Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée, sous le n° 18NC02282, le 17 août 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 12 juin 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Nancy.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier au regard de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, n'étant signé ni par le président de la formation de jugement, ni par le rapporteur ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé que la sanction infligée à M. C... avait été disproportionnée ;
- elle s'en remet à ses écritures de première instance s'agissant des mérites de la demande présentée par M. C... devant le tribunal.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 décembre 2018, M. C..., représenté par Me B..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Il fait valoir que :
- l'appel de la ministre est tardif ;
- les moyens soulevés par la ministre ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 18 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Goujon-Fischer, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 29 septembre 2016, le président de la commission de discipline du centre de détention de Toul a infligé à M. C..., alors détenu au sein de cet établissement, une sanction de quatorze jours de placement en cellule disciplinaire sur le fondement du 7° de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale. Par une décision du 25 octobre 2016, la directrice interrégionale des services pénitentiaire Est-Strasbourg a rejeté le recours hiérarchique formé par l'intéressé contre cette décision. La garde des sceaux, ministre de la justice relève régulièrement appel du jugement du 12 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé cette dernière décision.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il résulte de l'examen de la minute du jugement attaqué que celui-ci comporte toutes les signatures requises par les dispositions qui précèdent. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué manque en fait.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article R. 57-7-2 du code de procédure pénale : " Constitue une faute disciplinaire du deuxième degré le fait, pour une personne détenue (...) 7° De participer à toute action collective de nature à perturber l'ordre de l'établissement, hors le cas prévu au 3° de l'article R. 57-7-1 ". Selon l'article R. 57-7-47 du même code : " Pour les personnes majeures, la durée de la mise en cellule disciplinaire ne peut excéder (...) quatorze jours pour une faute disciplinaire du deuxième degré (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un détenu ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
4. Il ressort des pièces du dossier, notamment des deux comptes rendus d'incidents établis par un membre du personnel pénitentiaire du centre de détention de Toul, le 8 septembre 2016, que, le même jour, M. C... a confirmé, d'une part, être l'auteur d'un projet de lettre ouverte adressée au ministre de la justice, critiquant les décisions prises par la juge de l'application des peines à l'égard de détenus du centre de détention de Toul, contresigné par une cinquantaine d'entre eux, d'autre part, avoir participé activement à la rédaction d'un journal satirique clandestin déposé à l'unité locale d'enseignement du centre de détention.
5. En cherchant, à l'encontre des règles applicables à l'établissement pénitentiaire où il était détenu et à l'insu du personnel pénitentiaire, à donner un caractère collectif au projet de lettre de doléances destiné au ministre de la justice et en diffusant clandestinement un journal satirique au sein de l'établissement, M. C... doit être regardé, eu égard aux effets que de telles initiatives pouvaient avoir sur l'état d'esprit ou le comportement des autres détenus, comme ayant participé à une action collective de nature à perturber l'ordre de l'établissement au sens de l'article R. 57-7-2, cité ci-dessus. Ces faits, constitutifs d'une faute disciplinaire du deuxième degré, étaient de nature à justifier légalement le prononcé d'une des sanctions prévues par le code de procédure pénale en cas de commission d'une telle faute disciplinaire.
6. Toutefois, ni le projet de lettre ouverte au ministre de la justice, regrettant l'absence fréquente de rencontres entre la juge de l'application des peines et les détenus du centre de détention de Toul et exprimant, en termes mesurés, les doléances des détenus signataires à l'égard des décisions prises par cette magistrate sur les demandes de permissions, notamment pour motifs familiaux, ainsi qu'au sujet des remises de peine supplémentaires et aménagements de peine, ni le journal satirique en cause, à la tonalité essentiellement humoristique, ne comportaient de propos excessifs, insultants ou appelant, sous quelque forme que ce soit, à la désobéissance ou à tout autre comportement contraire aux règles régissant l'établissement. Dans ces circonstances, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces deux documents étaient, par leur nature, leur teneur ou les conditions de leur diffusion, propres à justifier contre leur auteur le prononcé d'une sanction de quatorze jours de placement en cellule disciplinaire, qui constitue la durée maximale prévue par l'article R. 57-7-47 du code de procédure pénale. Ni les conditions, au demeurant incertaines, dans lesquelles l'intéressé aurait convaincu d'autres détenus de signer le projet de lettre ouverte au ministre de la justice, ni les tensions liées, dans la même période, à des mouvements sociaux parmi les personnels pénitentiaires, ni enfin le comportement général de l'intéressé en détention, dont la décision de la directrice interrégionale des services pénitentiaires Est-Strasbourg ne fait pas état, ne sont, en l'espèce, de nature à modifier cette appréciation. Il suit de là que la sanction de quatorze jours de placement en cellule disciplinaire prononcée à l'encontre de M. C... était disproportionnée au regard des faits reprochés à celui-ci.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par M. C..., que la garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision de la directrice interrégionale des services pénitentiaires Est-Strasbourg du 25 octobre 2016.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
9. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B..., avocat du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cet avocat de la somme de 1 200 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la garde des sceaux, ministre de la justice, est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me B... une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. A... C....
Copie en sera adressée à la directrice interrégionale des services pénitentiaires Est-Strasbourg.
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N° 18NC02282