Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 mars 2018, le préfet du Bas-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg du 9 mars 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Strasbourg.
Il soutient que :
- il établit avoir saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge de M. B... sur le fondement de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- une acceptation implicite des autorités italiennes est intervenue dans un délai de quinze jours en application des dispositions de l'article 25 de ce règlement ;
- la situation de M. B... ne relève pas des dérogations prévues par l'article 17 du même règlement ;
- M. B...n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de transfert vers l'Italie, Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2018, M. C...B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) en tout état de cause, d'annuler l'arrêté du 9 février 2018 pris à son encontre par le préfet du Bas-Rhin ;
3°) d'enjoindre au préfet du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d'asile dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de transfert en litige a été prise par une autorité incompétente ;
- elle méconnaît l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle méconnaît l'article 5 de ce règlement dès lors qu'il n'a pas bénéficié d'un entretien individuel confidentiel et mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ;
- la décision d'acceptation de reprise en charge des autorités italiennes ne lui a pas été notifiée et qu'il n'a pas ainsi eu connaissance du fondement sur lequel ces autorités se sont estimées compétentes pour examiner sa demande d'asile ;
- la décision de transfert en litige est entachée d'une erreur manifeste dans l'application des dispositions de l'article 17 du même règlement en raison de son état de santé ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit constitutionnel de solliciter la qualité de réfugié ;
- elle méconnaît les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il existe une défaillance systémique dans la prise en charge des demandeurs d'asile par les autorités italiennes ;
- les mesures provisoires de protection internationale décidées par le Conseil de l'Union européenne le 22 septembre 2015 au profit de la Grèce et de l'Italie concernent sa situation et impliquent une dérogation à la règle fixée par le paragraphe 1 de l'article 13 du même règlement.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la requête compte tenu de l'expiration du délai de six mois courant à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, interrompu jusqu'à la date à laquelle le tribunal administratif a statué au principal, rendant la France responsable de la demande de protection internationale de M. B...(A..., 24 septembre 2018, n° 420708).
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Michel, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant camerounais né le 20 septembre 1978, est entré irrégulièrement en France le 19 octobre 2017, selon ses déclarations. Il a sollicité le 11 décembre 2017 son admission au séjour au titre de l'asile mais par arrêté du 9 février 2018, le préfet du Bas-Rhin a ordonné son transfert vers l'Italie, regardée comme l'Etat responsable du traitement de cette demande d'asile. Le préfet relève appel du jugement du 9 mars 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté aux motifs que n'étaient établies ni la réalité d'une demande de reprise en charge adressée aux autorités italiennes ni, par suite, celle d'un accord de leur part.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Lorsqu'un Etat membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 20, paragraphe 5, et à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre Etat membre aux fins de reprise en charge de cette personne. / 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) no 603/2013 (...) / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'Etat membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. / 4. Une requête aux fins de reprise en charge est présentée à l'aide d'un formulaire type et comprend des éléments de preuve ou des indices tels que décrits dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, et/ou des éléments pertinents tirés des déclarations de la personne concernée, qui permettent aux autorités de l'Etat membre requis de vérifier s'il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement. / La Commission adopte, par voie d'actes d'exécution, des conditions uniformes pour l'établissement et la présentation des requêtes aux fins de reprise en charge. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2 ".
3. Aux termes de l'article 25 de ce règlement : " 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M.B..., ressortissant camerounais né le 20 septembre 1978, est entré irrégulièrement en France le 19 octobre 2017, selon ses déclarations. Il a sollicité le 11 décembre 2017 son admission au séjour au titre de l'asile. A la suite du relevé des empreintes de l'intéressé le 11 décembre 2017, la cellule " Eurodac ", par lettre du même jour, a informé le préfet du Bas-Rhin de ce que les recherches sur le fichier " Eurodac " avaient donné un résultat positif et de ce que les empreintes de M. B...avait déjà été relevées par les autorités italiennes en dernier lieu le 25 septembre 2017. Le préfet du Bas-Rhin produit la copie du courrier électronique du 9 janvier 2018 constituant une réponse automatique à une demande formulée au moyen de l'application " DubliNET " mise en place dans le cadre du règlement Dublin III. Ce document comporte la même référence " FRDUB29930085827-670 " que celle figurant sur le document émis par les services de la préfecture du Bas-Rhin et destiné aux autorités italiennes auquel est annexé le formulaire de la demande. Ainsi, le préfet du Bas-Rhin établit en appel la réalité de la saisine des autorités italiennes.
5. Ensuite, il ressort des pièces du dossier que le préfet produit un document émanant de la préfecture intitulé " constat d'un accord implicite et conformation de la reconnaissance de la responsabilité " indiquant que la demande de reprise en charge présentée aux autorités italiennes le 9 janvier 2018 n'a pas reçu de réponse. Ce document, qui comporte une référence identique, permet d'établir l'existence de l'accord implicite de reprise en charge intervenu deux semaines à compter de la saisine de l'Etat italien requis en application des dispositions précitées de l'article 25 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.
6. En second lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 de ce code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit enfin que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
8. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
9. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 9 février 2018 par lequel le préfet du Bas-Rhin a ordonné le transfert de M. B...vers l'Italie est intervenu moins de six mois après la décision par laquelle l'Italie a donné son accord implicite pour sa reprise en charge, dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Ce délai a toutefois été interrompu par l'introduction par M. B...d'un recours présenté contre cet arrêté sur le fondement de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Un nouveau délai de six mois a commencé à courir à compter du jugement du tribunal administratif Strasbourg du 9 mars 2018 qui a annulé l'arrêté de transfert. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune des pièces des dossiers que ce délai aurait été prolongé, en application des dispositions précitées du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, à la date du 9 septembre 2018, la France est devenue responsable de l'examen de la demande de protection internationale de M.B.... Il s'ensuit qu'à cette date, la décision de transfert en litige est devenue caduque et ne pouvait plus être légalement exécutée. Cette caducité étant intervenue postérieurement à l'introduction de l'appel, les conclusions de la requête du préfet du Bas-Rhin tendant à l'annulation du jugement du 9 mars 2018 annulant son arrêté décidant du transfert de M. B...vers l'Italie sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer.
10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. B... présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête du préfet du Bas-Rhin tendant à l'annulation du jugement du 9 mars 2018 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Strasbourg.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. B...sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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N° 18NC01030