Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 mai 2018 et un mémoire complémentaire, enregistré le 21 novembre 2018, le préfet des Vosges demande à la cour :
1°) d'enjoindre au défendeur de produire l'intégralité des pièces du dossier médical de M.D... ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nancy du 26 avril 2018 ;
3°) de rejeter les demandes de M. et Mme D...devant le tribunal administratif de Nancy.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'arrêté portant refus de titre de séjour de M. D...méconnaissait les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 18 février 2019, M. et MmeD..., représentés par Me A..., concluent :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'une somme de 38 euros correspondant aux droits de plaidoirie (13 euros) et aux coûts de traduction (25 euros) leur soit versée au titre des dépens ;
3°) à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent :
- à titre principal, que la décision portant refus de titre de séjour de M. D...méconnaît les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- à titre subsidiaire, que cette même décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est également entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle ;
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont illégales, du fait de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français de M. D...méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la même décision a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faute pour le préfet d'indiquer le pays de renvoi de M.D....
Par une ordonnance du 5 février 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 25 février 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Di Candia, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique ;
- les observations de MeA..., représentant M. et Mme D...
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant monténégrin né le 6 avril 1987, et son épouse, Mme D..., ressortissante bosnienne née le 30 janvier 1994, sont entrés irrégulièrement en France, selon leurs déclarations, le 24 août 2014 afin d'y solliciter l'asile. Leurs demandes tendant à la reconnaissance de la qualité de réfugiés ou au bénéfice de la protection subsidiaire ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, par des décisions du 18 novembre 2014, confirmées par la Cour nationale du droit d'asile le 13 avril 2015. Ils ont alors bénéficié d'un titre de séjour, sur le fondement, respectivement, des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qui concerne M.D..., et du 7° du même article en ce qui concerne MmeD.... Le préfet des Vosges relève appel du jugement nos 1800276 et 1800277 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé ses arrêtés du 29 décembre 2017 qui ont refusé de renouveler les titres de séjour de M. et MmeD..., les ont obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et ont fixé le pays à destination duquel ils pourront être éloignés.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle.
4. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est atteint d'une maladie orpheline, la porphyrie aigüe intermittente, susceptible de provoquer des douleurs abdominales très intenses à l'occasion de crises neuro-viscérales pouvant conduire à l'apparition de symptômes neurologiques graves et irréversibles, voire d'arythmie cardiaque ou de paralysie respiratoire susceptible d'être fatale. Si, dans son avis du 7 août 2017, le collège des médecins de l'OFII a admis que cet état de santé nécessite, de ce fait, une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il a toutefois estimé qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, M. D... pouvait effectivement y bénéficier d'un traitement approprié. Or, le médicament spécifique prescrit à M. D..., le Normosang, constitue, selon un avis du 23 juillet 2014 de la commission de la transparence de la haute autorité de santé, le seul médicament disponible à base d'hémine humaine apportant une amélioration du service médical rendu dans la prise en charge des crises aiguës graves de porphyrie hépatique. Contrairement aux mentions de l'avis du collège des médecins de l'OFII, il ressort en outre des pièces produites par M. D...devant les premiers juges que ce médicament n'est disponible ni au Monténégro, ni en Bosnie-Herzégovine et qu'il ne figure pas sur la liste des médicaments remboursés par les organismes de sécurité sociale de ces deux pays, ce que confirme l'attestation du 7 février 2018 émanant du seul laboratoire mettant ce médicament sur le marché de l'Union européenne, précisant qu'il ne peut être importé dans ces deux pays que sur autorisation spéciale d'importation délivrée par les autorités compétentes. A cet égard, si M. D...a admis avoir réussi à se procurer un tel traitement dans son pays d'origine, il n'est pas contesté que cette opportunité ne s'est offerte que grâce au don d'une pharmacie située à Zagreb (Croatie) qui avait elle-même bénéficié d'une donation exceptionnelle du laboratoire qui produit le médicament et qu'elle ne peut être regardée comme établissant le caractère effectivement disponible du traitement dans ce pays. Enfin, si, dans le dernier état de ses écritures, le préfet des Vosges soutient qu'un traitement alternatif au Normosang, par perfusion d'hydrates de carbone, serait disponible en Bosnie-Herzégovine, les documents qu'il produit n'établissent pas que ce type de perfusion serait substituable au Normosang.
6. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'ordonner à M. D...la production de l'intégralité de son dossier médical, lequel est au demeurant couvert par le secret médical, le préfet des Vosges n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a estimé qu'il avait, en refusant de délivrer un titre de séjour à l'intéressé en qualité d'étranger malade, méconnu les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Vosges n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé les arrêtés du 29 décembre 2017 par lesquels il a rejeté les demandes de titre de séjour de M. et MmeD..., les a obligés à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.
Sur les frais liés à l'instance :
8. D'une part, la somme de 13 euros demandée au titre des dépens correspond à des droits de plaidoirie qui ne sont pas au nombre des dépens énumérés par l'article R. 761-1 du code de justice administrative. En conséquence, les conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
9. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement à M. et Mme D...d'une somme de 1 500 euros, incluant les frais de traduction exposés par eux, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet des Vosges est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. et Mme D...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. et Mme D...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C...D...et à Mme B...D....
Copie en sera transmise, pour information, au préfet des Vosges.
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N° 18NC01553