Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 novembre 2018, M. C..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 28 juin 2018 ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 28 décembre 2017 du préfet de la Moselle ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans un délai déterminé, le cas échéant sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il n'est pas établi que le médecin rapporteur n'a pas siégé lors de la délibération du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- il n'est pas établi que le collège de médecins aurait rendu son avis à l'issue d'une délibération, conformément aux dispositions de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 ;
- le préfet a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée pour l'obliger à quitter le territoire français ;
- le préfet a méconnu le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnait les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard à ses conséquences sur sa situation personnelle compte tenu du risque d'aggravation de son état de santé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2019, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant bosniaque né le 7 décembre 1983, déclare être entré irrégulièrement en France le 6 août 2015 pour y solliciter le bénéfice du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 12 novembre 2015, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 27 janvier 2017. Le requérant a saisi le préfet d'une demande tendant à la régularisation de son séjour en se prévalant de son état de santé. Par un arrêté du 28 décembre 2017, le préfet de la Moselle a refusé de l'admettre au séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d'origine. M. C... fait appel du jugement du 28 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :
2. En premier lieu, aux termes du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est, sous réserve d'une menace pour l'ordre public, délivrée de plein droit à " l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé (...) ".
3. L'article R. 313-22 du même code dispose que : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ".
4. Aux termes de l'article R. 313-23 de ce code : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre, dans les conditions prévues par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa de l'article R. 313-22. (...) Il transmet son rapport médical au collège de médecins. / (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège (...) ".
5. Enfin, l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 pris pour l'application des dispositions qui précèdent dispose : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté (...). Cet avis mentionne les éléments de procédure. Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".
6. S'il ne résulte d'aucune de ces dispositions, non plus que d'aucun principe, que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration devrait comporter la mention du nom du médecin qui a établi le rapport médical, prévu par l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui est transmis au collège de médecins, en revanche ces dispositions prévoient que le médecin rapporteur ne siège pas au sein de ce collège. En cas de contestation devant le juge administratif portant sur ce point, il appartient à l'autorité administrative d'apporter les éléments qui permettent l'identification du médecin qui a rédigé le rapport et, par suite, le contrôle de la régularité de la composition du collège de médecins. Le respect du secret médical s'oppose toutefois à la communication à l'autorité administrative, à fin d'identification de ce médecin, de son rapport, dont les dispositions précitées de l'article R. 313-23 du même code ne prévoient la transmission qu'au seul collège de médecins et, par suite, à ce que le juge administratif sollicite la communication par le préfet ou par le demandeur d'un tel document.
7. En l'espèce, il ressort de l'attestation émise par le directeur territorial adjoint de transmission des services de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de Metz, produite en appel par le préfet de la Moselle, que le rapport médical émis le 10 novembre 2017 sur l'état de santé de M. C... a été établi par le docteur Ortega qui n'a pas siégé le 24 novembre 2017 au sein du collège de médecins ayant rendu l'avis prévu à l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure à l'issue de laquelle est intervenue la décision contestée doit être écarté.
8. Par ailleurs, si le requérant fait également valoir que le préfet n'établit pas que l'avis du collège de médecins a été rendu à l'issue soit d'une réunion, soit d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle en vertu des dispositions de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016, la mention " après en avoir délibéré (...) ", qui fait foi jusqu'à preuve du contraire, implique nécessairement que les membres du collège de médecins ont pu confronter leur point de vue avant de rendre leur avis, quand bien même les modalités de ce délibéré ne sont pas précisées. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté.
9. Ensuite, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.
10. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
11. Dans son avis du 24 novembre 2017, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que l'état de santé de M. C... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que son état de santé peut lui permettre de voyager sans risque vers son pays d'origine.
12. L'ordonnance médicale détaillant le traitement qui lui est prescrit, sans plus de précision, versée à l'instance par M. C..., ainsi que les extraits de la synthèse de la littérature scientifique réalisée par le service de santé mentale Ulysse relative à la relation thérapeute-patient dans le cadre d'une psychothérapie et à la thérapie du syndrome post-traumatique, cités dans sa requête d'appel, ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation du préfet de la Moselle fondée sur l'avis émis par le collège de médecins quant à l'absence de conséquences d'une exceptionnelle gravité en cas de défaut de prise en charge médicale de l'intéressé. Dans ces conditions, M. C... ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance que sa pathologie ne pourrait faire l'objet d'une prise en charge effective dans son pays d'origine. Par ailleurs, M. C... ne justifie pas de la réalité d'un lien existant entre l'état d'anxiété dont il souffre et les évènements traumatisants qu'il aurait vécus dans son pays d'origine, évènements sur lesquels il n'apporte au demeurant aucune précision. Le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit donc être écarté.
Sur la légalité de la décision obligeant l'intéressé à quitter le territoire français :
13. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Moselle se serait estimé, à tort, en situation de compétence liée pour obliger l'intéressé à quitter le territoire français.
14. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 12 que M. C... n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
15. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
16. La seule présence en France depuis deux ans et demi du requérant et de ses deux jeunes enfants, nés en 2008 et 2011, âgés de 9 et 6 ans à la date de l'arrêté contesté, récemment scolarisés en France, ne suffit pas à établir qu'il a tissé des liens personnels ou familiaux intenses, stables et anciens. En outre, il n'est pas allégué que la cellule familiale du requérant ne pourrait pas être reconstituée dans son pays d'origine, ni qu'il y serait dépourvu de toute attache. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il l'a obligé à quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut qu'être écarté.
17. En dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
18. M. C... ne démontre pas que ses enfants qui sont respectivement scolarisés en cours préparatoire et en cours moyen premier année ne pourront pas poursuivre leur scolarité dans de bonnes conditions en Bosnie, ni par suite que leur intérêt supérieur n'aurait pas été suffisamment pris en compte par la décision en litige. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations citées ci-dessus doit être écarté.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
19. En premier lieu, la décision fixant le pays à destination duquel M. C... pourrait être reconduit d'office mentionne les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
20. En second lieu, et comme il a été dit, M. C... n'apporte aucun élément médical de nature à justifier que le stress post-traumatique dont il souffrirait serait en lien avec des évènements vécus dans son pays d'origine. Il n'est donc pas établi que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant le renvoi de l'intéressé dans ce même pays.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
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N° 18NC03129