Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 27 mars 2018, Mme A... E...et M. D... F..., représentés par MeB..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du 23 novembre 2017 par lesquels le préfet de la Marne a décidé leur remise aux autorités polonaises responsables de l'examen de leurs demandes d'asile ;
2°) d'annuler ces arrêtés du 23 novembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Marne d'instruire leur demande d'asile sous astreinte de cent euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de suspendre l'exécution des arrêtés portant remise aux autorités polonaises ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à leur conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
Sur la régularité du jugement :
- le tribunal s'est fondé à tort sur les pièces produites par la direction de la citoyenneté de la préfecture dont il n'est pas établi que le signataire avait qualité pour ester en justice au nom du préfet.
Sur la légalité des arrêtés :
- les arrêtés sont entachés de vices d'incompétence ;
- les arrêtés sont insuffisamment motivés ;
- le préfet de la Marne a méconnu les dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ne les ayant pas informés de leur droit d'avertir leur consulat, un conseil ou toute personne de leur choix ;
- ils ont été privé de leur droit à l'information prévu aux articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- ils n'ont pas bénéficié d'un entretien individuel et n'ont pas été informés dans une langue qu'ils comprenaient, d'autant qu'ils ne savent ni lire ni écrire ;
- l'entretien n'a pas été conduit régulièrement en méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- le préfet ne pouvait légalement prévoir l'exécution d'office de ses arrêtés sans que les requérants ne soient informés des conditions de leur transfert ;
- le préfet ne les ayant pas avisés de la transmission des demandes de remise et des éléments de preuve, les arrêtés méconnaissent les dispositions des articles 4, 17 et 18 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ;
- les arrêtés attaqués méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ;
- ils méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de leur situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 30 juillet 2018, le préfet de la Marne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme E...et M. F...ne sont pas fondés.
Par une lettre du 7 novembre 2018, la cour a informé les parties, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la formation de jugement est susceptible de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert attaquée pour le motif suivant : l'expiration du délai de 6 mois défini à l'article 29 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, dont le point de départ est la date de lecture du jugement du tribunal administratif se prononçant sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert a pour conséquence que l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale (cf. Conseil d'Etat n° 420708 Mme C...
24 septembre 2018). Il devient donc impossible d'exécuter la décision de transfert et il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation de cette dernière.
Mme E... et M. F...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 20 février 2018.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Lambing a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... et M.F..., nés respectivement en 1989 et en 1980, de nationalité russe, seraient entrés irrégulièrement en France le 3 août 2017 selon leurs déclarations. Le 11 octobre 2017, ils ont sollicité leur admission au séjour au titre de l'asile. Leurs empreintes digitales ayant été relevées le 20 juillet 2017 en Pologne et le 27 juillet 2017 en Allemagne, les autorités respectives de ces deux pays ont été saisies par le préfet de la Marne de demandes de reprise en charge des intéressés. Le 31 octobre 2017, les autorités polonaises ont donné leur accord. Par des arrêtés du 23 novembre 2017, le préfet de la Marne a décidé leur remise aux autorités polonaises responsables de l'examen de leurs demandes d'asile. Mme E... et M. F...relèvent appel du jugement du 15 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ces arrêtés du 23 novembre 2017.
2. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande d'asile est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 21 du même règlement : " L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut (...) requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du même texte : " Le transfert du demandeur (...) de l'Etat membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue (...) au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée (...) ". Le paragraphe 2 de ce même article prévoit que : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois maximum si la personne concernée prend la fuite ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut (...) en demander l'annulation au président du tribunal administratif (...) ". Aux termes de l'article L. 742-6 du même code : " (...) La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office (...) avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé par le paragraphe 1 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Un appel contre le jugement du tribunal administratif n'a pas pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Sauf prolongation du délai décidée dans les conditions prévues par le paragraphe 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, l'Etat requérant devient, à l'expiration d'un délai de six mois à compter du jugement du tribunal administratif, responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
5. Le délai de six mois imparti à l'administration pour procéder à la remise de Mme E... et M. F...aux autorités polonaises, qui courait à compter de la décision d'acceptation de ces autorités, a été interrompu par la présentation devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande des intéressés tendant à l'annulation des arrêtés du 23 novembre 2017 par lesquels le préfet de la Marne a décidé leur remise aux autorités polonaises responsables de l'examen de leurs demandes d'asile. Compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, ce délai de six mois a recommencé à courir à compter du jugement du 15 décembre 2017 par lequel le tribunal a rejeté la demande de Mme E... et M. F.... Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les arrêtés auraient été exécutés ou que l'autorité préfectorale aurait décidé de porter à un an ou dix-huit mois le délai de remise, après avoir constaté que les intéressés auraient été emprisonnés ou auraient pris la fuite. Dans ces conditions, la Pologne ayant été libérée de son obligation de reprise en charge, les arrêtés ne sont plus susceptibles d'être exécutés et les conclusions de la requête de Mme E... et M. F... tendant à leur annulation sont devenues sans objet. Il n'y a pas lieu d'y statuer.
6. Le présent arrêt, qui se borne à constater qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la demande d'annulation des arrêtés du 23 novembre 2017, n'implique par lui-même aucune mesure d'exécution. Par suite les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
7. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que l'avocate de Mme E... et M. F... demande, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, au titre des frais qu'ils auraient supportés s'il n'avait bénéficié de l'aide juridictionnelle totale.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la requête de Mme E... et M. F....
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme E... et M. F... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...E..., à M. D... F..., au préfet de la Marne et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la Marne.
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N° 18NC01033