Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 octobre 2017, Mme B...D..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy du 12 septembre 2017 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 7 juin 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou, à titre subsidiaire, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté a été pris par une autorité incompétente ;
- cet arrêté est insuffisamment motivé ;
- les dispositions nationales sur la motivation des décisions de retour sont contraires à l'article 12 de la directive du 16 décembre 2008 ;
- le préfet a omis d'examiner sa situation ;
- les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaissent les articles 7 et 14 de la directive précitée en tant qu'elles prévoient un délai de départ volontaire d'une durée fixe sans possibilité de l'adapter à la situation de l'étranger ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire est insuffisamment motivée ;
- le préfet ne justifie pas des raisons pour lesquelles il n'a pas été dérogé au délai de trente jours prévu par les dispositions de l'article L. 511-1 ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur de droit dès lors que sa situation justifie qu'un délai supérieur à trente jours lui soit accordé ;
- elle se trouve dans une situation faisant obstacle à tout éloignement, notamment au regard de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la mesure d'éloignement et la décision fixant le délai de départ volontaire ont été prises en méconnaissance de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et du principe général rappelé par l'article 41.2 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- sa vie serait en danger en cas de retour en Russie.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 mars 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeD..., ressortissante russe née le 10 octobre 1972, a fait l'objet le 15 janvier 2015 d'une décision portant refus de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français ; que l'intéressée déclare avoir exécuté cette mesure d'éloignement et être de nouveau entrée irrégulièrement sur le territoire français, le 5 janvier 2016, en vue de solliciter le réexamen de sa demande d'asile ; que cette demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 29 février 2016, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 23 mai 2016 ; que, tirant les conséquences de la décision de la CNDA, le préfet de Meurthe-et-Moselle a, par un arrêté du 7 juin 2017, obligé Mme D...à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite à l'expiration de ce délai ; que Mme D... fait appel du jugement du 12 septembre 2017 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ;
Sur les conclusions aux fins d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Considérant que Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 23 janvier 2018 ; que, dès lors, les conclusions susvisées sont devenues sans objet et qu'il n'y a plus lieu d'y statuer ;
Sur les moyens soulevés à l'encontre de l'arrêté contesté :
3. Considérant, en premier lieu, que par un arrêté du 25 août 2015, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du même jour, le préfet de Meurthe-et-Moselle a donné délégation à M. Jean-François Raffy, secrétaire général de la préfecture, à l'effet de signer tous les arrêtés, décisions, circulaires, rapports, documents et correspondances relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception des arrêtés de conflit ; qu'ainsi, et contrairement à ce que soutient MmeD..., M. A...avait reçu délégation, par un acte qui n'est ni trop général ni imprécis eu égard aux responsabilités incombant à un secrétaire général, pour signer l'arrêté contesté pris à son encontre ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cet arrêté doit être écarté comme manquant en fait ;
4. Considérant, en second lieu, qu'il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de l'arrêté contesté que le préfet de Meurthe-et-Moselle se serait cru en situation de compétence liée pour obliger la requérante à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et pour fixer la Russie comme de pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office ; que par ailleurs, il ressort des termes mêmes de l'arrêté litigieux que le préfet a procédé à un examen circonstancié de sa situation avant de prendre les mesures contestées à son encontre ;
Sur les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 12 de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier : " Les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d'interdiction d'entrée ainsi que les décisions d'éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles (...) " ; qu'aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) / La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I (...) " ; qu'il est constant que la décision obligeant la requérante à quitter le territoire français a été prise sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'une décision prise sur ce fondement doit, en application du même article, faire l'objet d'une motivation, ainsi qu'il est prévu par l'article 12 de la directive du 16 décembre 2008 ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que les dispositions nationales appliquées à Mme D... méconnaîtraient l'article 12 de la directive du 16 décembre 2008 doit être écarté ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que la décision contestée mentionne les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est suffisamment motivée ;
7. Considérant, en troisième lieu, que lorsqu'il sollicite la délivrance d'un titre de séjour, notamment au titre de l'asile, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement ; qu'à l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande ; qu'il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles ; qu'il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux ; que le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour ;
8. Considérant que, contrairement à ce qu'elle soutient, Mme D...a présenté une demande tendant à la reconnaissance d'un droit au séjour au titre de l'asile ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressée ait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ni qu'elle ait été empêchée de s'exprimer avant que ne soit prise la mesure d'éloignement litigieuse ; que, par suite, le préfet de Meurthe-et-Moselle, qui n'était pas tenu d'inviter Mme D...à formuler des observations avant l'édiction de cette mesure, ne l'a pas privée de son droit à être entendue, notamment énoncé au paragraphe 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
9. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français ; que, dès lors, les dispositions des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui fixent les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées, ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre de la décision contestée ;
10. Considérant, en dernier lieu, que MmeD..., célibataire et sans enfant, est entrée en France le 5 janvier 2016, à l'âge de quarante-trois ans et justifie d'une durée de séjour sur le territoire national limitée à dix-sept mois à la date de la décision contestée ; que contrairement à ce qu'elle soutient, elle se trouve en situation irrégulière ; qu'elle ne justifie d'aucune insertion sociale ou professionnelle sur le territoire français ; qu'il ne ressort pas du certificat médical établi le 19 juin 2017 par le médecin traitant de la requérante, selon lequel elle souffre d'une hypothyroïdie, que son état de santé nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité au sens du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que dès lors, le préfet de Meurthe-et-Moselle a pu décider de l'éloigner du territoire français sans commettre d'erreur manifeste dans son appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de la requérante, ni méconnaitre les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision fixant le délai de départ volontaire :
11. Considérant, en premier lieu, que Mme D...reprend en appel, sans apporter d'élément nouveau, le moyen tiré de ce que les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaitraient les articles 7 et 14 de la directive du 16 décembre 2008 en tant qu'elles prévoient un délai de départ volontaire d'une durée fixe sans possibilité de l'adapter à la situation de l'étranger, ainsi que le moyen tiré de ce que la décision fixant un délai pour son départ volontaire serait insuffisamment motivée ; qu'il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le premier juge ;
12. Considérant, en deuxième lieu, que pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 7 à 9, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et du droit à être entendu, notamment énoncé au paragraphe 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent être écartés ;
13. Considérant, en dernier lieu, que le préfet de Meurthe-et-Moselle a estimé qu'en l'absence de circonstances particulières, il n'y avait pas lieu de faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour fixer au-delà de trente jours le délai imparti à Mme D...pour quitter volontairement le territoire français ; que si la requérante soutient souffrir d'une hypothyroïdie, il n'est pas établi au vu de cette seule circonstance que le préfet aurait inexactement apprécié sa situation avant de fixer le délai de départ volontaire à trente jours et entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi :
14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 " ; qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants " ;
15. Considérant que Mme D...soutient faire l'objet de poursuites en Russie en raison de la relation qu'elle y entretenait avec un combattant de la cause tchétchène ; que ni les attestations produites à l'instance, ni la convocation du 25 mai 2017 en vue d'un interrogatoire auprès des services de police de la ville de Grozny, laquelle est dépourvue de valeur probante, ne suffisent à démontrer que la requérante encourrait personnellement le risque de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine ; que, par suite, Mme D...n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi méconnaitrait les dispositions et stipulations précitées ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la demande de sursis à statuer, que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de Mme D...tendant à son admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le surplus de la requête de Mme D... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à MmeB... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 17NC02442