Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 octobre 2019, Mme E..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1902561 du tribunal administratif de Nancy du 10 septembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 26 août 2019 prise à son encontre ;
3°) d'enjoindre au préfet des Vosges de lui restituer son passeport et sa carte nationale d'identité dans les trois jours de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 1 500 euros à verser à leur conseil, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision d'assignation, qui permet la mise en oeuvre de la mesure d'éloignement l'expose à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine, contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision méconnaît son droit au respect de sa vie privée protégé par l'article 8 de ladite convention ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet n'apporte pas la preuve qu'il existe une perspective raisonnable d'éloignement en se bornant à faire état de l'éloignement de son mari le 23 février 2019 ; le courrier du 5 février 2019 établi par l'Ambassade du Monténégro indiquant qu'un laissez-passer sera donné à la requérante pour un retour dans son pays d'origine ne démontre pas qu'il existe une perspective raisonnable d'éloignement compte tenu de son ancienneté ;
- elle a déjà été assignée à résidence à trois reprises sans que les mesures d'éloignement prises à son encontre aient été exécutées ;
- son état de santé ainsi que celui de son fils ne leur permettent pas de voyager ; le jugement contesté ne répond pas à ce moyen et encourt l'annulation pour ce motif ;
- la décision contestée est disproportionnée et porte préjudice à sa libre circulation dès lors que la scolarisation de son enfant et le suivi médical de ce dernier rend la mesure incompatible avec l'obligation de pointage journalier ;
- elle présente un trouble anxieux chronique qui nécessite un traitement anxiolytique et hypnotique qui l'empêche de se rendre quotidiennement au commissariat de police aux heures prescrites.
Par un mémoire en défense enregistré le 1 décembre 2020, le préfet des Vosges conclut au rejet de la requête.
Par une décision du 11 mars 2020, le président du bureau d'aide juridictionnelle a accordé à Mme E... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit
d'asile ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme E..., ressortissants monténégrins, sont entrés en France le 2 mai 2014 pour présenter une demande d'asile. Cette demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 27 août 2014, rejet confirmé par la Cour nationale du droit d'asile le 7 janvier 2015. Par deux arrêtés en date du 14 octobre 2014 du préfet des Vosges, les époux E... ont fait l'objet de décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français auxquelles ils n'ont pas déféré. Leurs recours contre ces arrêtés ont été rejetés, en dernier lieu par la cour administrative d'appel de Nancy le 29 septembre 2016. Les époux E... ont alors présenté des demandes de titre de séjour en faisant valoir leur état de santé. Par des arrêtés en date du 27 octobre 2017, après avoir consulté le médecin de l'agence régionale de santé, le préfet des Vosges a refusé de faire droit à leurs demandes et leur a fait obligation de quitter le territoire français. Malgré le rejet de leurs recours, les époux E... n'ont pas déféré à ces mesures d'éloignement et ont présenté une nouvelle demande de titre de séjour au motif de l'état de santé de M. E... et en qualité d'accompagnante d'un étranger malade. Par deux arrêtés du 5 novembre 2018, le préfet des Vosges a de nouveau refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par une décision du 26 août 2019, le préfet des Vosges a assigné à résidence Mme E.... Cette dernière relève appel du jugement du 10 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 26 août 2019.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Contrairement à ce que soutient la requérante, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a répondu à l'ensemble des moyens soulevés et a ainsi suffisamment motivé son jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; ".
4. Pour justifier l'assignation à résidence d'une durée de quarante-cinq jours renouvelable une fois, le préfet des Vosges s'est fondé sur la circonstance qu'il existe des risques que la requérante se soustraie à l'arrêté du 5 novembre 2018 dès lors qu'elle n'a pas déféré à cette mesure d'éloignement et qu'elle n'avait pas davantage déféré à la précédente mesure d'éloignement dont la légalité avait été validée par la juridiction administrative. Le préfet ajoute " qu'afin d'assurer la réunion de l'ensemble des membres de la cellule familiale dans les meilleurs délais, une mesure d'assignation parait appropriée afin d'encadrer l'organisation du départ de Madame ". Comme l'a relevé le premier juge, l'intéressée n'a produit aucun élément de nature à contredire l'appréciation ainsi faite par le préfet des Vosges. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le préfet a fait une inexacte application des dispositions précitées en fixant une durée de quarante-cinq jours.
5. En deuxième lieu, comme l'a retenu le magistrat désigné, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'exécution de la mesure d'éloignement dont Mme E... fait l'objet, ne constituerait pas une perspective raisonnable alors qu'une demande de laissez-passer auprès des autorités consulaires monténégrines a été adressée le 22 janvier 2019 par le préfet et que par un courrier du 5 février 2019, l'Ambassade du Monténégro a indiqué qu'un tel laissez-passer sera accordé pour un éventuel retour de l'intéressée dans son pays d'origine. Les circonstances que d'une part, ce courrier ait été rédigé six mois avant la décision en litige et que d'autre part, elle aurait déjà été assignée à résidence à trois reprises sans que les mesures d'éloignement prises à son encontre soient exécutées sont sans influence sur la légalité de la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de ce que l'éloignement de l'intéressée ne constituerait pas une perspective raisonnable doit donc être écarté.
6. En troisième lieu, la décision d'assignation à résidence prise à l'encontre de Mme E... lui interdit de quitter le département du Bas-Rhin, pour une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois, et lui impose de se présenter tous les jours au commissariat de police de Saint-Dié-Des-Vosges. La requérante ne démontre pas qu'elle serait dans l'impossibilité de respecter ces obligations en arguant de la scolarité et du suivi médical de son fils ainsi que le traitement nécessité par son état de santé. Dans ces circonstances, eu égard à sa durée et aux obligations limitées qu'elle impose à Mme E..., la décision d'assignation à résidence prise à son encontre ne peut être regardée comme disproportionnée par rapport au but poursuivi, notamment eu égard au fait qu'elle n'a pas exécuté les précédentes mesures d'éloignement dont elle a fait l'objet. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision serait disproportionnée et porterait atteinte à sa liberté de circulation doivent être écartés.
7. En quatrième lieu, en se bornant à soutenir que la décision d'assignation à résidence méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, Mme E... n'établit pas une atteinte disproportionnée à son droit à mener une vie privée et familiale.
8. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de santé de la requérante, qui souffre de troubles anxieux et celui de son fils, qui a été opéré d'un état polycarieux le 27 février 2019, les empêcheraient de voyager vers le Monténégro. Par suite, ce moyen doit être écarté.
9. En dernier lieu, est inopérant le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que la décision d'assignation en litige n'a pas pour effet de renvoyer la requérante vers son pays d'origine, dans lequel elle ne démontre pas, en tout état de cause, qu'elle y encourrait des risques personnels et actuels. Par suite, ce moyen doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 août 2019 par lequel le préfet des Vosges l'a assignée à résidence.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
11. Le présent jugement qui rejette les conclusions à fin d'annulation n'implique aucune mesure particulière d'exécution. Il suit de là, que les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ne peuvent être que rejetées.
Sur les dépens :
12. Aucun dépens n'a été exposé dans la présente instance. Par suite, les conclusions de la requête tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de l'Etat sont sans objet et doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme E... au titre des frais non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1: La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Vosges.
N° 19NC02976 2