Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée sous le n° 18NC02469 le 10 septembre 2018, complétée par des mémoires enregistrés les 1er avril, 25 juin et 30 juillet 2019, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 janvier 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du préfet du Haut-Rhin du 7 décembre 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de lui délivrer une carte de résident de dix ans dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme A... soutient que :
- la décision contestée est entachée d'erreur de fait en ce qu'elle n'a pas été condamnée pour des faits d'aide à l'entrée ou au séjour irrégulier d'un étranger en France, qu'elle ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'elle a une connaissance suffisante de la langue française ;
- la décision contestée méconnaît les dispositions des articles L. 314-9 et L. 314-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à son défaut d'intégration républicaine et de connaissances des principes républicains.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2019, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 10 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Favret, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré présentée par Mme A... a été enregistrée le 15 octobre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., de nationalité angolaise, est entrée en France en 2005. Elle a obtenu une carte de séjour temporaire en qualité de parent d'enfant français le 26 juillet 2007, régulièrement renouvelée depuis lors. Elle a sollicité, le 31 janvier 2013, la délivrance d'une carte de résident, que le préfet du Haut-Rhin lui a refusée. Le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ce refus, par un jugement du 16 septembre 2015, devenu définitif, au motif que l'administration n'avait pas, avant de se prononcer sur le respect de la condition d'intégration de l'intéressée, saisi pour avis le maire de sa commune de résidence, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 314-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Après avoir recueilli l'avis du maire de Mulhouse, le préfet du Haut-Rhin a, par une décision du 7 décembre 2015, refusé de faire droit à la demande de Mme A... tendant à la délivrance d'une carte de résident. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de Mme A... tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la légalité du refus de délivrance d'une carte de résident :
2. Aux termes de l'article L. 314-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " La carte de résident peut être accordée : (...) 2° A l'étranger qui est père ou mère d'un enfant français résidant en France et titulaire depuis au moins trois années de la carte de séjour temporaire mentionnée au 6° de l'article L. 313-11, sous réserve qu'il remplisse encore les conditions prévues pour l'obtention de cette carte de séjour temporaire et qu'il ne vive pas en état de polygamie. (...) ". En vertu de l'article L. 314-10 du même code, la délivrance de la carte de résident est subordonnée dans tous les cas prévus dans cette sous-section au respect des conditions prévues à l'article L. 314-2 aux termes duquel, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsque des dispositions législatives du présent code le prévoient, la délivrance d'une première carte de résident est subordonnée à l'intégration républicaine de l'étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance suffisante de la langue française dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Pour l'appréciation de la condition d'intégration, l'autorité administrative tient compte, lorsqu'il a été souscrit, du respect, par l'étranger, de l'engagement défini à l'article L. 311-9 et saisit pour avis le maire de la commune dans laquelle il réside. Cet avis est réputé favorable à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la saisine du maire par l'autorité administrative (...) ".
3. Pour refuser de délivrer la carte de résident sollicitée par Mme A..., le préfet du Haut-Rhin s'est fondé sur la circonstance que l'intéressée ne justifiait pas d'une intégration républicaine dans la société française en ce que, d'une part, elle avait fait l'objet en 2008 d'une condamnation à six mois d'emprisonnement avec sursis et que, d'autre part, elle ne maîtrisait pas de manière suffisante la langue française et ne justifiait pas de sa connaissance des principes républicains.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a fait l'objet, le 9 juillet 2008, d'une condamnation par le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains à six mois d'emprisonnement avec sursis, pour usage de faux document administratif, obtention frauduleuse de document administratif et entrée et séjour irréguliers en France. Toutefois, cette condamnation déjà ancienne et liée aux seules conditions d'entrée irrégulière de l'intéressée sur le territoire français ne saurait suffire à établir une absence d'intégration de l'intéressée dans la société française, depuis qu'elle séjourne régulièrement sur le territoire français alors qu'elle y a bénéficié de cartes temporaires de séjour durant toute la période ayant suivi sa condamnation. En outre, si le préfet du Haut-Rhin avait produit en première instance un extrait du fichier de traitement des antécédents judiciaires indiquant que Mme A... avait été interpellée le 6 décembre 2012 pour des faits de " vol à la détourne, au radin, à l'étalage, libre-service " à Morschwiller-le-Bas, et qu'elle s'était également faite connaître défavorablement des services de police, pour un fait semblable à sa précédente condamnation " d'entrée au séjour irrégulier d'un étranger en France - du 22/08/2012 au 17/12/2012 " et pour " organisation en bande organisée d'un mariage pour obtenir un titre de séjour ou acquérir la nationalité française le 13/12/2012 " à Mulhouse, il ne conteste pas que ces mentions ont été supprimées dudit fichier et que la réalité de tels agissements n'est pas établie.
5. Il s'ensuit que Mme A... est fondée à soutenir que le préfet du Haut-Rhin ne pouvait légalement fonder son refus de lui accorder un certificat de résidence de dix ans au regard de la condition d'intégration républicaine sur la condamnation et les signalements dont elle a fait l'objet.
6. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que, alors que le premier refus de certificat de résidence de dix ans était déjà, en 2013, exclusivement motivé par la condamnation dont Mme A... avait fait l'objet en 2008, le préfet du Haut-Rhin aurait pris la même décision de refus s'il n'avait retenu que le motif tiré de la connaissance insuffisante par Mme A... de la langue française et des principes républicains telle qu'elle ressortait de l'avis non circonstancié émis par le maire de Mulhouse.
7. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 décembre 2015.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait de l'intéressée, d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de délivrer à Mme A... une carte de résident de dix ans dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... sur le fondement de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 janvier 2018 est annulé.
Article 2 : La décision du préfet du Haut-Rhin du 7 décembre 2015 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Haut-Rhin de délivrer à Mme A... une carte de résident de dix ans dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à A... la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
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N° 18NC02469