Par un jugement n° 1800762,1800763 du 3 mai 2018, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour :
I.) Par une requête, enregistrée le 1er octobre 2018 sous le numéro 18NC02666, Mme D..., représentée par Me Jeannot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 février 2018 pris à son encontre ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;
- cette décision méconnaît le principe général du droit de l'Union européenne du droit d'être entendu dès lors qu'elle n'a pas été mise à-même de présenter ses observations ;
- la décision contestée est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- le préfet de Meurthe-et-Moselle a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet de Meurthe-et-Moselle a méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la fixation du pays de renvoi :
- l'illégalité de la précédente décision prive de base légale la décision fixant le pays de destination ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- la décision contestée est contraire aux stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- la décision contestée est contraire aux dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
II.) Par une requête, enregistrée le 1er octobre 2018 sous le numéro 18NC02667, M. D..., représenté par Me Jeannot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 février 2018 pris à son encontre ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;
- cette décision méconnaît le principe général du droit de l'Union européenne du droit d'être entendu dès lors qu'elle n'a pas été mise à-même de présenter ses observations ;
- la décision contestée est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur la fixation du pays de renvoi :
- l'illégalité de la précédente décision prive de base légale la décision fixant le pays de destination ;
- cette décision est insuffisamment motivée ;
- la décision contestée est contraire aux stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- la décision contestée est contraire aux dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 14 janvier 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. et Mme D...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nancy du 23 août 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Dhers a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes susvisées n° 18NC02666 et 18NC02667 concernent la situation de M. et Mme D...au regard de leur droit au séjour en France et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. M. et MmeD..., ressortissants arméniens respectivement nés les 15 août 1972 et 1er mars 1976, sont entrés en France le 12 décembre 2016. Ils ont déposé des demandes d'asile qui ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 18 avril 2017 et par la Cour nationale du droit d'asile le 15 janvier 2018. Par deux arrêtés du 22 février 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé leur pays de destination. Les requérants relèvent appel du jugement du 3 mai 2018 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité des arrêtés contestés :
3. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...)10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ". Aux termes de l'article R. 511-1 du même code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511-4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration Cet avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ".
4. Dès lors qu'elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir qu'un étranger, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie qu'elle prévoit des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire, l'autorité préfectorale doit, lorsqu'elle envisage de prendre une telle mesure à son égard recueillir préalablement l'avis de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme D...a formulé une demande de titre de séjour pour raisons de santé par courrier du 10 février 2018, notifié au préfet de Meurthe-et-Moselle le 16 suivant, en faisant valoir qu'elle était atteinte d'une pathologie depuis plusieurs années, que son état de santé s'était aggravé, qu'un défaut de prise en charge médicale aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'elle ne pourrait plus bénéficier de traitements appropriés en cas de retour en Arménie. Dans ces circonstances, et alors même que la requérante n'avait pas précisé la nature de la pathologie en cause, ce qu'elle n'était pas tenue de faire, le préfet de Meurthe-et-Moselle aurait dû saisir pour avis le collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration avant d'édicter la décision contestée. Ce vice de procédure a été susceptible d'exercer, dans les circonstances de l'espèce, une influence sur le sens de cette décision. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme D... est fondée à demander l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, celle fixant le pays de renvoi.
6. Considérant que, pour les motifs exposés au point précédent, M. D...est fondé à soutenir que le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle en ne tenant pas compte de la demande de titre de séjour formulée par son épouse sur le fondement du 11° de l'article L. 313-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. D...est fondé à demander l'annulation de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ainsi que, par voie de conséquence, celle fixant le pays de renvoi.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté leurs demandes.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique que la situation de M. et MmeD... soit réexaminée. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de procéder à ce réexamen dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Il résulte des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner la partie perdante à lui verser la somme correspondant à celle qu'il aurait réclamée à son client, si ce dernier n'avait pas eu l'aide juridictionnelle, à charge pour l'avocat qui poursuit, en cas de condamnation, le recouvrement de la somme qui lui a été allouée par le juge, de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
10. M. et Mme D...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Jeannot, avocate de M. et MmeD..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Jeannot de la somme de 1 500 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1800762,1800763 du tribunal administratif de Nancy du 3 mai 2018 est annulé.
Article 2 : Les arrêtés du préfet de Meurthe-et-Moselle du 22 février 2018 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de procéder à un réexamen de la situation de M. et Mme D...dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Jeannot, avocate de M. et MmeD..., une somme de 1 500 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D...est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D...née C..., à M. A...D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 18NC02666,18NC02667