Par une requête enregistrée le 25 avril 2019, M. B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 janvier 2019 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 17 janvier 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Meurthe-et-Moselle de lui délivrer une carte de séjour temporaire avec autorisation de travail ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les décisions contestées sont insuffisamment motivées ;
- le préfet n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;
- le tribunal n'a pas répondu à ces deux moyens ;
- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant des moyens dirigés contre l'obligation de quitter le territoire français tirés de la violation de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des lignes directrices de la circulaire Valls et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant du moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont est entachée la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les dispositions du 7° de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du même code ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient, en se référant à son mémoire présenté en première instance, que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la circulaire du 28 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant kosovar, est entré sur le territoire français, selon ses déclarations, le 26 mars 2013, afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 31 janvier 2014, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 22 octobre 2014. Il a fait l'objet, en 2014 et en 2016, de deux décisions de refus de titre de séjour assorties d'obligations de quitter le territoire français qu'il n'a pas exécutées. Le 22 juin 2017, il a à nouveau sollicité son admission exceptionnelle au séjour, qui a été implicitement rejetée. Par un arrêté du 17 janvier 2019, le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de vingt mois. M. B... fait appel du jugement du 23 janvier 2019 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nancy, statuant dans le cadre des dispositions du III de l'article L.512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le premier juge n'a pas suffisamment motivé son jugement en ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur d'appréciation dont est entachée la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français manque en fait dès lors que le tribunal administratif de Nancy a pris en compte l'irrégularité du séjour de M. B..., le nombre de mesures d'éloignement dont il a fait l'objet et l'absence d'attaches en France pour estimer qu'une durée de vingt mois d'interdiction n'était pas excessive.
3. En second lieu, M. B... avait présenté devant le tribunal administratif de Nancy le moyen tiré du défaut de motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Le premier juge n'a pas examiné ce moyen, qui n'était pas inopérant. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier comme entaché d'omission à statuer et à en demander l'annulation en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français.
4. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur ces conclusions et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions présentées devant le tribunal administratif.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, la décision contestée a été signée par M. C... A..., directeur de la citoyenneté et de l'action locale, qui disposait, en vertu d'un arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 30 août 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, d'une délégation à l'effet de signer dans le cadre des attributions de la direction les décisions relevant notamment de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige doit être écarté.
6. En deuxième lieu, la décision obligeant M. B... à quitter le territoire français vise le 3° du I de l'article L.511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur le fondement duquel cette mesure d'éloignement a été prise et décrit, en particulier, le parcours individuel et administratif du requérant ainsi que les éléments d'ordre personnel susceptibles de faire obstacle à la mesure d'éloignement envisagée à son égard. Cette décision, dont la rédaction n'est pas stéréotypée, comporte donc l'ensemble des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et révèle en outre que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation de M. B.... Par suite, doivent être écartés les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision litigieuse ainsi que d'un prétendu défaut d'examen.
7. En troisième lieu, eu égard à la date de sa demande d'asile, présentée en 2013, le requérant n'est pas fondé à invoquer une méconnaissance des dispositions de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles ne lui sont pas applicables. En tout état de cause, il ressort du relevé des informations de la base de données " Telemofpra ", que la décision de la Cour nationale du droit d'asile a été notifiée à l'intéressé le 31 octobre 2014. Le moyen tiré de ce que le requérant bénéficierait du droit de se maintenir sur le territoire français faute de notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ne peut ainsi qu'être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
9. M. B... se prévaut d'une durée de séjour de six ans sur le territoire français, de la scolarisation de ses enfants en France ainsi que de ses efforts d'intégration notamment par une promesse d'embauche et des activités bénévoles. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le requérant ne se maintient sur le territoire français qu'à la faveur de sa soustraction systématique aux mesures d'éloignement prises à son encontre et que son épouse est également en situation irrégulière sur le territoire national. Par ailleurs, il n'établit pas être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine où il a vécu la majeure partie de son existence et ne fait état d'aucun élément qui s'opposerait à ce que la cellule familiale puisse se reconstituer au Kosovo, ni à ce que ses enfants y poursuivent leur scolarité. Enfin, s'il se prévaut de nombreuses relations sociales et amicales, ces éléments ne suffisent pas à établir que le préfet aurait, en prenant la décision contestée, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations citées ci-dessus doit être écartés.
10. En cinquième lieu, le préfet ne peut légalement obliger un étranger à quitter le territoire français si celui-ci réunit les conditions d'attribution de plein droit d'un titre de séjour. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
11. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 ci-dessus que la décision contestée ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale de M. B... une atteinte disproportionnée et qu'ainsi, l'intéressé ne relève pas du cas d'attribution de plein droit d'une carte de séjour prévu au 7° de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de ce que ces dispositions faisaient obstacle à ce que le préfet l'oblige à quitter le territoire français doit être écarté.
12. En sixième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 est inopérant à l'appui de la contestation d'une décision portant obligation de quitter le territoire français et doit dès lors être écarté.
13. En dernier lieu, les énonciations de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière constituent des orientations générales dépourvues de caractère règlementaire dont M. B... ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l'excès de pouvoir.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
14. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : 1° A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de ces stipulations : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. Si M. B... soutient qu'il serait exposé à des risques pour sa liberté en cas de retour au Kosovo, où il aurait été condamné à une peine d'emprisonnement, les pièces qu'il produit ne permettent pas d'établir la réalité des risques allégués en cas de retour dans ce pays alors que, par ailleurs, sa demande d'asile a été rejetée tant par l'OFPRA que par la CNDA. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions et stipulations citées ci-dessus doit être écarté.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
16. En premier lieu, la décision contestée, qui vise le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mentionne que M. B..., qui ne semble pas représenter une menace pour l'ordre public, a déjà fait l'objet de deux précédentes mesures d'éloignement auxquelles il n'a pas déféré, qu'il a passé la majorité de sa vie hors du territoire national et qu'il ne démontre pas l'intensité de ses liens avec la France où il ne dispose d'aucune attache familiale. Par suite, la décision en litige doit être regardée comme suffisamment motivée au regard des critères d'appréciation fixés par la loi pour déterminer la durée de l'interdiction.
17. En second lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, comme celui tiré de l'erreur d'appréciation, sur lequel le jugement est suffisamment motivé, doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est fondé ni à demander l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté le surplus de ses conclusions. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n°1900163 du 23 janvier 2019 du tribunal administratif de Nancy est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... contre la décision du 17 janvier 2019 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nancy tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B....
Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.
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N° 19NC01258