Par un recours et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement les 21 juillet et
9 novembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 de ce jugement du 15 juin 2017 en tant que le tribunal administratif de Strasbourg a restitué à la SCI Le clos des vignes la somme de 228 612 euros au titre du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle disposait à l'expiration du mois de janvier 2014 ;
2°) d'admettre la compensation demandée entre les impositions en litige et celles devant être reversées en application de l'article 261 du code général des impôts ;
Il soutient que :
- la résiliation rétroactive de l'opération immobilière consécutive à la démolition de l'immeuble en cause conduit à ce que la taxe sur la valeur ajoutée déduite par la société au titre de cet immeuble soit reversée sur le fondement de l'article 207 VI de l'annexe II au code général des impôts ;
- la société n'ayant pas vendu le bien dans les cinq ans, la taxe primitivement déduite doit être reversée en application de l'article 261 du code général des impôts ; qu'une compensation doit être admise ;
Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 août 2017 et le 5 mars 2018, la SCI Le clos des vignes, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martinez,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
1. Considérant que la SCI Le clos des vignes, qui a pour activité la construction et la vente d'immeubles, a réalisé une opération immobilière à partir de décembre 2006 ; qu'à la suite de désordres apparus sur l'immeuble construit, elle a été contrainte de résilier à l'amiable les ventes réalisées en l'état futur d'achèvement, par un acte notarié du 30 décembre 2013 ; qu'en janvier 2014, la société a remboursé aux acquéreurs le prix qu'ils avaient payé, toutes taxes comprises, majoré de certains frais ; que le 20 février 2014, la société a présenté une demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée pour un montant de 317 304 euros, correspondant à la taxe restituée à ses clients en janvier 2014 ; qu'à défaut de réponse de l'administration, la société a saisi le tribunal administratif de Strasbourg ; que par décision du 29 février 2016, au cours de la première instance, l'administration a opéré une compensation, par application des dispositions de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, entre la somme de 317 304 euros, objet de la demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée, et celle de 228 612 euros relative à la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des travaux de l'immeuble en litige déduite par la société ; que l'administration a prononcé un dégrèvement à hauteur de la somme de 88 692 euros ; que par un jugement du 15 juin 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande de la SCI Le clos des vignes en constatant un dégrèvement à hauteur de 88 692 euros et en prononçant la restitution de la somme de 228 612 euros au titre du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle disposait à l'expiration du mois de janvier 2014 ; que le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement ;
Sur le bien fondé de l'imposition :
2. Considérant en premier lieu qu'aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) " ; qu'aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent, de manière indépendante, à titre habituel ou occasionnel, une ou plusieurs opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, quel que soit le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard d'autres impôts ou la nature de leur intervention (...) " ; qu'aux termes de l'article 257 du même code dans sa version applicable à la date des travaux et des ventes : " Sont également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 7° Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles. (...) " ; qu'aux termes de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable (...) 3. La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance. (...) III. A cet effet, les assujettis, qui sont autorisés à opérer globalement l'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée, sont tenus de procéder à une régularisation : (...) b) Lorsque l'opération n'est pas effectivement soumise à l'impôt ; IV. La taxe déductible dont l'imputation n'a pu être opérée peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions, selon les modalités et dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat(...) " ; qu'aux termes de l'article 207 VI de l'annexe II au même code : " Le montant de la taxe dont la déduction a déjà été opérée doit être reversé dans les cas suivants : 1° Lorsque les marchandises ont disparu ; / 2° Lorsque les biens ou services ayant fait l'objet d'une déduction de la taxe qui les avait grevés ont été utilisés pour une opération qui n'est pas effectivement soumise à l'impôt. / Ce reversement doit être opéré avant le 25 du mois qui suit celui au cours duquel l'événement qui motive le reversement est intervenu. Toutefois, ces reversements ne sont pas exigés lorsque les biens ont été détruits avant toute utilisation ou cession, ou volés, et qu'il est justifié de cette destruction ou de ce vol. " ; qu'aux termes de l'article 272 du même code : " 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a été perçue à l'occasion de ventes ou de services est imputée ou remboursée dans les conditions prévues à l'article 271 lorsque ces ventes ou services sont par la suite résiliés ou annulés (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière de celles de l'article 9 paragraphe 1 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, que le droit à déduction, qui prend naissance lorsque la taxe devient exigible chez le fournisseur, reste acquis, dès lors que l'assujetti s'est acquitté du prix des biens ou services et détient une facture mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée, même lorsque l'activité économique envisagée ne donne pas lieu à des opérations ouvrant droit à déduction ou lorsque l'assujetti n'a pas utilisé les biens ou services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d'une opération taxable, comme il prévoyait de le faire, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté et en l'absence de toute intention frauduleuse ou abusive ;
4. Considérant qu'au cours des années 2007 et 2008, la SCI Le clos des vignes a réalisé une opération de construction immobilière pour laquelle elle a déduit la taxe sur la valeur ajoutée à hauteur de 228 612 euros afférente aux travaux de construction ; qu'à la suite des ventes en l'état futur d'achèvement des lots immobiliers conclues entre janvier 2007 et
décembre 2008, la société a déclaré avoir collecté la somme 317 304 euros relative à la taxe sur la valeur ajoutée perçue lors de la conclusion des actes de vente ; qu'en raison de l'instabilité du terrain et des désordres apparus sur l'immeuble, par acte notarié du 30 décembre 2013, la SCI Le clos des vignes a conclu avec les acquéreurs desdits lots la résolution amiable des ventes au motif que les bâtiments construits étaient devenus impropres à leur destination ; que les parties ont convenu du remboursement du prix toutes taxes comprises, auquel la SCI Le clos des vignes a procédé en janvier 2014 ; que lors du dépôt de la déclaration de taxe sur la valeur ajoutée au titre du mois de janvier 2014, la société a demandé le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée né du montant de la taxe sur la valeur ajoutée remboursée aux acquéreurs des lots immobiliers dont les ventes ont été résolues pour un montant global de 317 304 euros ; qu'au cours de la première instance, ainsi qu'il a été dit plus haut, l'administration fiscale a restitué à la société la somme de 88 692 euros correspondant à la compensation opérée entre la taxe sur la valeur ajoutée restituée aux clients de la société et la taxe déductible dont la société a bénéficié lors de la réalisation des travaux de construction ; que le ministre soutient que la résolution de l'opération immobilière consécutive à la démolition de l'immeuble en cause ne confère pas à la société un droit au maintien de la taxe sur la valeur ajoutée déduite au titre de cet immeuble en raison de la disparition rétroactive des ventes ; que, selon l'administration, la taxe déductible doit être reversée sur le fondement du VI de l'article 207 de l'annexe II au code général des impôts ;
5. Considérant d'une part, qu'il n'est pas contesté qu'en raison de l'instabilité du terrain, des désordres importants sont apparus sur l'immeuble réalisé par la SCI Le clos des vignes, devenu impropre à son utilisation ; que les ventes conclues en l'état futur d'achèvement ont été résolues par acte notarié, comme il a été dit précédemment ; que par suite, la SCI Le clos des vignes a été contrainte de renoncer aux ventes des lots du bâtiment qu'elle avait réalisées, pour des raisons indépendantes de sa volonté et sans aucune intention frauduleuse ou abusive ; que, dès lors, nonobstant le caractère rétroactif de la résolution susmentionnée de l'opération immobilière, le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les travaux de construction reste acquis ;
6. Considérant d'autre part, qu'il résulte de l'instruction qu'en janvier 2014, la
SCI Le clos des vignes a remboursé à ses clients le montant du prix convenu lors des ventes des lots immobiliers ainsi que le montant de la taxe sur la valeur ajoutée collectée ; qu'il n'est pas contesté que cette taxe avait été effectivement perçue par le Trésor public, la société l'ayant mentionnée dans ses déclarations mensuelles de taxe sur la valeur ajoutée ; que par suite, en application des dispositions de l'article 272 du code général des impôts précité, la SCI Le clos des vignes disposait d'un droit à imputation et, le cas échéant, à restitution institué par ces dispositions dès lors que lesdites ventes ont été annulées par acte notarié du 30 décembre 2013 ;
7. Considérant en second lieu qu'aux termes de l'article 261 du code général des impôts dans sa version applicable au litige : " Sont exonérées de TVA : (...) 5. (opérations immobilières) : (...) 2° Les livraisons d'immeubles achevés depuis plus de cinq ans. " ;
8. Considérant que le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée est constitué en l'espèce par la signature des contrats de vente en l'état futur d'achèvement conclus entre
janvier 2007 et décembre 2008, avant que l'immeuble en cause ne soit achevé ; que le ministre n'est dès lors pas fondé à soutenir que la SCI Le clos des vignes ne peut prétendre au remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée collectée au motif que l'opération serait exonérée de taxe en application des dispositions précitées du 2° du 5 de l'article 261 du code général des impôts ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à la demande de la SCI Le clos des vignes en constatant un dégrèvement à hauteur de 88 692 euros et en lui restituant la somme de
228 612 euros au titre du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont elle disposait à l'expiration du mois de janvier 2014 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat à verser la somme de 1 500 euros à la SCI Le clos des vignes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la SCI Le clos des vignes une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à la SCI Le clos des vignes.
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N° 17NC01790