Par un arrêt n° 15NC01911 du 26 janvier 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement, ainsi que les décisions des 14 novembre 2012 et 4 avril 2013.
Par une décision n° 409166 du 18 juillet 2018, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy.
Procédure devant la cour :
Eu égard à la décision du Conseil d'Etat du 18 juillet 2018, la cour se trouve à nouveau saisie de la requête enregistrée le 3 septembre 2015.
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 septembre 2015, 17 octobre et 23 décembre 2016, et après cassation le 28 septembre 2018, M. E... A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 7 juillet 2015 ;
2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 14 novembre 2012 et la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 4 avril 2013 ;
3°) de mettre à la charge de la société CetK Components une somme de 3 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. A... soutient que :
- le tribunal n'a pas suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de l'existence d'un lien direct entre son licenciement et ses mandats ;
- le principe du contradictoire n'a pas été respecté lors de la procédure préalable à son licenciement ;
- il n'a pas proféré les menaces et insultes retenues par son employeur et celles qu'il a prononcées devant un cercle restreint de personnes ne présentent pas un degré de gravité tel qu'elles justifient son licenciement ; l'altercation, qui a eu lieu dans le cadre de ses fonctions représentatives, est sans lien avec l'exécution du contrat de travail mais est en rapport direct avec ses mandats d'élu ;
- le manquement aux règles de sécurité qui lui est reproché n'est pas établi et ne présente pas un degré de gravité tel qu'il justifie son licenciement ;
- le grief relatif à la mauvaise utilisation des heures de délégation, qui ne peut concerner que des faits antérieurs à mars 2012, est prescrit et est en lien direct avec ses mandats ;
- la procédure disciplinaire engagée à son encontre a pour origine l'exercice de ses mandats.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 février, 1er mars et 29 novembre 2016 et, après cassation, le 28 septembre 2018, la société CetK Components, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er octobre 2018, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 4 mars 2019, la clôture d'instruction est intervenue le 26 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Favret, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., pour M. A..., ainsi que celles de Me B..., pour la société CetK Components.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... A... a été recruté le 1er juin 1989 par la société CetK Components, au sein de laquelle il occupait les fonctions de régleur conducteur. Il y exerçait par ailleurs les mandats représentatifs de membre titulaire du comité d'entreprise, de délégué du personnel titulaire, de délégué syndical CGT et de conseiller prud'homal. Par une décision du 14 novembre 2012, l'inspectrice du travail de la 2ème section de l'unité territoriale du Jura a autorisé la société CetK Components à licencier M. A... pour faute. Saisi d'un recours hiérarchique, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé, le 4 avril 2013, la décision de l'inspectrice du travail. Par un jugement du 7 juillet 2015, le tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande de M. A... tendant à annuler les décisions des 14 novembre 2012 et 4 avril 2013. Par un arrêt du 26 janvier 2017, la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement, ainsi que les décisions des 14 novembre 2012 et 4 avril 2013. Par une décision du 18 juillet 2018, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour et a renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Nancy.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal administratif de Besançon a précisé, au point 9 de son jugement, " que ni l'article de presse produit par le requérant, ni le fait que son employeur avait été précédemment condamné pour discrimination en 2007 et en 2008 par le conseil de prud'hommes de Lons-le-Saunier ne permettent d'établir l'existence d'un lien entre les mandats qu'il détenait et la procédure de licenciement engagée à son encontre ". Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal n'aurait pas suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de l'existence d'un lien direct entre le licenciement de M. A... et ses mandats doit être écarté.
Sur la légalité des décisions des 14 novembre 2012 et 4 avril 2013 :
3. Pour autoriser le licenciement pour faute de M. A..., l'inspectrice du travail a retenu que l'intéressé avait proféré des injures et menaces à l'encontre de deux autres salariés de l'entreprise, qu'il n'avait pas respecté les consignes de sécurité de l'entreprise et qu'il s'était, à plusieurs reprises, attribué des heures de délégation au-delà du crédit dont il disposait au titre de ses différents mandats représentatifs. Le ministre a confirmé ces trois motifs de licenciement, en ne faisant état, pour le premier, que des injures proférées par M. A....
4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.
En ce qui concerne le respect du caractère contradictoire de l'enquête :
5. Aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat (...) ".
6. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'inspectrice du travail a reçu personnellement et individuellement M. A... et son employeur le 29 octobre 2018. A cette occasion, elle a remis à M. A... une copie de la demande d'autorisation de licenciement présentée le 16 octobre 2012 par la société CetK Components, ainsi que certaines des 45 pièces qui étaient annexées à cette demande. Cette lettre comportait notamment la liste des personnes ayant produit des témoignages relatifs à certains des faits reprochés à l'intéressé, ainsi que les extraits les plus importants de ces témoignages. M. A... a pu remettre à l'inspectrice du travail, le 7 novembre 2012, contrairement à ce qu'il soutient, un document intitulé " rapport sur la mesure de licenciement pour faute grave envisagée par la SAS CetK Components ", qui démontre qu'il a pu mettre à profit la période du 29 octobre au 7 novembre 2012 pour faire valoir ses observations. Enfin, les allégations de M. A... selon lesquelles l'inspecteur du travail n'aurait pas entendu tous les témoignages utiles ou qu'il n'aurait pas communiqué les témoignages oraux recueillis sont dénués de précision. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le principe du contradictoire n'aurait pas été respecté lors de la procédure préalable au licenciement de M. A... doit être écarté, nonobstant la circonstance que toutes les pièces annexées à la demande d'autorisation de licenciement, dont certaines étaient par ailleurs couvertes par le secret médical, n'ont pas été communiquées à l'intéressé, lequel n'avait pas réclamé la communication des pièces manquantes.
En ce qui concerne la matérialité et la gravité des faits reprochés à M. A... :
8. En premier lieu, l'inspectrice du travail et le ministre chargé du travail reprochent à M. A..., élu CGT au comité d'entreprise, d'avoir, le 11 septembre 2012, dans les locaux de l'entreprise, injurié le secrétaire du comité d'entreprise, élu CFDT, et son trésorier, élu CFTC, mais également proféré des menaces à l'égard de ce dernier.
9. D'une part, les propos injurieux de M. A..., tenus à proximité de la salle de convivialité, sont attestés par les deux salariés qui en ont été victimes, ainsi que par un autre salarié de l'entreprise, et ils ne sont pas utilement contredits par les témoignages produits par l'intéressé. Leur réalité doit ainsi être regardée comme établie, nonobstant la circonstance que la plainte déposée par le trésorier du comité d'entreprise a fait l'objet d'un classement sans suite.
10. D'autre part, dans un rapport écrit établi par lui le 16 septembre 2012, M. A... reconnaît expressément s'être adressé à M. F..., trésorier du comité d'entreprise, le 11 septembre 2012, en lui disant : " on va s'occuper de ton cas, on connaît ton adresse ". La matérialité de ces menaces est ainsi établie et n'est pas appuyée par le seul témoignage de M. F....
11. Les circonstances que ces propos insultants et menaçants aient été tenus sous le coup de la colère et dans un contexte de relations conflictuelles entre les élus de la CGT, d'une part, et les élus de la CFDT et de la CFTC, d'autre part, et que seuls deux autres élus CGT ont assisté à l'altercation, ne sont pas, dès lors notamment qu'ils ont été tenus sur le lieu de travail, de nature à atténuer leur gravité, qui était suffisante pour justifier la mesure de licenciement prise à l'encontre de M. A....
12. En deuxième lieu, il est reproché à M. A... d'avoir, de façon répétée et délibérée, refusé d'emprunter le portillon sécurisé pour entrer dans l'entreprise et d'avoir utilisé la voie d'accès réservée aux voitures.
13. L'obligation d'utiliser les voies d'accès normales pour entrer et sortir de société CetK Components est expressément prévue par l'article 1.1 du chapitre II du règlement intérieur établi en 2003, qui dispose : " L'entrée et la sortie du personnel s'effectuent exclusivement par les voies d'accès normales, identifiées à cet effet. En aucun cas (sauf risque sécurité majeur), le personnel à pied n'est autorisé à passer par le passage réservé aux véhicules ". Si un portique de sécurité, ou tourniquet, par ailleurs déclaré à la commission nationale de l'informatique et des libertés, a remplacé en 2009 le portail existant, son installation constituait, contrairement à ce que soutient M. A..., une simple modalité d'application de l'article 1.1 précité du règlement intérieur. Les refus répétés, et même revendiqués, de M. A... de respecter les consignes de sécurité, opposables à tous les salariés, pour pénétrer sur le site de production, ne sont pas contestés par l'intéressé et constituent une faute de nature à justifier une sanction.
14. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".
15. Il ressort des pièces du dossier que le dernier dépassement de son crédit d'heures de délégation reproché à M. A... concerne le mois de juin 2012. La société CetK Components a eu connaissance de ce dépassement au plus tard le 20 juillet 2012, date de son courrier à l'intéressé dans lequel elle lui signale l'anomalie. Plus de deux mois s'étaient déjà écoulés lorsque la société CetK Components a engagé des poursuites disciplinaires en convoquant, le 27 septembre 2012, M. A... à un entretien préalable. Les dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail faisaient donc obstacle à ce que les faits de dépassement des heures de délégation commis en 2011 et en juin 2012 puissent donner lieu à une sanction.
16. En tout état de cause, l'inspectrice du travail et le ministre auraient pris les mêmes décisions s'ils ne s'étaient fondés que sur le motif, aggravé par le manquement répété de l'intéressé aux règles de sécurité, tiré des propos insultants et menaçants proférés par M. A..., lesquels constituent une faute d'une gravité suffisante pour justifier la mesure de licenciement prise à l'encontre du requérant.
En ce qui concerne le lien avec le mandat :
17. Si les fautes reprochées à M. A... reposent pour partie sur un dépassement de ses heures de délégation, l'existence d'un lien entre la procédure de licenciement engagée à son encontre et les mandats qu'il exerce n'est pas, contrairement à ce qu'il soutient, établie par les pièces du dossier. A cet égard, ni l'article de presse produit par le requérant, ni le fait que son employeur avait été précédemment condamné pour discrimination en 2007 et en 2008 par le conseil de prud'hommes de Lons-le-Saunier ne permettent d'établir l'existence d'un tel lien.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande. M. A... n'est donc pas fondé à soutenir que la procédure disciplinaire engagée à son encontre a pour origine l'exercice de ses mandats.
Sur les frais liés à l'instance :
19. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
20. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge la société CetK Components, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 500 euros à verser à la société CetK Components au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... A... est rejetée.
Article 2 : M. A... versera à la société CetK Components une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A..., à la société CetK Components et au ministre du travail.
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N° 18NC02086