détenu, sans limitation de durée dans le temps, méconnaissaient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en portant au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises, ainsi que le soutenait Mme A...par la voie de l'exception d'illégalité et que la décision en litige du 7 janvier 2009 du garde des sceaux était ainsi entachée d'une erreur de droit. La cour a par suite annulé cet arrêté du Garde des sceaux.
7. L'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, le ministre faisait valoir en première instance que les préjudices invoqués par Mme A...ne trouvent pas leur cause dans l'illégalité de la décision du 7 janvier 2009 mais découlent directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle la victime s'est elle-même placée en entretenant des relations amoureuses avec un ancien détenu de la maison d'arrêt de Nîmes, dès lors que ce comportement, alors même qu'il s'est déroulé en dehors du service de MmeA..., était de nature à porter atteinte à la sécurité de la maison d'arrêt de Nîmes et qu'il a nui à l'image du service public pénitentiaire auprès des détenus.
8. Il ressort des pièces du dossier que la relation personnelle que Mme A...dont la manière de servir n'avait jusqu'à la décision en litige fait l'objet d'aucun reproche, a débuté après la libération du détenu ayant purgé sa peine. Dès lors qu'elle était affectée à la maison d'arrêt de Nîmes au service de la comptabilité et de la régie de Nîmes ce qui impliquait peu de contacts directs avec les détenus et qu'elle a été mise à disposition en octobre 2008, dès le début de sa relation, dans une autre maison d'arrêt à Villeneuve-lès-Maguelone dans laquelle son compagnon n'avait jamais été détenu et n'était ainsi pas susceptible d'avoir créé des liens amicaux avec des détenus, le ministre n'est pas fondé à soutenir que le comportement de la requérante a été susceptible de porter atteinte ni à la sécurité de la maison d'arrêt de Nîmes, ni à l'image du service public pénitentiaire auprès des détenus et de leurs familles.
9. Dans ces conditions, Mme A...n'a pas commis de faute de nature à exonérer la responsabilité de l'administration. Dès lors, elle est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont opéré un partage de responsabilité à 50 % entre l'administration et la requérante et à demander que l'Etat soit condamné à lui verser l'intégralité du montant de l'indemnisation qui lui est due.
Sur le préjudice :
10. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
En ce qui concerne le préjudice matériel :
11. Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté par les parties en appel que la requérante a perçu des revenus d'un montant de 18 329,03 euros pour la période du 1er février 2009 au 30 novembre 2010. Elle aurait perçu, si elle n'avait pas été illégalement évincée de ces fonctions pendant cette période, un traitement de 35 483,36 euros. Elle n'est pas fondée en revanche à soutenir qu'elle avait une chance sérieuse de bénéficier de l'indemnité exceptionnelle et de la "gratification surencombrement du service", dès lors que ces primes sont liées à l'exercice effectif des fonctions. Par suite, l'Etat doit être condamné à lui verser la somme de 17 154,33 euros en réparation du préjudice matériel qu'elle a subi du fait de l'illégalité fautive de la sanction qui lui a été infligée.
En ce qui concerne ses troubles dans les conditions d'existence et son préjudice moral :
12. Compte tenu notamment de l'obligation pour la requérante de rechercher à la suite de la décision illégale d'éviction de ses fonctions pendant 24 mois un nouvel emploi et de se réorienter professionnellement pour des raisons financières et des répercussions de cette sanction sur sa vie privée et familiale et sur sa santé psychique, les premiers juges ont fait une estimation insuffisante de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 2 000 euros avant partage de responsabilité. En l'absence de faute de la victime ainsi qu'il a été dit au point 9 du présent arrêt, il y a lieu de condamner l'Etat à lui verser une somme de 7 000 euros en réparation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral.
En ce qui concerne l'atteinte à sa réputation et à son honneur :
13. La requérante ne conteste pas en appel que sa sanction n'a pas fait l'objet d'une quelconque diffusion publique. Par suite, il y a lieu d'écarter ce chef de préjudice. Il résulte des points 11 et 12 du présent arrêt que le préjudice total subi par Mme A...s'élève à la somme de 24 154,33 euros.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a limité à la somme de 9 687,17 euros la réparation de son entier préjudice. Elle est seulement fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 24 154,33 euros au titre de l'ensemble de ses préjudices et, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué.
Sur les intérêts capitalisés et la capitalisation des intérêts :
15. Mme A...a droit aux intérêts à taux légal afférents à la somme de 24 154,33 euros à compter de la date de réception par le Garde des sceaux de sa réclamation préalable, soit le 16 juillet 2015. En outre, Mme A...a demandé la capitalisation des intérêts le 16 novembre 2015. En application de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande de capitalisation à compter du 16 juillet 2016, date à laquelle ces intérêts étaient dus pour au moins une année entière et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au tige :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée de 1 800 euros au titre des frais engagés par Mme A...et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1 : La somme que l'Etat a été condamné à verser à Mme A...par l'article 2 du jugement du 24 octobre 2017 du tribunal administratif de Nîmes est portée à 24 154,33 euros. Cette somme de 24 154,33 euros portera intérêts au taux légal à compter du 16 juillet 2015. Les intérêts échus le 16 juillet 2016 seront capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : Le jugement du 24 octobre 2017 du tribunal administratif de Nîmes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 800 euros à Mme A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A...et à la ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2019, où siégeaient :
- Mme Simon, président-assesseur, présidant la formation du jugement en application de l'article R. 222.26 du code de justice administrative,
- Mme Carassic, première conseillère,
- MmeD..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 9 avril 2019.
4
N° 17MA04965