Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 10 janvier 2020 et le 23 juin 2020, M. D... A... C... et Mme G... C..., agissant en leur nom propre et pour le compte des enfants B... C..., I... C..., K... C..., L... C..., J... C... et M... C... et M. H... C..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 juillet 2019 ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à défaut, lui enjoindre de réexaminer les demandes de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me F... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à celles de l'article 3 § 1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. A... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 novembre 2019.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les observations de Me F..., représentant M. A... C... et les autres requérants.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., de nationalité afghane, a obtenu, le 9 janvier 2017, le bénéfice de la protection subsidiaire. Des demandes de visa ont, au titre de la réunification familiale, été présentées pour Mme G... C..., ressortissante afghane née le 27 juillet 1982, qu'il présente comme sa conjointe et pour M. H... C... et les jeunes Roma C..., I... C..., K... C..., L... C..., J... C... et M... C..., ressortissants afghans nés, respectivement, le 24 mai 2001, le 2 janvier 2003, le 28 juin 2004, le 24 octobre 2005, le 21 septembre 2007, le 5 août 2011 et le 29 août 2013, qu'il présente comme leurs sept enfants. Par une décision du 10 janvier 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé les refus de visa opposés par le chef de la section consulaire de l'ambassade de France au Pakistan les 29 août et 17 septembre 2018. M. A... C... et autres relèvent appel du jugement du 16 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission du 10 janvier 2019.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / Si (...) le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille (...) d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec (...) le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
En ce qui concerne Mme G... C... :
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... C... a, de manière constante, déclaré auprès des autorités françaises avoir célébré, en 1999 à Peshawar (Pakistan), son mariage religieux avec Mme G... C..., sans se prévaloir d'une union civile. La réalité d'une communauté de vie stable et continue entre Mme G... C... et le requérant, à la date de la demande de protection internationale de ce dernier, n'est pas contestée. Dans ces conditions, Mme G... C... a droit, en application des dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la délivrance, au titre de la réunification familiale, d'un visa de long séjour. La circonstance que les intéressés aient le 3 avril 2017, soit postérieurement à la demande d'asile, fait reconnaître, avec témoins, leur union religieuse par les autorités civiles afghanes est, à cet égard, sans incidence. Au surplus, alors qu'il ressort de la documentation produite par le requérant qu'il est d'usage que les autorités afghanes délivrent des documents d'état civil à leurs ressortissants y compris pour des événements survenus en dehors de leur territoire, l'administration n'apporte aucun commencement de preuve du caractère frauduleux du certificat de mariage délivré en 2017. Il suit de là qu'en confirmant le refus de visa opposé à Mme G... C..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
En ce qui concerne les enfants :
5. D'une part, alors que le requérant expose que ses quatre premiers enfants sont nés au Pakistan, les " taskera " et passeports établis en 2017 et produits au soutien des demandes de visa font état de naissances dans la province de Kunar en Afghanistan. Toutefois, il ressort de la documentation produite par le requérant que le lieu de naissance indiqué sur les " taskera " correspond le plus souvent au " lieu d'origine de la personne, généralement le lieu de naissance de son père " et que celui mentionné sur le passeport " correspond à leur tazkira, quel que soit le véritable lieu de naissance ". Au demeurant, les intéressés ont obtenu la rectification de leur " taskera ". D'autre part, si les " taskera " des enfants ont été délivrées au grand-père paternel, qui les a signées, et comportent les références de la " taskera " de celui-ci, cette circonstance ne révèle aucune anomalie, seul le grand-père, contrairement au père qui bénéficiait alors en France de la protection subsidiaire, étant en mesure de solliciter en 2017 les " taskera " des enfants. A cet égard, la documentation évoquée précédemment indique que " beaucoup de citoyens ne demandent [la taskera] que lorsqu'ils en ont besoin " et que " un membre masculin de la famille immédiate du demandeur doit confirmer l'identité de celui-ci ". Enfin, il ressort des pièces du dossier que les indications relatives aux lieux de naissance des sept enfants de M. A... C..., portées sur les différents formulaires administratifs et les divers courriers et recours rédigés par des travailleurs sociaux ou encore déclarées au cours de l'entretien mené le 16 février 2016 par l'officier de protection chargé de l'examen de sa demande d'asile, diffèrent. Néanmoins, alors que les déclarations du requérant relatives aux noms, prénoms et dates de naissance de ses sept enfants sont parfaitement constantes et concordent avec les informations portées sur les " taskera ", il ressort des pièces du dossier que M. A... C..., qui explique avoir rencontré des difficultés pour se faire comprendre de ses différents interlocuteurs, a, à plusieurs reprises, appelé l'attention de l'administration sur les inexactitudes relatives au lieu de naissance de ses enfants. Le compte-rendu de l'entretien du 16 février 2016 révèle, en outre, des difficultés de communication. Dans ces conditions, les erreurs relatives au lieu de naissance de ses enfants, dont il n'est d'ailleurs pas établi qu'elles soient personnellement imputables à M. A... C..., ne permettent pas de priver les " taskera " produites de valeur probante. Il suit de là qu'en estimant que l'identité des enfants et, partant, les liens familiaux avec M. A... C... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour à Mme G... C..., M. H... C... et aux jeunes Roma C..., I... C..., K... C..., L... C..., J... C... et M... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. M. A... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 400 euros à Me F... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 juillet 2019 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 10 janvier 2019 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme G... C..., M. H... C... et aux jeunes Roma C..., I... C..., K... C..., L... C..., J... C... et M... C... un visa de long séjour, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me F... la somme de 1 400 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... C..., Mme G... C... et M. H... C... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, président assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2020.
Le rapporteur,
K. E...
Le président,
A. PEREZLe greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT0091