Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 18NC03528 le 26 décembre 2018, le préfet de Saône-et-Loire demande à la cour
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 26 novembre 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal a estimé que son arrêté méconnaissait le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que M. B... peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Goujon-Fischer premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant géorgien, entré en France, selon ses déclarations, en 2016, a sollicité du préfet de Saône-et-Loire la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", pour motif de santé, sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A la suite de son interpellation en flagrant délit pour des faits de vol à l'étalage, à Châlons-sur-Saône, le 15 novembre 2018, le préfet de Saône-et-Loire a pris à l'encontre de M. B... un arrêté du 16 novembre 2018 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de renvoi et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Le préfet de Saône-et-Loire relève appel du jugement du 26 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy, sur la demande de M. B..., a annulé l'arrêté du préfet de la Saône-et-Loire du 16 novembre 2018 et mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. B... d'une somme de 800 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 30 juillet 1991.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Nancy :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, dans son avis émis le 18 septembre 2018, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de M. B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il pourrait toutefois bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de ce pays, vers lequel l'intéressé pourrait en outre voyager sans risque. Les certificats médicaux présentés par M. B..., datés des 20 décembre 2016 et 15 septembre 2017, qui font état, en termes généraux, de la gravité de la pathologie dont il est atteint et de la nécessité d'un suivi médical, ne sont pas de nature à contredire les conclusions du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en ce qui concerne la possibilité, pour l'intéressé, de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays de renvoi et de voyager sans risque vers ce pays. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'accès effectif à ce traitement aurait été compromis, à la date de l'arrêté litigieux, par l'insuffisance de la protection sociale et des structures médicales en Géorgie.
4. Il résulte de ce qui précède qu'en obligeant le requérant à quitter le territoire français, le préfet n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que, par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy s'est fondé sur ce moyen pour annuler l'arrêté du 16 novembre 2018.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne le moyen commun aux trois décisions :
6. L'arrêté attaqué contient l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions qu'il comporte. Il satisfait ainsi à l'obligation de motivation, qui n'impliquait pas que le préfet fasse mention de la demande de titre de séjour précédemment déposée par le requérant, ni qu'il indique pour quelles raisons il écartait les considérations humanitaires susceptibles de justifier qu'il ne prenne pas de décision d'interdiction de retour sur le territoire français.
En ce qui concerne les moyens propres à l'obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, la circonstance que M. B... a été en mesure de fournir à l'administration une adresse postale pour l'envoi des convocations de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ne suffit pas à établir que le préfet aurait commis une erreur de fait en estimant qu'il ne justifiait pas d'un domicile fixe et stable en France.
8. En deuxième lieu, la décision obligeant M. B... à quitter le territoire français n'est pas une mesure d'exécution d'un refus de séjour. Par suite, celui-ci ne saurait utilement se prévaloir de l'illégalité du refus opposé à la demande de titre de séjour qu'il avait formée au titre du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, décision que le préfet n'avait, au demeurant, pas encore prise à la date de l'arrêté attaqué.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ".
10. Lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à un étranger, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français. Tel n'est pas le cas des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles ne prescrivent pas la délivrance d'un titre de plein droit mais laissent à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels dont l'intéressé se prévaut. Le législateur n'a ainsi pas entendu imposer à l'administration d'examiner d'office si l'étranger remplit les conditions prévues par cet article ni, le cas échéant, de consulter d'office la commission du titre de séjour quand l'intéressé est susceptible de justifier d'une présence habituelle en France depuis plus de dix ans. Il en résulte qu'un étranger ne peut pas utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 à l'encontre d'une obligation de quitter le territoire français alors qu'il n'avait pas présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de cet article et que l'autorité compétente n'a pas procédé à un examen d'un éventuel droit au séjour à ce titre.
11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... n'avait pas présenté de demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que le préfet n'a pas procédé à un examen d'un éventuel droit au séjour à ce titre. Le moyen tiré de la violation ces dispositions est par suite inopérant.
12. En quatrième lieu, M. B... est entré en France en 2016 à l'âge de 44 ans. Son épouse et l'enfant né de son union avec celle-ci résident en Géorgie, alors qu'il ne justifie d'aucune attache familiale en France. Dès lors, la décision l'obligeant à quitter le territoire français ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise et ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni n'est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
En ce qui concerne les moyens propres à la décision fixant le pays de renvoi :
13. M. B... n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, il n'est pas fondé à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi.
14. Si le requérant soutient qu'en raison de son état de santé, la décision fixant son pays de renvoi l'expose à un traitement contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'il peut bénéficier en Géorgie d'un accès effectif à un traitement approprié à ses pathologies. Le moyen doit ainsi être écarté. Eu égard à la situation familiale du requérant, exposée au point 7, la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaît pas non plus l'article 8 de cette convention.
En ce qui concerne les moyens propres à la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
15. M. B... n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, il n'est pas fondé à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
16. La circonstance, alléguée par M. B..., qu'en qualité de ressortissant géorgien, il est dispensé de visa ne faisait pas obstacle à ce qu'il fasse l'objet d'une obligation de quitter le territoire français assorti d'une interdiction de retour. Par son objet même, une telle mesure emporte limitation de sa liberté de circulation dans l'espace Schengen, sans qu'il soit établi l'existence, en l'espèce, d'une atteinte disproportionnée à cette liberté.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Saône-et Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 16 novembre 2018. Il y a lieu, en conséquence, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
18. L'exécution du présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B....
Sur les frais liés à l'instance :
19. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
20. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 26 novembre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.
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N° 18NC03528