Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 19NC03248 le 8 novembre 2019, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 8 octobre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 10 juillet 2019 par laquelle le préfet des Vosges a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée et a été prise sans examen de sa situation particulière ;
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée ;
- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des garanties procédurales prévues par les dispositions de l'article 12-1 de la Directive 2008/115/CE ;
- cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- des circonstances humanitaires justifiaient qu'il ne soit pas pris à son égard d'interdiction de retour sur le territoire français ;
- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 19NC03249 le 8 novembre 2019, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 8 octobre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 10 juillet 2019 par laquelle le préfet des Vosges a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée et a été prise sans examen de sa situation particulière ;
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée ;
- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des garanties procédurales prévues par les dispositions de l'article 12-1 de la Directive 2008/115/CE ;
- cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- des circonstances humanitaires justifiaient qu'il ne soit pas pris à son égard d'interdiction de retour sur le territoire français ;
- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
M. et Mme A... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision en date du 11 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Goujon-Fischer premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., ressortissants albanais, sont entrés en France, selon leurs déclarations, le 27 septembre 2017 en compagnie de leurs trois enfants mineurs. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 20 décembre 2017, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 6 novembre 2018. Par arrêtés du 18 janvier 2018, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Nancy du 11 avril 2019, le préfet des Vosges leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par arrêtés du 10 juillet 2019, le préfet des Vosges a en outre prononcé à leur encontre une interdiction de retour pour une durée d'un an. Par deux requêtes n° 19NC03248 et 19NC03249, qu'il y a lieu de joindre, M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 8 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces derniers arrêtés.
Sur la légalité des arrêtés du 10 juillet 2019 :
En ce qui concerne la légalité externe :
2. En premier lieu, les arrêtés du 10 juillet 2019 énoncent les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et satisfont dès lors à l'exigence de motivation, notamment celle découlant de l'article 12-1 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Il ne ressort pas de pièces du dossier que le préfet des Vosges aurait pris ces arrêtés sans examen particulier de la situation des requérants, ni qu'il se serait estimé à tort en situation de compétence liée pour les prononcer.
3. En deuxième lieu, si aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant.
4. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
5. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. M. et Mme A..., qui ont sollicité, en 2017, la reconnaissance du statut de réfugié, ont, ce faisant, également entendu demander au préfet leur admission au séjour au titre de l'asile. Ils ont ainsi été conduits à préciser à l'administration les motifs pour lesquels ils demandaient que leur soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il leur appartenait, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'ils jugeaient utiles, ainsi que de porter à la connaissance de l'administration tout élément nouveau relatif à leur situation pendant la durée de l'instruction de leurs demandes d'asile. Le droit des intéressés d'être entendus, ainsi satisfait avant que l'administration ne statue sur leur situation au regard du séjour, n'imposait pas à l'autorité administrative de mettre les intéressés à même de réitérer leurs observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur la décision leur faisant obligation de quitter le territoire français, ni sur la décision leur interdisant le retour sur le territoire français.
En ce qui concerne la légalité interne :
6. En premier lieu, Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III.- (...) Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative prononce une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) ".
7. Il est constant que M. et Mme A... se sont maintenus irrégulièrement sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire de trente jours que les arrêtés du préfet des Vosges du 18 janvier 2019 leur avait accordé. S'ils se prévalent d'une attestation de l'Association des missionnaires de la paix et de la réconciliation d'Albanie du 9 mai 2019 indiquant qu'ils seraient victimes en Albanie d'une vengeance interfamiliale liée au meurtre perpétré par un de leur cousin sur sa propre épouse, et que leur vie serait menacée à la suite de l'échec de tentatives de réconciliation, cette seule pièce ne suffit pas à établir le bien-fondé de leurs craintes, alors au demeurant que leurs demandes d'asile, à l'appui desquelles ils ont pu faire valoir ces allégations, ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile. Ainsi, les requérants ne justifient pas, par ces éléments, de considérations humanitaires de nature à justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A... sont entrés en France en 2017 à l'âge, respectivement, de 34 et 31 ans. S'ils font valoir que leurs enfants sont scolarisés en France, rien ne fait obstacle à ce que ceux-ci puissent poursuivre leur scolarité dans le pays d'origine des requérants et à ce que la vie familiale s'y reconstitue. Ainsi, eu égard aux circonstances de l'espèce, notamment de la durée et des conditions du séjour en France des intéressés, les décisions du préfet de Meurthe-et-Moselle leur faisant interdiction de retour sur le territoire français ne portent pas à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elles ont été prises. Dès lors, elles ne méconnaissent pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elles n'ont pas non plus été prise en méconnaissance de l'intérêt supérieur des enfants des requérants, protégé par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
9. En dernier lieu, si les requérants soutiennent que les arrêtés contestés ont été pris en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ils n'assortissent pas leur moyen des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Au demeurant, il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'ils ne justifient pas du bien-fondé de leurs craintes d'être victimes, en cas de retour dans leur pays d'origine, de traitements contraires aux stipulations de cet article de la convention.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. et Mme A... demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes de M. et Mme A... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A..., à Mme E... épouse A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
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N° 19NC03248, 19NC03249