Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 octobre 2019 et 28 janvier 2020, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler son arrêté, sur le fait que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas été rendu de manière collégiale ;
- les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes ne sont pas fondés ; il s'en rapporte, s'agissant de ces moyens, à ses écritures de première instance ;
- M. D... souffre de rhumatismes ; le collège de médecins a estimé que le défaut de soins n'était pas susceptible d'engendrer des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; M. D... pourra en tout état de cause bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;
- l'avis du collège de médecins a bien été rendu le 28 septembre 2017.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 janvier 2020, M. F... D..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du 7 mars 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois sous astreinte de dix euros par jour de retard ou à défaut de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois sous astreinte de dix euros par jour de retard ;
4°) de mettre la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- l'avis du collège de médecins n'a pas été émis de manière collégiale, ainsi que l'ont reconnu les premiers juges ;
- il se réfère, s'agissant des autres moyens, à ses écritures de première instance.
Par une décision du 17 décembre 2019, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- et les observations de Me E..., représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant azerbaïdjanais né le 17 septembre 1966, déclare être entré en France le 1er janvier 2011. Sa demande d'asile, présentée sous une autre identité, a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile. Il a, par la suite, sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Par un arrêté du 18 mai 2016, le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer le titre sollicité et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par un jugement n°1605718 du 29 décembre 2016 du tribunal administratif de Nantes, l'arrêté du 18 mai 2016 a été annulé. M. D... a alors sollicité à nouveau un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Par un arrêté du 18 décembre 2017, le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité et lui a fait obligation de quitter le territoire français. Par un jugement n°1804282 du 16 juillet 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 18 décembre 2017 et a enjoint au préfet de réexaminer la demande de M. D.... Par un arrêté du 7 mars 2019, le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de délivrer à M. D... un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel M. D... pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré. M. D... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cet arrêté. Par un jugement n° 1903725 du 18 octobre 2019, le tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté (article 2), a enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour de M. D... dans un délai de trois mois (article 3) et a mis à la charge de l'Etat la somme de 800 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 4). Le préfet de la Loire-Atlantique relève appel de ce jugement.
Sur le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". L'article R. 313-23 de ce code prévoit que : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre (...) Il transmet son rapport médical au collège de médecins. Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. (...) L'avis est rendu par le collège dans un délai de trois mois à compter de la transmission par le demandeur des éléments médicaux conformément à la première phrase de l'alinéa (...) L'avis est transmis au préfet territorialement compétent, sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". L'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 pris pour l'application de ces dispositions dispose que : " (...) Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège. ".
3. Lorsque l'avis médical porte la mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'OFII émet l'avis suivant ", cette mention du caractère collégial de l'avis fait foi jusqu'à preuve du contraire.
4. Il ressort des pièces du dossier que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) concernant M. D... a été émis le 28 septembre 2017. D'une part, si certains documents font état d'un avis émis le 26 septembre 2017, cette erreur constitue une simple erreur matérielle qui n'a aucune incidence sur la régularité de la procédure. D'autre part, cet avis, signé par les trois médecins composant le collège de médecins de l'OFII, porte la mention " Après en avoir délibéré, le collège des médecins de l'OFII émet l'avis suivant ". Pour contester la régularité de cet avis, M. D... a produit une capture d'écran tirée du logiciel de traitement informatique Themis faisant apparaître des mentions " donner avis " à des dates et heures différentes pour chacun des trois médecins. Ces mentions, compte tenu de leur caractère équivoque, ne sauraient constituer la preuve contraire quant au caractère collégial de l'avis. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il a été privé de la garantie tirée du débat collégial du collège de médecins de l'OFII qui résulte des dispositions de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté en se fondant sur l'absence de caractère collégial de l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII.
6. Toutefois, il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur les autres moyens invoqués par M. D... :
En ce qui concerne la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :
7. En premier lieu, la décision portant refus de titre de séjour énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que cette décision n'est pas entachée d'un défaut d'examen complet.
9. En troisième lieu, si le préfet a omis, dans son arrêté, de mentionner la présence du fils de M. D... en France, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision de refus de titre de séjour, qui a été uniquement formulée sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté, le fils de M. D... était en situation irrégulière et devait être remis aux autorités polonaises.
10. En quatrième lieu, la partie qui justifie d'un avis du collège de médecins du service médical de l'OFII venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et la possibilité de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
11. En l'espèce, il ressort de l'avis émis le 28 septembre 2017 par le collège de médecins de l'OFII que le défaut de prise en charge de la pathologie de M. D... ne devrait pas entraîner pour lui de conséquences d'une exceptionnelle gravité. M. D... n'apporte aucun élément permettant de contredire le sens de cet avis. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
12. En premier lieu, la décision de refus de titre de séjour n'étant pas illégale, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée par voie de conséquence.
13. En deuxième lieu, cette décision a été signée par Mme C... B..., qui bénéficiait pour ce faire d'une délégation de signature du 11 janvier 2019 publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de Loire-Atlantique le même jour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
14. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11, M. D... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues.
15. En dernier lieu, M. D... soutient qu'il réside en France depuis plus de huit ans et que résident en France sa mère, deux de ses frères et leurs enfants, ainsi que son fils. Cependant, d'une part, M. D... n'apporte aucune pièce permettant de justifier de son entrée en France en 2011. D'autre part, son fils, était, à la date de l'arrêté contesté, âgé de 23 ans et en situation irrégulière sur le territoire français. En outre, les deux autres enfants de M. D... résident dans son pays d'origine. Enfin, M. D... a vécu dans son pays d'origine au moins jusqu'à l'âge de 44 ans. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
16. En premier lieu, la décision de refus de titre de séjour n'étant pas annulée, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence.
17. En deuxième lieu, cette décision a été signée par Mme C... B..., qui bénéficiait pour ce faire d'une délégation de signature du 11 janvier 2019 publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de Loire-Atlantique le même jour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.
18. En troisième lieu, ainsi qu'il a été rappelé au point 11, il ressort des pièces du dossier que le défaut de prise en charge de M. D... n'est pas susceptible d'entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination méconnait le 5° de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 7 mars 2019, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de trois mois et a mis à la charge de l'Etat, au bénéfice de Me E..., avocat de M. D..., la somme de 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que le conseil de M. D... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903725 du 18 octobre 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande de M. D... devant le tribunal administratif de Nantes et les conclusions présentées en appel au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. F... D... et à Me E....
Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Bataille, président de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 8 octobre 2020.
Le rapporteur,
H. A...Le président,
F. Bataille
La greffière,
A. Rivoal
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19NT04177