Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 janvier 2018, M.E..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 octobre 2017 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 29 mai 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de le rétablir dans le bénéfice de l'aide juridictionnelle dans la procédure devant le tribunal administratif ;
5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision de refus de titre de séjour :
- le préfet n'a pas examiné sa situation ; il n'a pas tenu compte de ses périodes d'arrêts de travail et d'indemnisation par la caisse primaire d'assurance maladie ;
- le jugement est entaché d'erreur de fait, dès lors que le préfet a retenu que la promesse d'embauche avait été établie en sa faveur ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; il réside en France sans interruption depuis 2010 et a toujours tenté de régulariser sa situation ; il est bien intégré et ne représente pas une menace à l'ordre public ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; sa seule famille proche, constituée de son frère et de sa mère en situation régulière chez qui il réside, est en France ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- cette décision doit être annulée en conséquence de l'illégalité des décisions de refus de séjour et portant obligation de quitter le territoire français ;
Par un mémoire en défense enregistré le 29 août 2018, le préfet de conclut au rejet de la requête ;
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. E...n'est fondé ;
M. E...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle de Nancy du 19 décembre 2017.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D...Dhers a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.E..., ressortissant arménien né le 15 juin 1987, est entré en France irrégulièrement le 23 novembre 2010 pour solliciter l'octroi du statut de réfugié ; que sa demande d'asile a été rejetée par décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 juin 2011, confirmée par décision de la Cour nationale du droit d'asile du 24 juillet 2012 ; que le 17 décembre 2013, l'intéressé a sollicité son admission exceptionnelle au séjour en se prévalant d'une promesse d'embauche ; que par arrêté du 24 mars 2014, dont la légalité a été confirmée par jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 novembre 2014, le préfet de la Moselle lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français en fixant le pays de renvoi ; que le 2 juin 2015, M. E...a réitéré sa demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'à la suite de l'avis défavorable du médecin de l'agence régionale de santé rendu au motif que l'intéressé ne nécessitait pas de prise en charge médicale, par arrêté du 7 octobre 2015, dont la légalité a été confirmée par jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 24 mars 2016 et de la cour administrative d'appel du 26 janvier 2017, le préfet de la Moselle lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français en fixant le pays de renvoi ; que le 22 août 2016, le requérant a formé une nouvelle demande d'admission exceptionnelle au séjour en se prévalant d'une promesse d'embauche ; que par arrêté du 29 mai 2017, le préfet de la Moselle lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français en fixant le pays de renvoi ; que M. E...relève appel du jugement du 18 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de ces décisions et lui a retiré le bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que le requérant fait valoir que le tribunal administratif a entaché sa décision d'erreur de fait en jugeant que la promesse d'embauche qu'il avait produite avait été établie en faveur de son frère, M. B...E... ; que dans l'hypothèse où les premiers juges auraient commis, comme le soutient M.E..., une erreur de fait susceptible de remettre en cause, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, les motifs qu'ils ont retenus pour rejeter sa requête, l'erreur alléguée qui se rapporte au bien-fondé du jugement attaqué resterait, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité de ce jugement ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 29 mai 2017 :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
3. Considérant, en premier lieu, que la décision attaquée fait état de la situation personnelle et familiale de l'intéressé sur le territoire national, et relève qu'il a travaillé de décembre 2013 à octobre 2014 au sein de la Sarl Décorat'Yves en qualité de peintre ; que cette motivation révèle que le préfet, qui n'était pas tenu de faire état de manière précise de tous les éléments avancés par l'intéressé, a procédé à un examen particulier de sa situation, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'il n'ait pas fait état de l'accident du travail subi par le requérant en février 2014 ; que le moyen tiré du défaut d'examen particulier de sa situation doit par suite être écarté ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) " ;
5. Considérant qu'en présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 313-14, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire " ; que dans cette dernière hypothèse, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ou d'un contrat lui permettant d'exercer une activité figurant dans la liste annexée à l'arrêté interministériel du 18 janvier 2008, ne saurait être regardé, par principe, comme attestant, par là-même, des " motifs exceptionnels " exigés par la loi ; qu'il appartient, en effet, à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner, notamment, si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger ainsi que les caractéristiques de l'emploi auquel il postule, dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et recensés comme tels dans l'arrêté du 18 janvier 2008, de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que par exemple, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'intéressé est célibataire et sans enfants, et ne justifie pas d'une forte intégration en France ; que la promesse d'embauche dont il se prévaut est en réalité établie en faveur de son frère ; qu'il se maintient en France malgré deux précédentes mesures d'éloignement, en multipliant les demandes de régularisation sans faire état d'aucun élément probant à cette fin ; qu'aucune considération humanitaire ou motif exceptionnel d'admission au séjour n'étant ainsi caractérisé, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et des demandeurs d'asile doit être écarté ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. Considérant, en premier lieu, que le requérant reprend en appel, sans apporter d'élément nouveau, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation ; qu'il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus, à juste titre, par le tribunal administratif de Strasbourg dans son jugement du 18 octobre 2017 ;
8. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
9. Considérant, ainsi qu'il a été dit au point 6, que M. E...se maintient en France au moyen de procédures dilatoires malgré le prononcé de deux précédentes mesures d'éloignement ; qu'il ne justifie pas de la qualité de son intégration ni de l'intensité de ses attaches, la seule présence en France de sa mère et de son frère ne suffisant pas à lui ouvrir un droit au séjour ; qu'il est célibataire et sans enfants et n'établit pas avoir rompu tout lien avec son pays d'origine où il a résidé la majeure partie de sa vie ; qu'ainsi le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise ; qu'il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'exception d'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire doit être écarté ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en annulation ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué, n'implique aucune mesure particulière d'exécution ; que, par suite, les conclusions susvisées ne peuvent être accueillies ;
Sur le retrait de l'aide juridictionnelle :
13. Considérant qu'aux termes de l'article 50 de la loi susvisée du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique : " (...) le bénéfice de l'aide juridictionnelle est retiré (...) 3° Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive " ; qu'aux termes de l'article 51 de la même loi : " Le retrait de l'aide juridictionnelle peut (...) intervenir d'office. / (...) Lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l'aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive, la juridiction saisie prononce le retrait total de l'aide juridictionnelle " ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 9 que M. E...se maintient en France en multipliant de manière abusive les demandes de régularisation sans aucun élément sérieux au soutien de ses demandes ; que c'est dès lors à bon droit que le tribunal administratif a prononcé le retrait de l'aide juridictionnelle qui lui avait été accordée à l'occasion de la procédure de première instance par décision du bureau d'aide juridictionnelle de Strasbourg du 13 juin 2017 ; qu'il y a lieu, pour les mêmes motifs, de prononcer également le retrait total de l'aide juridictionnelle qui a été accordée à M. E... dans le cadre de la procédure d'appel par décision du bureau d'aide juridictionnelle de Nancy du 19 décembre 2017 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
15. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée ;
16. Considérant que l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, ne saurait être condamné à verser à l'avocat de M. E...une somme en application de ces dispositions ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête susvisée présentée par M. E...est rejetée.
Article 2 : Le bénéfice de l'aide juridictionnelle dans le cadre de la procédure d'appel est retiré à M.E....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...E...et au ministre de l'intérieur.
Une copie du présent arrêt sera adressée au préfet de la Moselle.
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N° 18NC00212