Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 février 2017, la société Ronzat et Compagnie, représentée par la SCP Annie Schaf-Codognet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 décembre 2016 ;
2°) de condamner la communauté de communes du Jarnisy à lui verser une somme de 136 079,37 euros toutes taxes comprises correspondant au solde du marché conclu le 10 mai 2006, assortie des intérêts légaux à compter du 10 mars 2008 ;
3°) d'ordonner la capitalisation des intérêts ;
4°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Jarnisy le versement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le décompte général du marché n'a pu acquérir un caractère définitif dès lors que le juge du contrat était saisi d'une demande contestant la régularité de la résiliation du marché et tendant au règlement des sommes dues ;
- l'article 46.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux n'a pas été respecté dès lors qu'il n'a pas été dressé un procès-verbal de constat des ouvrages valant réception de ceux-ci ;
- ce décompte lui a été notifié alors que les comptes afférents à l'exécution du marché de substitution n'avaient pas été apurés, en méconnaissance des stipulations de l'article 49.4 du CCAG Travaux ;
- le décompte général lui a été irrégulièrement notifié, en méconnaissance des stipulations de l'article 13.42 du CCAG Travaux dès lors qu'il ne lui pas été transmis par ordre de service ;
- son mémoire en réclamation était précis et détaillé, poste par poste, et les chefs motivés de contestation exposés dans l'instance au fond à la requête formée par la communauté de communes du Jarnisy ;
- ce mémoire en réclamation renvoie en outre à son mémoire de travaux précédemment transmis le 23 février 2010 ;
- le décompte général ne pouvait faire courir les délais de l'article 13.44 du CCAG Travaux ;
- le décompte général ne comportait pas la mention du coût des travaux exécutés, la révision des prix et la déduction des travaux réglés sur les situations.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2017, la communauté de communes du Jarnisy, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Ronzat et Compagnie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le décompte général du marché est devenu définitif ;
- la société Ronzat et Compagnie n'a pas présenté un mémoire en réclamation répondant aux exigences de l'article 13.44 du CCAG Travaux ;
- la méconnaissance du délai de notification prévu par les dispositions de l'article 13.42 du CCAG Travaux n'entache pas d'irrégularité le décompte général établi avec retard ;
- la notification du décompte général peut intervenir régulièrement sous une autre forme qu'un ordre de service ;
- la société Ronzat et Compagnie n'a jamais formellement adressé au maître d'oeuvre un projet de décompte final conforme aux exigences de l'article 13.32 du CCAG Travaux et ne l'a jamais mis en demeure de lui notifier le décompte général de son lot ;
- le décompte général adressé à la société Ronzat et Compagnie a pris en compte l'ensemble des sommes réclamées par cette dernière dans le cadre de la procédure introduite devant le tribunal administratif de Nancy le 28 avril 2011 ;
- la société Ronzat et Compagnie n'a jamais contesté devant le tribunal administratif la régularité ou le bien fondé de la résiliation de son marché ;
- elle ne motive pas sa demande de paiement et ne démontre pas avoir réalisé les travaux correspondants.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Michel, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,
- et les observations de Me A...pour la communauté de communes du Jarnisy.
Considérant ce qui suit :
1. En vue de la construction d'un centre aquatique de sport et de loisirs sur le territoire de la commune de Jarny, la communauté de communes du Jarnisy, maître de l'ouvrage, a notamment confié à la société Ronzat et Compagnie, par un acte d'engagement du 10 mai 2006, le lot n° 6 " carrelages, sols souples ". Ce marché a été résilié aux frais et risques de l'entrepreneur le 13 mai 2008 et un marché de substitution a été conclu avec la société Snidaro le 15 juillet 2008. La communauté de communes du Jarnisy a alors saisi le juge du contrat d'une demande indemnitaire tendant, sur un fondement contractuel, à la réparation par la société Ronzat et Compagnie des préjudices résultant notamment des retards ayant affecté la construction du centre aquatique de sport et de loisirs. Par jugement du 7 janvier 2014, le tribunal administratif de Nancy a partiellement fait droit à ces demandes mais a rejeté la demande reconventionnelle de la société Ronzat et Compagnie tendant au paiement du solde de son marché. Entre temps, le 17 octobre 2013, la communauté de communes avait notifié à cette société le décompte général du marché. Après avoir contesté ce dernier par une lettre du 5 novembre 2013, la société Ronzat et Compagnie a saisi le tribunal administratif de Nancy, le 13 juin 2014, d'une nouvelle demande tendant à la condamnation de la communauté de communes du Jarnisy à lui verser une somme de 136 079,37 euros toutes taxes comprises au titre du solde de son marché. Par un jugement du 20 décembre 2016, dont la société Ronzat et Compagnie relève appel, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande comme irrecevable au motif que le décompte général avait acquis un caractère définitif.
Sur le caractère définitif du décompte général :
2. Aux termes de l'article 13.41 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux approuvé par le décret du 21 janvier 1976, applicable au marché en litige : " Le maître d'oeuvre établit le décompte général qui comprend : / - le décompte final défini au 34 du présent article ; / - l'état du solde établi, à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies au 21 du présent article pour les acomptes mensuels ; / - la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. / Le montant du décompte général est égal au résultat de cette dernière récapitulation ". Aux termes de l'article 13.42 du même document : " Le décompte général signé par la personne responsable du marché doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service avant la plus tardive des deux dates ci-après : quarante-cinq jours après la date de remise du projet de décompte final ; trente jours après la publication de l'index de référence permettant la révision du solde (...) ".
3. En premier lieu, le document notifié à la société Ronzat et Compagnie le 17 octobre 2013, comprend l'ensemble des éléments mentionnés par les stipulations précitées de l'article 13.41 du CCAG Travaux et constitue, par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, le décompte général de son marché.
4. En deuxième lieu, si la société Ronzat et Compagnie soutient que le décompte général est irrégulier dès lors qu'il ne lui aurait pas été notifié dans le délai prévu par les stipulations précitées de l'article 13.42 du CCAG Travaux, ce retard, qui ne peut ouvrir droit, au profit de l'entrepreneur, qu'au paiement d'intérêts moratoires sur le solde, n'affecte pas la régularité du décompte général et ne saurait, par suite, faire obstacle à ce qu'il acquière un caractère définitif.
5. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que le décompte général du marché a été notifié à la société Ronzat et Compagnie par la communauté de communes du Jarnisy par une lettre recommandée avec accusé de réception, qu'il comporte la mention " décompte général " et qu'il est signé par le maître d'oeuvre et le maître d'ouvrage. Dans ces conditions, la notification du décompte général à la société Ronzat et Compagnie n'a pas méconnu les stipulations précitées de l'article 13.42 du CCAG Travaux.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article 46.2 du CCAG Travaux : " En cas de résiliation, il est procédé, l'entrepreneur ou ses ayants droit, tuteur, curateur ou syndic, dûment convoqués, aux constatations relatives aux ouvrages et parties d'ouvrages exécutés, à l'inventaire des matériaux approvisionnés, ainsi qu'à l'inventaire descriptif du matériel et des installations de chantier. Il est dressé procès-verbal de ces opérations. / L'établissement de ce procès-verbal emporte réception des ouvrages et parties d'ouvrages exécutés, avec effet de la date de la résiliation, tant pour le point de départ du délai de garantie défini à l'article 44 que pour le point de départ du délai prévu pour le règlement final du marché au 32 de l'article 13 ".
7. Ces stipulations qui font courir de la date de l'établissement du procès-verbal qu'elles prévoient, le délai de règlement final du marché prévu à l'article 13.32, n'ont pour objet que de permettre à l'entrepreneur d'établir et de transmettre son projet de décompte final au maître d'oeuvre afin d'obtenir ce règlement mais contrairement à ce que soutient la société Ronzat et Compagnie, l'absence d'établissement de ce procès-verbal n'a pas pour effet de faire obstacle à ce que le décompte général du marché, s'il a été régulièrement établi et notifié, devienne définitif.
8. En cinquième lieu, si, comme il a été exposé au point 1, le tribunal administratif de Nancy était, lors de la notification, le 13 octobre 2013, du décompte général du marché, déjà saisi d'un litige indemnitaire opposant la communauté de communes du Jarnisy à la société Ronzat et Compagnie, il n'avait pas à statuer sur une demande en contestation de la régularité ou du bien-fondé de la résiliation du marché. Par ailleurs, si la société Ronzat et Compagnie se prévaut de la demande reconventionnelle qu'elle avait formée au cours de la même instance, tendant au paiement du solde de son marché, il résulte de l'instruction que cette demande a été formée dès le 3 juin 2013, sans que le maître d'ouvrage ait été préalablement mis en demeure d'établir le décompte général du marché. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le litige pendant devant le tribunal faisait obstacle à ce que le décompte général notifié à la société Ronzat et Compagnie postérieurement à sa demande puisse acquérir un caractère définitif.
9. En sixième lieu, si aux termes de l'article 49.4 du CCAG Travaux : " (...) Par exception aux dispositions du 42 de l'article 13, le décompte général du marché résilié ne sera notifié à l'entrepreneur qu'après règlement définitif du nouveau marché passé pour l'achèvement des travaux ", ces stipulations ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que le décompte général d'un marché résilié aux frais et risques de son titulaire puisse acquérir un caractère définitif, alors même que le règlement définitif du nouveau marché passé avec un autre entrepreneur pour l'achèvement des travaux n'est pas intervenu, dès lors qu'il appartient à l'entrepreneur, dans les conditions prévues par les stipulations des articles 13.44 et 13.45 du CCAG Travaux, de faire valoir les motifs de son refus ou de ses réserves dans un mémoire en réclamation. La société Ronzat et Compagnie ne peut, dès lors, utilement se prévaloir des stipulations précitées de l'article 49.4.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 13.44 du CCAG Travaux: " L'entrepreneur doit, dans un délai compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer au maître d'oeuvre, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. (...) / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve, cette acceptation lie définitivement les parties (...) ; ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché. / Si la signature du décompte général est refusée ou donnée avec réserves, les motifs de ce refus ou de ces réserves doivent être exposés par l'entrepreneur dans un mémoire de réclamation qui précise le montant des sommes dont il revendique le paiement et qui fournit les justifications nécessaires en reprenant, sous peine de forclusion, les réclamations déjà formulées antérieurement et qui n'ont pas encore fait l'objet d'un règlement définitif ; ce mémoire doit être remis au maître d'oeuvre dans le délai de quarante-cinq jours indiqué ci-dessus. Le règlement du différend intervient alors suivant les modalités indiquées à l'article 50 (...) ". Aux termes de l'article 13.45: " Dans le cas où l'entrepreneur n'a pas renvoyé au maître d'oeuvre le décompte général signé dans le délai de trente jours ou de quarante-cinq jours, fixé au 44 du présent article, ou encore, dans le cas où, l'ayant renvoyé dans ce délai, il n'a pas motivé son refus ou n'a pas exposé en détail les motifs de ses réserves en précisant le montant de ses réclamations, ce décompte général est réputé être accepté par lui ; il devient le décompte général et définitif du marché ".
11. S'il résulte de ces stipulations qu'il est loisible à l'entrepreneur de présenter une réclamation devant le maître d'oeuvre, avant même la notification du décompte général, cette démarche ne saurait le dispenser de former, après cette notification, la réclamation qui seule, est de nature à faire obstacle à ce que ce décompte devienne définitif, et dans laquelle il lui appartient de reprendre de manière détaillée, s'il entend les maintenir, celles de ses demandes qui n'auraient pas été acceptées dans ce décompte.
12. Il résulte de l'instruction qu'après la notification par une lettre intitulée " mémoire en réclamation ", reçue par le maître d'oeuvre le 6 novembre 2013, la société Ronzat et Compagnie s'est bornée à exposer brièvement les motifs de sa contestation, sans toutefois fournir un quelconque justificatif ni indiquer de manière précise et détaillée le montant des sommes dont elle demandait le paiement. Si la société Ronzat et Compagnie soutient qu'elle avait déjà présenté, le 23 février 2010, une demande détaillée comportant le montant de la somme qu'elle réclamait, et à laquelle elle se référait dans son mémoire en réclamation, il lui appartenait cependant de reprendre dans ce mémoire, qu'elle était tenue de produire à la suite de la notification du décompte général, les réclamations formulées antérieurement n'ayant pas fait l'objet d'un règlement définitif. La réclamation du 6 novembre 2013 n'était pas, dans ces conditions, de nature à faire obstacle à ce que le décompte général du marché devienne définitif.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ronzat et Compagnie n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande comme irrecevable.
Sur les frais de l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la communauté de communes du Jarnisy, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Ronzat et Compagnie demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Ronzat et Compagnie le versement de la somme que la communauté de communes du Jarnisy demande sur le fondement des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Ronzat et Compagnie est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la communauté de communes du Jarnisy sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ronzat et Compagnie et à la communauté de communes du Jarnisy.
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N°17NC00399