Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 novembre 2019, le préfet de l'Aube, représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme G... devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Il soutient que :
- la reconnaissance de paternité de la fille de l'intéressée ayant été obtenue par fraude, c'est à juste titre que le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile lui a été refusé ; c'est à tort que le tribunal administratif a écarté les indices concordants établissant cette fraude que l'administration a réunis ;
- l'intéressée ne remplit pas les conditions de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le refus de titre de séjour ne repose pas sur une appréciation manifestement erronée de sa situation ;
- les conditions d'un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313 11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas non plus réunies ;
- le refus de titre de séjour ne méconnaît pas les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- les moyens dirigés contre les décisions d'obligation de quitter le territoire et fixant le pays de destination devront être écartés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2020, Mme G..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de l'Aube ne sont pas fondés.
Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Nancy du 11 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits humains et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme G..., ressortissante camerounaise née le 18 juillet 1987, est entrée irrégulièrement en France au cours de l'année 2015, selon ses déclarations. L'intéressée a saisi le 19 juin 2016 le préfet de l'Aube d'une demande de titre de séjour en qualité de parente d'un enfant français. Une carte de séjour temporaire valable jusqu'au 23 novembre 2017 lui a été délivrée sur ce fondement le 12 janvier 2017. Mme G... a demandé le renouvellement de ce titre de séjour le 14 décembre 2017. Par un arrêté du 22 mai 2019 le préfet de l'Aube lui a refusé le renouvellement de ce titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par le jugement attaqué n° 1901830 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cet arrêté. Le préfet de l'Aube relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de l'arrêté du 22 mai 2019 :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers ; tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Afin de refuser le renouvellement du titre de séjour sollicité par Mme G..., le préfet de l'Aube s'est fondé sur le motif que la reconnaissance de paternité de l'enfant A... par M. D..., de nationalité française, avait été obtenue frauduleusement. La reconnaissance frauduleuse de paternité implique nécessairement que le déclarant ne soit pas le père de l'enfant reconnu et, dans le cas d'un titre de séjour parent d'enfant français, qu'il le fasse sciemment, de concert avec la mère de l'enfant. Afin d'établir le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité effectuée par M. D... le 27 janvier 2016, antérieurement à la naissance le 23 mars 2016, le préfet de l'Aube a entendu se fonder sur l'écart d'âge entre les parents, la circonstance que M. D... n'a entretenu aucune communauté de vie avec Mme G... et n'a jamais eu aucun contact avec l'enfant ainsi que sur la déclaration de la mère lors d'une audition par les services de police selon laquelle " je n'ai aucune preuve matérielle que c'est lui le père car nous n'avons jamais fait de prise de sang prouvant la paternité. La reconnaissance qu'il a fait (sic) de paternité était au final pour l'obtention d'un titre de séjour pour ma personne et une carte nationale d'identité pour ma fille ". Mais, il ressort des pièces du dossier que Mme G... n'a jamais dissimulé qu'elle n'avait eu avec M. D... qu'une relation éphémère et qu'elle ne désirait plus avoir aucun contact avec lui et que ce dernier n'entretenait aucun contact avec sa fille. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'autorité judiciaire ait ouvert une enquête à l'encontre de l'intéressé après avoir été rendue destinataire d'un signalement par les services de la préfecture ou que ce dernier soit connu pour des faits de reconnaissance frauduleuse ou même pour avoir déjà procédé à des déclarations de paternité. Enfin, la déclaration de Mme G... lors de son audition doit être lue avec le reste de ses déclarations selon lesquelles elle a eu des relations intimes avec M. D... et a finalement rompu avec lui tout en obtenant qu'il reconnaisse sa paternité ne serait-ce que pour favoriser sa situation administrative et celle de sa fille. De tous ces éléments, il ne se déduit pas que M. D... n'est pas le père de l'enfant et qu'en connaissance de cause, lui et Mme G... se sont entendus pour qu'il procède à une reconnaissance de paternité mensongère. Par suite, le préfet de l'Aube n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a jugé que le motif de refus de renouvellement opposé à Mme G... était illégal.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Aube n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé son arrêté du 22 mai 2019.
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. Mme G... ayant été admise à l'aide juridictionnelle, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... d'une somme de 1 500 euros, sous réserve qu'il renonce au versement de la contribution de l'Etat à l'aide juridique, au titre des frais que l'intéressée aurait exposés dans la présente instance si elle n'avait été admise à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de l'Aube est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à Me C... en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce au versement de la contribution de l'Etat à l'aide juridique.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... G..., au préfet de L'Aube et au ministre de l'intérieur.
N° 19NC03294 2