Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées le 23 novembre 2020 et le 15 février 2021, Mme A..., représentée par Me Sabatakakis, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 octobre 2020 ;
2°) d'annuler la décision administrative litigieuse ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de la placer en procédure d'asile normale et de lui délivrer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, une attestation de demande d'asile ; subsidiairement, de réexaminer sa situation dans le même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le premier juge a omis de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 12.4 alinéa 2 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 ;
- en ne saisissant pas les autorités néerlandaises, seules responsables de sa demande d'asile, la préfète du Bas-Rhin a entaché sa décision d'un vice de procédure et d'une erreur de droit au regard des articles 3.1, 3.2 et 7.2 du règlement précité ;
- elle avait retiré la demande d'asile qu'elle avait présentée en Belgique, postérieurement au rejet de sa demande d'asile par les autorités néerlandaises, car elle avait été placée en procédure Dublin avec un transfert vers les Pays-Bas ;
- postérieurement à sa demande en Belgique, elle a sollicité l'asile aux Pays-Bas pour la troisième fois, qui lui a été refusé le 10 octobre 2017 ;
- la préfète a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la France est devenue responsable de sa demande d'asile en application du 2 de l'article 23 du règlement précité ;
- la préfète a méconnu l'article 17 dudit règlement dès lors qu'elle est dans une situation de vulnérabilité en raison de ses problèmes mentaux sévères.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2021, la préfète du Bas-Rhin conclut à titre principal à l'irrecevabilité de la requête et à titre subsidiaire à son rejet au fond.
Elle soutient que :
- la requête d'appel, qui est identique à celle de première instance et ne comporte aucun moyen d'appel, est irrecevable ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 février 2021.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Stenger a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante somalienne née en 1982, est entrée en France pour la dernière fois le 31 décembre 2018, selon ses déclarations, et a sollicité la reconnaissance du statut de réfugié le 27 juillet 2020. La comparaison du relevé décadactylaire de ses empreintes avec le fichier " Eurodac " a révélé que ses empreintes avaient été relevées, en dernier lieu, par les autorités belges le 19 décembre 2018. Le 11 août 2020, la préfète du Bas-Rhin a saisi les autorités belges d'une demande de reprise en charge de l'intéressée. Les autorités belges ont explicitement donné leur accord à cette mesure le 28 août 2020. En conséquence, la préfète du Bas-Rhin a, par un arrêté du 7 septembre 2020, décidé le transfert de Mme A... aux autorités belges. Mme A... relève appel du jugement du 23 octobre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Contrairement à ce que soutient la requérante, le jugement attaqué n'est pas entaché d'un défaut de réponse au moyen tiré de ce que la France est devenue responsable de l'examen de sa demande d'asile en application de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 au regard de son point 10.
Sur la légalité de la décision de transfert :
4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen... ". Aux termes de l'article 7 du même règlement, inclus dans son chapitre III relatif aux critères de détermination de l'Etat membre responsable : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre... ". Aux termes de l'article 12 dudit règlement : " 1. Si le demandeur est titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale... 4. Si le demandeur est seulement titulaire d'un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d'un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des États membres... ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ;/c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l'apatride qui a retiré sa demande en cours d'examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) ". Aux termes de l'article 23 du même règlement : " 1. Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (" hit "), en vertu de l'article 9 paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013 (...) / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale ". Aux termes de l'article 25 dudit règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines.2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ". Enfin, aux termes de l'article 29 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 ci-dessus visé dispose que : " 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
6. D'abord, il n'est pas contesté que, comme le fait valoir la préfète du Bas-Rhin, la requérante est entrée une première fois en France en 2017 et que consécutivement à son interpellation à Lille le 22 juin 2017, elle a fait l'objet d'une décision de transfert vers les Pays-Bas, acceptée par les autorités néerlandaises, qui n'a pas pu être exécutée dans le délai prorogé de dix-huit mois en raison de la fuite de l'intéressée. Les Pays-Bas étaient donc libérés de leur obligation de reprendre en charge Mme A..., en application du 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013. Ensuite, il ressort des pièces du dossier que postérieurement aux demandes d'asile qu'elle avait déposées le 23 juin 2017 aux Pays-Bas et le 23 novembre 2017 au Luxembourg, et avant qu'elle ne présente une demande d'asile en France le 27 juillet 2020, Mme A... avait saisi les autorités belges le 19 décembre 2018 d'une demande d'asile qui était en cours d'instruction. Par suite, elle se trouvait dans la situation décrite par les dispositions du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoient que l'Etat membre responsable, en l'espèce la Belgique, doit reprendre en charge l'intéressé dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 du même règlement. Si la requérante soutient, sans d'ailleurs en justifier, qu'elle avait retiré cette demande d'asile présentée en Belgique, postérieurement au rejet de sa demande d'asile par les autorités néerlandaises, cette circonstance est en tout état de cause sans incidence sur l'applicabilité de l'article 18-1-c qui envisage précisément cette hypothèse. En outre, à supposer même que Mme A... ait été titulaire d'un permis de séjour suisse, il ressort de ses propres écritures que ce titre lui avait été retiré par les autorités suisses le 28 août 2012. Enfin, la requérante ne prouve pas qu'elle aurait déposé une nouvelle demande d'asile aux Pays-Bas, postérieurement à celle qu'elle a présentée aux autorités belges le 19 décembre 2018, en produisant le rejet de sa demande d'asile édicté par les autorités néerlandaises le 10 octobre 2017. Par conséquent, c'est à bon droit que la préfète du Bas-Rhin a décidé son transfert aux autorités belges en application des dispositions précitées du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, sans que la requérante ne puisse utilement se prévaloir des dispositions susvisées des articles 3, 7 et 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'elle n'entre dans le champ d'aucun des critères énoncés au chapitre III dudit règlement. Par suite, les moyens tirés du vice de procédure et de l'erreur de droit doivent être écartés.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 16 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsque, du fait d'une grossesse, d'un enfant nouveau-né, d'une maladie grave, d'un handicap grave ou de la vieillesse, le demandeur est dépendant de l'assistance de son enfant, de ses frères ou sœurs, ou de son père ou de sa mère résidant légalement dans un des États membres, ou lorsque son enfant, son frère ou sa sœur, ou son père ou sa mère, qui réside légalement dans un État membre est dépendant de l'assistance du demandeur, les États membres laissent généralement ensemble ou rapprochent le demandeur et cet enfant, ce frère ou cette sœur, ou ce père ou cette mère, à condition que les liens familiaux aient existé dans le pays d'origine, que l'enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère ou le demandeur soit capable de prendre soin de la personne à charge et que les personnes concernées en aient exprimé le souhait par écrit. 2. Lorsque l'enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère visé au paragraphe 1 réside légalement dans un État membre autre que celui où se trouve le demandeur, l'État membre responsable est celui dans lequel l'enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère réside légalement, à moins que l'état de santé du demandeur ne l'empêche pendant un temps assez long de se rendre dans cet État membre. Dans un tel cas, l'État membre responsable est celui dans lequel le demandeur se trouve. Cet État membre n'est pas soumis à l'obligation de faire venir l'enfant, le frère ou la sœur, ou le père ou la mère sur son territoire... ".
8. Mme A... se prévaut de la présence aux Pays-Bas de sa sœur, qui y résiderait de manière régulière et de sa fille mineure. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la présence de sa sœur dans ce pays n'est aucunement démontrée et que la requérante n'a plus la garde de sa fille mineure qui réside au Pays-Bas, mais avec laquelle elle n'a aucun contact direct et qui est placée dans une famille d'accueil sous la tutelle d'un organisme de protection de l'enfance en exécution d'une décision d'une juridiction néerlandaise. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions précitées de l'article 16 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ".
10. Mme A... fait valoir qu'elle souffre de troubles mentaux ainsi que d'un syndrome d'altération de l'état général comportant une asthénie, une anorexie et un amaigrissement. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas même allégué par la requérante, qu'elle ne pourrait accéder en Belgique à une prise en charge médicale de ces troubles, équivalente à celle dont elle bénéficie en France. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été dit au point 8 que la mesure de transfert contestée est sans incidence sur les relations de Mme A... avec sa fille. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en ne faisant pas usage de la clause de souveraineté de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète du Bas-Rhin aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
11. En dernier lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, la préfète du Bas-Rhin a saisi les autorités belges d'une demande de reprise en charge le 11 août 2020, avant l'expiration du délai de deux mois fixé par les dispositions du 2 de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et la réponse des autorités belges est intervenue le 28 août 2020, dans le délai fixé par l'article 25 du même règlement. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la France est devenue responsable de sa demande d'asile en application de ces dispositions.
12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non- recevoir opposée par la préfète du Bas-Rhin en défense, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
N° 20NC03407 2