Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 février 2018, M. B..., représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 30 novembre 2017 ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 15 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à Me A...sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. B...soutient que :
- le sens des conclusions du rapporteur public communiqué aux parties étant trop imprécis, le jugement méconnaît l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;
- le jugement, qui n'est pas signé par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, méconnaît l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- l'auteur de la décision du 15 avril 2013 prolongeant son placement à l'isolement ne pouvant être identifié, cette décision est entachée d'incompétence ;
- cette décision reposant sur des faits matériellement inexacts, elle n'aurait pas pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière ;
- l'illégalité de cette décision constitue une faute ;
- cette décision lui a causé un préjudice moral qui peut être évalué à 15 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 août 2018, la garde des sceaux ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
La ministre soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 26 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 10 septembre 2018.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 23 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Laubriat, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Favret, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...est incarcéré depuis le 21 mai 2006. Après un séjour dans plusieurs établissements pénitentiaires, il a été écroué à compter du 3 juillet 2012 à la maison centrale de Clairvaux. Il a été placé à l'isolement par une décision du 23 août 2012 du directeur de cet établissement. Ce placement à l'isolement a été prolongé par des décisions des 19 novembre 2012, 20 janvier et 15 avril 2013. Par jugement du 17 février 2015, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision de prolongation du placement à l'isolement du 15 avril 2013. M. B... fait appel du jugement du 30 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de l'illégalité fautive de la décision du 15 avril 2013.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne. (...) ".
3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. Par ailleurs, pour l'application de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. La communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.
4. Il ressort des pièces du dossier que le sens des conclusions du rapporteur public mis en ligne, le 13 novembre 2017, sur l'application Sagace indiquait : " Rejet au fond ". Par suite, les parties ou leurs mandataires ont été mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience qui s'est tenue le 16 novembre 2017, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ne peut, dès lors, qu'être écarté.
5. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
6. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur le plus ancien dans l'ordre du tableau et le greffier d'audience. La circonstance que l'ampliation du jugement, qui a été notifiée à M.B..., ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement. Le moyen tiré de l'absence de signature du jugement attaqué manque ainsi en fait et doit, par suite, être écarté.
Sur le bien fondé du jugement :
7. Par un jugement devenu définitif du 17 février 2015, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 15 avril 2013 prolongeant le placement à l'isolement de M. B...pour vice de forme, cette décision ne mentionnant pas de manière lisible la qualité et le nom de son auteur en méconnaissance des dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000. Cette irrégularité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique.
8. Toutefois, lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision entachée d'un vice de procédure ou de forme, il appartient au juge du plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité, la même décision aurait pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière.
9. Aux termes de l'article 726-1 du code de procédure pénale : " Toute personne détenue, sauf si elle est mineure, peut être placée par l'autorité administrative, pour une durée maximale de trois mois, à l'isolement par mesure de protection ou de sécurité soit à sa demande, soit d'office (...) ". L'article R. 57-7-62 du même code dispose : " La mise à l'isolement d'une personne détenue, par mesure de protection ou de sécurité, qu'elle soit prise d'office ou sur demande de la personne détenue, ne constitue pas une mesure disciplinaire (...) ". Selon l'article R. 57-7-73 du même code : " Tant pour la décision initiale que pour les décisions ultérieures de prolongation, il est tenu compte de la personnalité de la personne détenue, de sa dangerosité ou de sa vulnérabilité particulière, et de son état de santé (...) ".
10. Pour décider la prolongation du placement à l'isolement de M.B..., le directeur interrégional des services pénitentiaires s'est fondé dans sa décision du 15 avril 2013 sur l'animosité entretenue par ce dernier avec ses codétenus d'origine nord-africaine, sur son attitude instable et sur la circonstance qu'il cherche la confrontation avec le personnel pénitentiaire. Il résulte par ailleurs de l'instruction, notamment du rapport établi le 1er avril 2013 par le directeur de la maison centrale de Clairvaux, que M. B...a très explicitement manifesté sa volonté d'exercer des représailles sur des codétenus qui avaient agressé, en août 2012, deux de ses amis. Il est enfin constant au vu de sa fiche pénale et des nombreux rapports d'incidents établis lors de son incarcération à la maison centrale de Clairvaux que M.B..., d'un naturel violent, se plie difficilement aux contraintes du régime carcéral. La décision du 15 avril 2013 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires a prolongé le placement à l'isolement de M. B...était ainsi fondée, contrairement à ce que soutient M.B..., sur des éléments objectifs. La décision du 15 avril 2013 prolongeant le placement à l'isolement de M.B..., qui était par ailleurs nécessaire pour assurer le bon ordre et la sécurité dans l'établissement, n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation. Ainsi, si la décision attaquée était entachée d'un vice de forme, la mesure prononcée par le directeur interrégional des services pénitentiaires était justifiée au fond. Par suite, l'irrégularité relevée par le tribunal n'est pas de nature à ouvrir un droit à réparation du préjudice moral qui en résulterait pour M.B....
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.
Délibéré après l'audience du 7 février 2019, à laquelle siégeaient :
M. Meslay, président de chambre,
Mme Stefanski, président,
M. Laubriat, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2019.
Le rapporteur,
Signé : A. LAUBRIATLe président,
Signé : P. MESLAY
La greffière,
Signé : V. FIRMERY
La République mande et ordonne à la garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. ROBINET
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N° 18NC00455