Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 décembre 2014, la société Régie Networks, représentée par Me A...et MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 novembre 2014 ;
2°) de prononcer la restitution sollicitée ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne sur l'interprétation et la portée de son arrêt du 22 décembre 2008, C-333/07, société Régie Networks, et notamment sur la question de savoir si l'exécution de l'arrêt implique la restitution intégrale de l'impôt versé par les entreprises bénéficiant de l'exception à la limitation des effets dans le temps ou si les règles de droit national en matière de prescription de la période répétible peuvent y faire partiellement obstacle, et, si oui, dans quelles proportions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que le délai de forclusion prévu par le quatrième alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ne pouvait lui être opposé sans violer les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'arrêt Régie Networks de la Cour de justice des Communautés européennes, qui porte sur une question d'appréciation de validité, aurait révélé l'incompatibilité du décret du 29 décembre 1997 avec une norme de droit supérieure, en l'espèce une règle de droit communautaire ;
- les principes du droit de l'Union européenne de primauté et d'effectivité ainsi que l'autorité de la chose jugée par la Cour de justice des Communautés européennes font obstacle à ce que les dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales lui soient appliquées ;
- elle a été privée de ses droits patrimoniaux protégés par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- compte tenu de sa situation particulière, des actions contentieuses qu'elle avait précédemment engagées et de ce que l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes vise les entreprises, elle bénéficie d'un droit subjectif à pouvoir se prévaloir, dans les litiges devant les juridictions nationales de l'effet de cet arrêt ;
- le tribunal ne pouvait pas retenir la forclusion sans saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question de savoir quelle devrait être l'interprétation à retenir de la modulation dans le temps des effets de l'arrêt C-333/07.
Par des mémoires en défense, enregistré les 18 mars 2015 et 29 mai 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- la réclamation présentée par la société Régie Networks le 29 décembre 2010 était tardive en vertu du b de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;
- l'irrecevabilité ne porte pas atteinte aux principes du droit de l'Union européenne d'effectivité et de primauté et la société requérante ne peut être regardée comme ayant été privée de l'espérance légitime d'obtenir la restitution sollicitée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 97-1263 du 29 décembre 1997 ;
- l'arrêt du 22 décembre 2008, C-333/07, Régie Networks de la Cour de justice des Communautés européennes ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dhiver,
- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public.
1. Considérant que la société Régie Networks, qui vient aux droits de la société Régie Networks Est, a, par une réclamation datée du 29 décembre 2010, demandé à l'administration fiscale la restitution de la taxe sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision afférente à la période allant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2000 ; que sa réclamation a été rejetée par une décision du 28 mars 2011 au motif qu'elle était tardive ; que la société Régie Networks relève appel du jugement du 27 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à la restitution de la taxe en cause ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que la société Régie Networks soutenait en première instance que le délai de forclusion prévu par le quatrième alinéa de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ne pouvait lui être appliqué sans violer les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le tribunal a opposé à la société requérante l'existence de ce délai sans, au préalable, avoir répondu au moyen, qui n'était pas inopérant ; qu'il s'ensuit que son jugement doit être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de la société Régie Networks présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
Sur la recevabilité de la demande de la société Régie Networks :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 29 décembre 1997 portant création d'une taxe parafiscale au profit d'un fonds de soutien à l'expression radiophonique, codifié à l'article 365 de l'annexe II au code général des impôts : " Il est institué, à compter du 1er janvier 1998 et pour une durée de cinq ans, une taxe parafiscale sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision destinée à financer un fonds d'aide aux titulaires d'une autorisation de service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne dont les ressources commerciales provenant de messages diffusés à l'antenne et présentant le caractère de publicité de marque ou de parrainage sont inférieures à 20 % de leur chiffre d'affaires total./ Cette taxe a pour objet de favoriser l'expression radiophonique " ; qu'aux termes de l'article 2 de ce décret : " La taxe est assise sur les sommes, hors commission d'agence et hors taxe sur la valeur ajoutée, payées par les annonceurs pour la diffusion de leurs messages publicitaires à destination du territoire français " ;
5. Considérant qu'aux termes des troisième à cinquième alinéas de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle ou un avis rendu au contentieux, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision ou l'avis révélant la non-conformité est intervenu. / Pour l'application du quatrième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles ou des avis rendus au contentieux les décisions du Conseil d'Etat ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, les arrêts de la Cour de cassation ainsi que les avis rendus en application de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, les arrêts du Tribunal des conflits et les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes se prononçant sur un recours en annulation, sur une action en manquement ou sur une question préjudicielle " ; qu'aux termes de l'article R. 196-1 du même livre, dans sa rédaction applicable à la même procédure : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas: / a. De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / b. Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / c. De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. / (...) " ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 4 du décret du 29 décembre 1997, codifié à l'article 365 C de l'annexe II au code général des impôts : " La taxe est assise, liquidée et recouvrée, pour le compte du fonds, par la direction générale des impôts selon les mêmes règles, garanties et sanctions que celles qui sont prévues pour la taxe sur la valeur ajoutée " ; qu'il résulte de ces dispositions que les délais de réclamation applicables à la taxe contestée sont définis par le livre des procédures fiscales ;
7. Considérant que, s'agissant des décisions et avis rendus au contentieux par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation, le Tribunal des conflits et la Cour de justice de l'Union européenne, seuls ceux qui révèlent directement l'incompatibilité avec une règle de droit supérieure de la règle de droit dont il a été fait application pour fonder l'imposition en litige sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement au sens du c précité de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ainsi que de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre dans sa rédaction alors applicable ;
8. Considérant que, par l'arrêt du 22 décembre 2008 Régie Networks, C-333/07, la Cour de justice des Communautés européennes a relevé que la taxe parafiscale sur la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de télévision, instituée par l'article 1er du décret du 29 décembre 1997, faisait partie intégrante du régime des aides à l'expression radiophonique qu'elle servait à financer, que la Commission devait prendre en considération cette taxe lors de l'examen du régime d'aides et qu'elle n'avait pas examiné le mode de financement de ces aides ; qu'elle a jugé, en conséquence, que la décision de la Commission du 10 novembre 1997 de ne pas soulever d'objection à l'encontre du régime d'aide en faveur des stations de radio locales était invalide et qu'il y avait lieu de tenir en suspens les effets de ce constat d'invalidité jusqu'à l'adoption d'une nouvelle décision par la Commission, sauf pour les entreprises ayant introduit avant la date du prononcé de son arrêt un recours en justice ou une réclamation équivalente portant sur la perception de la taxe ; que cet arrêt de la Cour n'a ainsi pas révélé directement l'incompatibilité du décret du 29 décembre 1997 avec le droit communautaire ;
9. Considérant que l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 22 décembre 2008 n'ayant pas révélé directement l'incompatibilité du décret du 29 décembre 1997 avec le droit communautaire, il ne peut constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par la réalisation d'un événement au sens du c précité de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ainsi que de la période sur laquelle l'action en restitution peut s'exercer en application de l'article L. 190 du même livre ; que, par suite, la société Régie Networks est fondée à soutenir que l'administration ne pouvait rejeter sa réclamation en se fondant sur cette disposition ;
10. Considérant, toutefois, que, pour obtenir la restitution de la taxe contestée, la société Régie Networks devait avoir présenté sa réclamation dans le délai prévu au b précité de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ; qu'il est constant qu'elle n'a soumis à l'administration fiscale aucune réclamation dans ce délai pour les années 1998, 1999 et 2000 ; que, par suite, la réclamation de la société Régie Networks datée du 29 décembre 2010 portant sur la période allant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2000 était tardive ;
11. Considérant que le délai de réclamation de deux ans à compter du versement de la taxe ou de sa mise en recouvrement tel qu'il résulte de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales est suffisant pour permettre aux contribuables de faire valoir utilement leurs droits ; que, par suite, la société Régie Networks n'est pas fondée à soutenir qu'auraient été méconnus le droit de l'Union européenne ou les exigences qui s'attachent à la protection d'un droit patrimonial telles qu'elles découlent des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
12. Considérant, enfin, que la circonstance que l'arrêt C-333/07 mentionne que sont exceptées de la limitation des effets dans le temps qu'il prononce les entreprises qui ont introduit avant la date du prononcé de l'arrêt un recours en justice ou une réclamation équivalente quant à la perception de la taxe parafiscale n'a pas pour effet de permettre à ces entreprises de demander, après l'intervention de cet arrêt, la décharge de cotisations portant sur des années au titre desquelles elles n'ont présenté aucune réclamation dans le délai prévu par le b précité de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, au motif qu'elles auraient présenté dans ce délai une réclamation portant sur des années immédiatement postérieures à celles en cause en la présente affaire ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la demande de la société Régie Networks doit être rejetée ; que l'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 27 novembre 2014 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Régie Networks devant le tribunal administratif de Strasbourg est rejetée, ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Régie Networks et au ministre des finances et des comptes publics.
''
''
''
''
2
N° 14NC02324