Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 juin 2017, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 2 mai 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... A...devant le tribunal administratif de Nancy.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que l'obligation de quitter le territoire français du 29 juillet 2013 a porté préjudice à M. A...alors que le refus de séjour du 29 juillet 2013 a été confirmé par jugement du 18 février 2014 ;
- l'annulation de la mesure d'éloignement ne remet pas en cause le fait que sa décision était fondée sur des éléments pertinents en sa possession ;
- ce n'est que postérieurement au 29 juillet 2013 que son père a sollicité un titre de séjour pour raison médicale et a bénéficié sans discontinuité d'une autorisation provisoire de séjour alors que l'instruction a été complexe ;
- le préjudice n'est pas démontré et la somme allouée est excessive au regard de la faible durée d'application de la décision illégale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2018, M. B...A..., représenté par Me Jeannot, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident :
1°) de réformer le jugement n° 1502303 du 2 mai 2017 du tribunal administratif de Nancy en ce qu'il ne lui a pas donné totale satisfaction ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 000 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2015 avec capitalisation annuelle des intérêts, en réparation des préjudices financier et moral subis du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 29 juillet 2013, du refus implicite de titre de séjour qui lui a été opposé et du retard apporté à l'instruction de sa demande de titre de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'illégalité de l'arrêté du préfet de Meurthe-et-Moselle du 29 juillet 2013 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- le refus implicite de titre de séjour qui lui a été opposé par le préfet pendant plusieurs années est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- le retard apporté à l'instruction de sa demande de titre de séjour est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- il a subi un préjudice financier évalué à la somme de 28 800 euros, correspondant à la perte de chance d'obtenir des subsides et un préjudice moral évalué à la somme de 21 200 euros, correspondant aux troubles dans les conditions d'existence constitués par l'angoisse d'être placé en rétention et reconduit à la frontière et le fait de vivre de manière précaire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Wallerich, président assesseur,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me Jeannot, avocat de M. B... A....
1. Considérant que M. B...A..., né le 19 novembre 1984, de nationalité arménienne, a déclaré être entré en France irrégulièrement le 23 juin 2011, accompagné
de son père ; que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) par des décisions respectivement du 31 juillet 2012 et du 2 juillet 2013 ; que, par un arrêté du 29 juillet 2013, le préfet de Meurthe-et-Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ; que, par un jugement du 18 février 2014, devenu définitif, le tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions du 29 juillet 2013 portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi et a enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation administrative de M. A... et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ; que, depuis le 26 mars 2014, M. A... a bénéficié d'autorisations provisoires de séjour ; que par un courrier du 30 juin 2015, M. A...a présenté une demande indemnitaire qui a été rejetée par le préfet de Meurthe-et-Moselle le 9 juillet 2015 ; que le préfet de Meurthe-et-Moselle relève appel du jugement du 2 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à M. A...une somme de 1 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2015 et capitalisation de ces intérêts ; que par la voie de l'appel incident, M. A...demande à ce que la somme que l'Etat a été condamné à lui verser soit portée à 50 000 euros ;
Sur les conclusions d'appel principal du préfet de Meurthe-et-Moselle et d'appel incident de M.A... :
2. Considérant que toute illégalité commise par l'administration constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ; que sa condamnation est cependant subordonnée à la démonstration d'un préjudice direct et certain en résultant ;
En ce qui concerne l'illégalité fautive de la décision du 29 juillet 2013 :
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un jugement du 18 février 2014, confirmé par la cour administrative d'appel de Nancy par un arrêt du 20 novembre 2014, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision du 29 juillet 2013 par laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle avait obligé M. A...à quitter le territoire français dans un délai de trente jours au motif que compte-tenu du caractère indispensable de sa présence aux côtés de son père malade, cette mesure d'éloignement était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'une telle illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
4. Considérant qu'en se bornant à indiquer, sans autre pièce justificative, qu'il a perdu une chance de travailler, M. A...n'établit pas la réalité d'un préjudice financier qui serait imputable à l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
5. Considérant, en revanche, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par le requérant visé pendant huit mois par une mesure d'éloignement illégale, en le fixant à la somme de 500 euros ;
En ce qui concerne la faute résultant du retard à délivrer un titre de séjour :
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un courrier du 29 août 2013, reçu le 1er septembre 2013 par les services de la préfecture de Meurthe-et-Moselle, M. A... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'une décision implicite de rejet est née sur cette demande en application des dispositions de l'article R. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que dans le cadre du réexamen auquel il lui était enjoint de procéder par le jugement du 18 février 2014 annulant, pour erreur manifeste d'appréciation, l'obligation de quitter le territoire français de l'intéressé, le préfet n'a délivré à l'intéressé qu'une autorisation provisoire de séjour et qu'il a, même après la confirmation de ce jugement par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 20 novembre 2014, refusé à nouveau tout droit au séjour par une décision qui a également été annulée par un jugement du 16 mars 2017 du tribunal administratif de Nancy ; qu'au regard du motif d'annulation et alors que le préfet ne fait état d'aucun élément nouveau dans la situation du requérant, ces décisions juridictionnelles impliquaient la délivrance d'un titre de séjour ; que M. A... n'a obtenu à compter du 26 mars 2014 que des autorisations provisoires de séjour qui ne comportent pas la mention autorisant l'intéressé à travailler ; qu'en s'abstenant, sans motif, de délivrer à M. A...un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en raison de sa présence nécessaire auprès de son père malade, le préfet a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
7. Considérant qu'en se bornant à produire une attestation de la caisse d'allocations familiales reconnaissant l'absence de prestations, le requérant n'établit pas la réalité du préjudice financier qu'il allègue avoir subi du fait de l'impossibilité pour lui d'obtenir le bénéfice d'allocations logement ; que la réalité du préjudice financier n'est par suite pas établie ;
8. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par le requérant du fait de la longue attente qu'il a été contraint de subir en le portant à la somme de 1 500 euros ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le montant que l'Etat a été condamné à verser à M. A...par les premiers juges doit être porté à 2 000 euros, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2015, et de leur capitalisation à compter
du 6 juillet 2016 puis de chaque échéance annuelle ultérieure ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette condamnation d'une astreinte ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A...d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné à verser à M. A...est portée à 2 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy du 2 mai 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A...une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La requête du préfet de Meurthe-et-Moselle et le surplus des conclusions d'appel incident de M. A...sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de Meurthe-et-Moselle et à M. B... A....
2
N° 17NC01561