Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 12 juillet 2017 et 8 mars 2018, la SA Kibag Kies Basel, représentée par Me D...et MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée versée au titre des années 2011, 2012 et 2013 pour un montant de 628 135 euros, assorti des intérêts moratoires ;
2°) de prononcer la restitution de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- les opérations de déblai sur le site exploité ne sont pas assimilables à l'octroi d'un droit d'utilisation d'un bien meuble mais constituent des prestations de services sur des biens meubles corporels ;
- ces prestations de services sont imposables à la taxe sur la valeur ajoutée en Suisse et non en France ;
- la réponse ministérielle Armand B...du 21 avril 1997 est applicable à sa situation dès lors que la société permet seulement à des entreprises suisses de décharger des gravats sur son site mais elle ne procède pas au remblaiement de la carrière.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SA Kibag Kies Basel ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive n° 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977
- la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lambing,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,
1. Considérant que la société anonyme (SA) Kibag Kies Basel, société de droit suisse dont le siège social est situé à Bâle en Suisse, dispose d'un établissement situé en France, à Hegenheim ; que par une réclamation du 20 décembre 2014, elle a demandé à l'administration fiscale la restitution des sommes réglées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée versées en 2010, 2011, 2012 et 2013 ; que sa demande a été rejetée par l'administration fiscale par une décision du 14 août 2014 ; que la SA Kibag Kies Basel relève appel du jugement du 16 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la restitution de taxe sur la valeur ajoutée versée au titre des années 2011, 2012 et 2013 pour un montant de 628 135 euros, assorti des intérêts moratoires ;
Sur le bien fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. Considérant qu'aux termes du 1° de l'article 259 du code général des impôts, le lieu des prestations de services est situé en France lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : " a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle ; " ; qu'aux termes de l'article 259 A du même code : " Par dérogation aux dispositions de l'article 259, est situé en France le lieu des prestations de services suivantes : / (...) 2° Les prestations de services se rattachant à un immeuble situé en France (...) " ;
3. Considérant que ces dispositions ont opéré la transposition en droit interne des règles de territorialité figurant respectivement aux articles 43 et 45 de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, reprenant les termes des paragraphes 1 et 2 sous a) de l'article 9 de la sixième directive n° 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, d'une part, qu'il n'existe aucune prééminence du paragraphe 1 sur le paragraphe 2 de cet article, de sorte que l'article 9 paragraphe 2 sous a) de la sixième directive ne doit pas être considéré comme une exception à une règle générale, devant recevoir une interprétation stricte, d'autre part, que relèvent des prestations de service se rattachant à un bien immeuble au sens de ces prévisions celles qui présentent un lien suffisamment direct avec un bien immeuble ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SA Kibag Kies Basel exerce deux activités distinctes, la première consistant en l'exploitation d'une carrière à Hegenheim, la seconde ayant pour objet de remblayer cette même carrière après l'extraction du gravier, à partir de matériaux en provenance de Suisse ; que, pour cette seconde activité, la SA Kibag Kies Basel a déclaré et reversé la taxe sur la valeur ajoutée en France de 2010 à 2013 ; que par une réclamation du 20 décembre 2014, elle a demandé à l'administration fiscale de lui rembourser les sommes réglées au titre de la taxe sur la valeur ajoutée en 2010, 2011, 2012 et 2013 ; que la société considère que les opérations de déblais/remblais de matériaux ont été assujetties à tort en France à la taxe sur la valeur ajoutée dès lors qu'il s'agit d'opérations effectuées entre opérateurs suisses relatives à une prestation de services située en Suisse, imposables en Suisse en application de l'article 259 du code général des impôts ; que l'administration fiscale a rejeté sa demande par décision du 14 août 2014, aux motifs que le montant de taxe sur la valeur ajoutée dont le remboursement est demandé est erroné, que la réclamation de la société au titre de l'année 2010 est tardive en application de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales et que les factures produites ne respectent pas les règles de formalisme de l'article 289 du code général des impôts ;
5. Considérant que la contrepartie de la rémunération des prestations de service de déblaiement en litige consiste en un droit de déposer des gravats sur le site de la carrière de Hegenheim, exploitée par la SA Kibag Kies Basel ; que ladite carrière est un immeuble au sens des dispositions précitées ; qu'il est constant que les bons de déblaiement autorisant des entreprises à déposer leurs gravats sur le site de la société requérante constituent des droits d'utiliser la carrière à des fins de dépôts qui ne peuvent être exercés qu'en rapport avec ladite carrière ; que la carrière exploitée par la société requérante constitue par conséquent un élément central et indispensable de la prestation offerte en contrepartie du paiement de l'autorisation d'y déposer les déblais ; qu'en outre, le lieu où se situe l'immeuble correspond au lieu de consommation finale du service ; que, dès lors, la prestation en cause présente un lien suffisamment direct avec un bien immeuble et relève par suite de la règle de territorialité énoncée à l'article 259-A-2° du code général des impôts, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que les contrats de prestations de services aient été conclus entre deux sociétés établies en Suisse ; que, par suite, pour ce seul motif, l'administration a pu à bon droit rejeter la demande de restitution de taxe sur la valeur ajoutée présentée par la société requérante ;
En ce qui concerne l'application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'elles instituent un mécanisme de garantie au profit du contribuable qui, s'il l'invoque, est fondé à se prévaloir de l'interprétation contraire à la loi que l'administration a donnée de celle-ci dans ses instructions ou circulaires dont il a respecté les termes ;
7. Considérant que la SA Kibag Kies Basel se prévaut, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des documentations administratives de base référencées BOI TVA CHAMP-10-10-40-30-20120912 n°90 et BOI TVA CHAMP-10-10-40-30-20130215 n°230 ; que ces instructions, relatives au champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, ne donnent pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle qui est exposée aux points 3 et 4 ci-dessus et dont la société requérante pourrait se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ; que la société requérante se prévaut également de la réponse ministérielle n°45909 faite à M. A...B...le 21 avril 1997, dans laquelle le ministre du budget a analysé le stockage et le nivellement de déblais comme des prestations de travaux sur biens meubles corporels soumis à la taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions du 4° bis de l'article 259-A du code général des impôts sans évoquer le cas du dépôt de déblais dans une carrière ; que la situation de la société requérante n'entre pas dans les cas examinés par cette réponse ministérielle et l'interprétation faite par le ministre du budget ne concerne pas les conditions d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des prestations de service de déblaiement dans les carrières ; que par suite la société requérante ne saurait se prévaloir de ladite réponse ministérielle ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA Kibag Kies Basel n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SA Kibag Kies Basel est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Kibag Kies Basel et au ministre de l'action et des comptes publics.
5
N° 17NC01700