Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 février 2019, et un mémoire, enregistré le 20 avril 2020, M. et Mme D..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 octobre 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 10 avril 2018 pris à leur encontre par le préfet de la Moselle ;
3°) d'enjoindre au préfet de leur délivrer un titre de séjour et subsidiairement de réexaminer leur situation dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à leur conseil en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
Sur les refus de titres de séjour :
- il n'est pas démontré que le médecin instructeur n'a pas siégé au sein du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- il n'est pas établi que l'avis a été rendu à l'issue d'une délibération collégiale ;
- les refus de titre de séjour méconnaissent les dispositions du 11° de l'article L. 313-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée ;
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Sur les décisions fixant le pays de destination :
- les décisions fixant le pays de destination ne sont pas suffisamment motivées.
Par des mémoires en défense enregistrés le 16 avril 2020 et le 10 juin 2020, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par les requérants ne sont pas fondés.
M. et Mme D... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du bureau d'aide juridictionnelle du 15 janvier 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Le rapport de Mme F..., présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D..., ressortissants albanais, sont, selon leurs déclarations, entrés en France en 2015, accompagnés de leur fils, alors mineur. Ils ont déposé des demandes tendant au bénéfice du statut de réfugié qui ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 23 février 2016, refus confirmés par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 17 octobre 2016. Mme D... a adressé à l'administration une demande de délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. M. D... a également sollicité son admission au séjour en qualité d'accompagnant d'étranger malade. Par des arrêtés du 10 avril 2018, le préfet de la Moselle a refusé de leur délivrer les titres de séjour sollicités, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils pourront être reconduits. M. et Mme D... font appel du jugement du 2 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces décisions.
En ce qui concerne les décisions portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...). ". Aux termes de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. (...). / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 pris pour l'application de ces dispositions : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté (...). / Cet avis mentionne les éléments de procédure. / Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. / L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le médecin ayant établi le 15 décembre 2017 le rapport médical visé aux articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont l'identité est mentionnée sur le bordereau de transmission de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 15 mars 2018, ne fait pas partie des trois médecins signataires de cet avis et doit, en conséquence, être regardé comme n'ayant pas siégé au sein de leur collège. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que Mme D... aurait été privée d'une garantie et que la décision lui refusant un titre de séjour serait intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière.
4. D'autre part, les requérants font valoir qu'il n'est pas démontré que le collège de médecins de l'OFII a délibéré de façon collégiale. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'avis médical porte la mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration émet l'avis suivant ", cette mention du caractère collégial de la délibération faisant foi jusqu'à preuve du contraire. Ni la circonstance que la délibération a eu lieu un dimanche, ni celle que les médecins signataires de l'avis exercent dans des villes distinctes ne sont de nature à remettre en cause le caractère collégial de la délibération. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. (...) ".
6. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser de délivrer un titre de séjour de Mme D... en sa qualité d'étranger malade, le préfet de la Moselle s'est notamment fondé sur l'avis du collège de médecins de l'OFII du 4 février 2018. Or, il résulte de cet avis que, si l'état de santé de la requérante nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il lui permet de voyager sans risque à destination de l'Albanie, où, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de ce pays, elle peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Si les requérants soutiennent que l'offre sanitaire disponible en Albanie ne permet pas une prise en charge effective de la pathologie présentée par Mme D..., ils se bornent à produire un unique certificat médical, établi le 14 mai 2018 par un médecin généraliste, qui indique, sans autre précision, que l'intéressée est traitée et suivie pour une hypertension artérielle et une extrasystolie. Ce seul document n'est pas susceptible de remettre en cause l'appréciation à laquelle s'est livrée le préfet de la Moselle. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 ne peut qu'être écarté. Par voie de conséquence, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait dû être admis à séjourner en qualité d'accompagnant d'un étranger malade, en application des dispositions du 7° de l'article L. 313-11.
En ce qui concerne les décisions portant obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Moselle se serait cru tenu d'édicter les décisions contestées.
8. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, les décisions par lesquelles le préfet de la Moselle a fait obligation à M. et Mme D... de quitter le territoire n'ont pas méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. M. et Mme D... se bornent à faire valoir que leur fils est scolarisé en France. Toutefois, les décisions contestées ne font pas obstacle à ce que les requérants reconstituent leur cellule familiale dans leur pays d'origine avec leur fils. En outre, il ressort des pièces du dossier que les intéressés ne sont pas isolés dans leur pays d'origine où résident trois de leurs enfants. Enfin, les requérants ne justifient d'aucune intégration particulière dans la société française. Dans ces conditions, M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que les décisions contestées portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " " Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
12. Les décisions portant obligation de quitter le territoire français n'ont pas pour effet de séparer M. et Mme D... de leur fils, mineur à la date de l'arrêté attaqué. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que leur fils ne pourrait pas poursuivre une scolarité normale en cas de départ du territoire français. Par suite, M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que le préfet de la Moselle n'aurait pas tenu compte de l'intérêt supérieur de leur fils.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
13. Les décisions contestées, qui mentionnent l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indiquent que les requérants n'ont pas justifié qu'ils seraient exposés à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans leur pays d'origine. Par suite, elles comportent les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit, dès lors, être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont fondés à demander ni l'annulation du jugement du 2 octobre 2018 ni celle des arrêtés du 10 avril 2018. Par suite, leurs conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à Mme E... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
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N° 19NC00393