Par une requête enregistrée le 13 avril 2018, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 15 mars 2018 et de rejeter la demande présentée par M. A...D....
Il soutient que :
- il n'a commis aucune erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'un refus de séjour sur la situation de M. D...dès lors que celui-ci est arrivé en France en 2016, que la procédure de procréation médicalement assistée, engagée avec son épouse, n'est pas très avancée, que la vie familiale peut se poursuivre dans le pays d'origine des conjoints, que leur union est récente et que l'intéressé peut bénéficier d'un regroupement familial ;
- les moyens soulevés par M. D...devant le tribunal administratif ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 août 2018, M. A... D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté a été pris par une autorité incompétente ;
- le refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale normale dès lors que la procédure de procréation médicalement assistée, engagée avec son épouse, nécessite sa présence en France ;
- le préfet de Meurthe-et-Moselle a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée pour lui refuser le droit au séjour ;
- la procédure de procréation médicalement assistée dans laquelle il s'est engagé et la présence régulière de son épouse en France constituent des motifs exceptionnels d'admission au séjour ;
- les décisions l'obligeant à quitter le territoire français et fixant à trente jours le délai de départ volontaire ne sont pas suffisamment motivées ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée pour fixer à trente jours le délai de départ volontaire ;
- il n'a pas procédé à un examen de sa situation personnelle avant de fixer ce délai ;
- la décision fixant le pays de renvoi n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Guérin-Lebacq a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant turc né le 10 septembre 1975, est entré régulièrement en France le 27 septembre 2016 sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités consulaires allemandes en Turquie, afin de rejoindre son épouse titulaire d'une carte de résident, également de nationalité turque. L'intéressé a sollicité, le 24 octobre 2017, la délivrance d'un titre de séjour en faisant état de sa situation privée et familiale. Par un arrêté du 14 novembre 2017, le préfet de Meurthe-et-Moselle a rejeté la demande de M. D...et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d'origine. Le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement du 15 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté.
Sur le moyen retenu par le tribunal administratif :
2. M. D...soutenait devant le tribunal administratif qu'il résidait en France depuis le 27 septembre 2016, que son épouse, titulaire d'une carte de résident, souffrait d'une pathologie affectant la thyroïde et que le couple était engagé dans une procédure d'assistance médicale à la procréation. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. D...est entré récemment sur le territoire français, un peu plus d'un an avant la décision lui refusant le droit au séjour. Les éléments médicaux produits à l'instance ne démontrent pas la nécessité pour l'intéressé de demeurer auprès de son épouse en raison de la pathologie thyroïdienne dont elle serait atteinte. Si les époux ont fait l'objet d'examens préliminaires au cours du mois de mai 2017 et ont signé, le 12 juillet 2017, une demande d'assistance médicale à la procréation auprès du centre hospitalier régional universitaire de Nancy, il n'est pas établi que les traitements nécessités par la procédure de procréation médicalement assistée seraient parvenus à un stade avancé à la date du refus de séjour. Il ressort au contraire des éléments médicaux produits en appel que ces traitements n'ont pas commencé avant le mois de juin 2018. Par suite, le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé l'arrêté du 14 novembre 2017 au motif que sa décision de refus de séjour était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
3. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D...devant le tribunal administratif de Nancy.
Sur les autres moyens soulevés devant le tribunal administratif :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté :
4. Par un arrêté du 26 octobre 2017 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet de Meurthe-et-Moselle a donné délégation à M. E... B..., sous-préfet de l'arrondissement de Briey chargé d'assurer par intérim les fonctions de secrétaire général de la préfecture, pour signer tous les arrêtés relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception des arrêtés de conflit. M.B..., signataire de l'arrêté contesté, était donc compétent pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. D...et l'obliger à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d'origine.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés à l'encontre des décisions de refus de séjour et d'éloignement :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger (...) / La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I (...) ".
6. D'une part, la décision refusant de délivrer un titre de séjour à M. D... mentionne les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment ses articles L. 313-11 et L. 313-14. Cette décision indique de façon suffisamment précise et circonstanciée les raisons pour lesquelles le préfet de Meurthe-et-Moselle a estimé que l'intéressé ne justifiait pas d'un droit au séjour en application des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code précité et qu'il n'y avait pas lieu de procéder à sa régularisation en l'absence de motif humanitaire ou exceptionnel. Par suite, la décision refusant un titre de séjour à M.D..., qui comporte l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivée.
7. D'autre part, la décision portant obligation de quitter le territoire français rappelle les dispositions du 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant à l'autorité compétente d'assortir sa décision de refus de séjour d'une mesure d'éloignement. La décision obligeant M. D...à quitter le territoire français n'avait donc pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision lui refusant un titre de séjour, laquelle est suffisamment motivée. A cet égard, le requérant ne saurait utilement se prévaloir sur ce point d'une méconnaissance de l'article 12 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 qui a fait l'objet d'une transposition en droit interne par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit " à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".
9. Si M. D...fait état du séjour régulier sur le territoire français de son épouse, avec laquelle il s'est marié en Turquie le 27 juin 2016, il ressort des pièces du dossier qu'il est entré en France le 27 septembre 2016 seulement, après avoir vécu jusqu'à l'âge de 41 ans dans son pays d'origine. Ainsi qu'il a été dit plus haut, M. D...ne démontre pas que la pathologie thyroïdienne dont son épouse serait atteinte lui imposerait de demeurer auprès d'elle. Il n'est pas établi non plus que l'assistance médicale à la procréation pour laquelle ils ont fait une demande le 12 juillet 2017 auprès du centre hospitalier régional universitaire de Nancy serait parvenue à un stade avancé à la date de l'arrêté contesté. Dans ces conditions, eu égard notamment à la durée du séjour en France de M. D..., le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par les décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Par ailleurs, M.D..., qui entre dans une catégorie ouvrant droit au regroupement familial, ne saurait se prévaloir d'une méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En dernier lieu, compte tenu des éléments mentionnés ci-dessus, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de M. D... en estimant qu'il ne faisait pas état de motifs humanitaires ou exceptionnels de nature à permettre la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que le préfet se serait estimé, à tort, en situation de compétence liée pour prendre les mesures contestées à l'encontre de l'intéressé.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours :
11. En premier lieu, aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification pour rejoindre le pays dont il possède la nationalité (...) / Le délai de départ volontaire accordé à l'étranger peut faire l'objet d'une prolongation par l'autorité administrative pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français (...) ".
12. Il résulte des dispositions précitées qu'en dehors des hypothèses où il refuse d'accorder un délai de départ volontaire ou de le prolonger à la demande de l'étranger, le préfet n'est pas tenu de motiver spécifiquement sa décision fixant le délai légal accordé à l'étranger pour satisfaire à l'obligation de quitter le territoire français. Il ne ressort pas des pièces des dossiers que M. D...aurait demandé au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui accorder un délai supérieur au délai de trente jours prévu par le II de l'article L. 511-1. Par suite, le moyen tiré d'une prétendue insuffisance de motivation de la décision fixant ce délai de départ volontaire doit être écarté.
13. En deuxième lieu, M. D...invoque " la législation nationale et européenne " qui impose selon lui une procédure contradictoire permettant à l'étranger de présenter ses observations écrites avant que le préfet ne prenne sa décision accordant ou refusant un délai de départ volontaire. A supposer que l'intéressé ait entendu se prévaloir des dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que ces dispositions ne s'adressent qu'aux institutions, organes et organismes de l'Union et non aux Etats membres. Par ailleurs, il ressort de l'ensemble des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment de son article L. 512-1, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises les décisions par lesquelles l'autorité administrative oblige un ressortissant étranger à quitter le territoire français en assortissant cette obligation d'un délai de départ volontaire. Dès lors, à supposer que M. D...ait entendu se référer aux dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, il ne saurait utilement s'en prévaloir à l'encontre de la décision contestée.
14. En troisième lieu, la menace que peut représenter le comportement de l'étranger pour l'ordre public, le caractère manifestement frauduleux ou infondé de sa demande de titre de séjour ou le risque de fuite qu'il pourrait présenter sont des circonstances que le préfet peut prendre en compte, en application du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour lui refuser un délai de départ volontaire. Dans ces conditions, si M. D...soutient qu'il ne présente aucune menace pour l'ordre public, que sa demande de titre de séjour n'était ni frauduleuse ni infondée et que son comportement ne révèle aucun risque de fuite, ces circonstances ne sont pas de nature à révéler que la décision limitant à trente jours le délai accordé pour organiser son départ serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
15. En dernier lieu, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que le préfet aurait omis de procéder à un examen de la situation de M. D...avant de fixer à trente jours le délai accordé pour satisfaire à l'obligation de quitter le territoire français.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés à l'encontre de la décision fixant le pays de destination :
16. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 13 que le moyen tiré de l'absence de procédure contradictoire, en méconnaissance de " la législation nationale et européenne ", doit être écarté.
17. En second lieu, si M. D...soutient que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prohibe les traitements inhumains et dégradants, il n'apporte pas à l'instance les précisions qui permettraient à la juridiction de se prononcer sur un tel moyen.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé son arrêté du 14 novembre 2017.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont M. D...demande le versement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy n° 1703410 du 15 mars 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif de Nancy, ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 18NC01194