Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er mars 2018, 30 juillet 2018, 29 août 2018 et 11 septembre 2018, M. I... K...C...et Mme E... B...F..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juillet 2017 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à tout le moins, d'enjoindre au ministre de procéder à un nouvel examen des demandes de visa de long séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
ils disposent d'un acte de mariage délivré par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides qui établit le lien matrimonial entre M. I...K...C...et Mme E...B...D...;
le prétendu caractère frauduleux des actes de naissance produits n'est aucunement établi ;
le refus de délivrance des visas méconnaît les stipulations de l'article 11 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 ;
ils démontrent bien une possession d'état, qui peut être régulièrement invoquée, pour établir leurs liens familiaux ;
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 avril 2018, 16 août 2018 et 6 septembre 2018 le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. K...C...et Mme B...F...n'est fondé.
M. I...K...C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code civil ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M.L'hirondel,
les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,
et les observations de MeG..., substituant Me Pollono, représentant M. I...K...C...et Mme E... B...D....
Considérant ce qui suit :
1. M. I...K...C..., ressortissant somalien, né le 6 août 1982, est entré en France en novembre 2009 et a obtenu le statut de réfugié à la suite d'une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 10 octobre 2011. Le 5 septembre 2013, Mme E...B...D...et son fils, H...I...K..., ont sollicité, en leur qualité d'épouse et d'enfant d'un réfugié, la délivrance de visas de long séjour. Cette demande a été rejetée par l'ambassadeur de France en Ethiopie suivant une décision du 12 novembre 2014. Le recours formé contre cette décision, le 6 janvier 2015, a été lui-même implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par un jugement du 13 juillet 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. I...K...C...tendant à l'annulation de cette décision. M. I... K...C...et Mme E...B...D...relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
S'agissant des actes délivrés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides :
2. La délivrance des visas d'entrée en France aux membres de la famille d'un réfugié est notamment régie par les dispositions du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi rédigées dans leur rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 : " (...) / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". L'article L. 721-3 auquel renvoie le précédent texte dispose, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est intervenue que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et apatrides les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. L'office est habilité à délivrer dans les mêmes conditions les mêmes pièces aux bénéficiaires de la protection subsidiaire lorsque ceux-ci sont dans l'impossibilité de les obtenir des autorités de leur pays. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine (...) ".
3. Les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionnées au point 2 sont, dès lors que la loi du 29 juillet 2015 n'a, en ce qui concerne leur entrée en vigueur, prévu ni délai particulier, ni disposition transitoire, devenues applicables le 31 juillet 2015, le lendemain de leur publication au Journal officiel, à toute situation non juridiquement constituée au nombre desquelles figurent les instances en cours concernant les refus de visas sollicités sur le fondement du respect du principe de l'unité familiale du réfugié ou du protégé subsidiaire tel qu'issu des stipulations de la convention du 28 juillet 1951. Il en résulte qu'à compter de cette date ces documents, établis sur le fondement de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionné au point 2, font foi, quelle qu'ait été la date de leur délivrance, tant que n'a pas été mise en oeuvre par l'administration la procédure d'inscription de faux prévue aux articles 303 à 316 du code de procédure civile et en cours d'instance à l'article R. 633-1 du code de justice administrative.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. I...K...C..., bénéficiaire, ainsi qu'il l'a été indiqué au point 1, du statut de réfugié, a produit un certificat établi le 13 janvier 2012 par le directeur de l'OFPRA, attestant de son mariage avec Mme E...B...D..., le 15 juillet 2007, ainsi qu'un livret de famille mentionnant ce mariage également délivré par le directeur de l'OFPRA. Dès lors, et conformément aux dispositions législatives rappelées au point 2, en l'absence de mise en oeuvre par le ministre de la procédure d'inscription de faux, ces documents font foi en ce qui concerne l'existence du lien matrimonial unissant M. I...K...C...à Mme E...B...D.... Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que les premiers juges ont fait une inexacte application de la loi en estimant qu'ils étaient dépourvus de caractère probant.
S'agissant du lien familial avec l'enfant :
5. L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent le cas échéant après toutes vérifications utiles que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante des actes d'état-civil établis à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que celui-ci est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
6. Pour justifier la réalité du lien de filiation unissant M. I...K...C...à l'enfant H...I...K..., a été produit un certificat de naissance daté du 25 décembre 2012, établi par M. L..., second secrétaire de l'ambassade de Somalie en Ethiopie, selon lequel cet enfant est né le 30 mai 2008 à Mogadiscio et a pour mère Mme E... B...D.... Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier, ainsi que le fait valoir le ministre sans être sérieusement contredit sur ce point, que les autorités diplomatiques somaliennes en poste en Ethiopie, faute de disposer d'autres registres d'état-civil que ceux établis par leurs soins dans leur ressort territorial, soient à même de produire des documents tenant lieu d'actes de naissance pour des enfants dont la municipalité de naissance serait Mogadiscio. Au surplus, ce document ne porte pas indication du nom du père, mais seulement de la mère et n'est revêtu d'aucun cachet officiel attestant de ce qu'il émane effectivement des services consulaires de l'ambassade de Somalie en Ethiopie. Un tel documents ne peut ainsi être regardé comme faisant foi au sens des dispositions de l'article 47 du code civil précité.
7. Toutefois, M. I...K...C... peut se prévaloir des dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui réservent aux réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire la possibilité, en l'absence d'actes d'état-civil, de pouvoir justifier l'existence de liens familiaux selon les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil. Aux termes de cet article : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que le jeune I...K...C... est né le 30 mai 2008, soit dix mois après le mariage de M. I...K...C... avec Mme E... B...D.... L'enfant porte un nom composé comprenant celui de son père allégué. M. K...C... a, en outre, constamment déclaré, dès son entrée en France, le jeune H...comme étant le seul enfant qu'il a eu suite à son mariage avec Mme B... D...ainsi qu'il résulte notamment de la fiche familiale qu'il a renseignée le 3 novembre 2011 lors de sa demande d'asile, enfant qu'il distingue, ainsi qu'il le mentionne dans la lettre d'accompagnement de cette fiche adressée à l'OFPRA, des quatre autres enfants que son épouse a eu de son union avec son ancien mari défunt. Il a, par ailleurs, accompli plusieurs voyages en Ethiopie, pays frontalier de la Somalie, afin de pouvoir rencontrer sa famille et est resté en contact avec elle téléphoniquement. Il établit, enfin, avoir procédé à des transferts d'argent réguliers et conséquents en faveur de Mme B... D...à partir de 2012, soit à partir du moment où sa propre situation matérielle a pu être stabilisée. Ces éléments doivent ainsi être regardés comme établissant l'existence d'une situation de possession d'état révélant son lien de paternité envers le jeune H...et qui, en application des dispositions précitées du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile font foi en l'absence de preuve du contraire.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. K...C...et Mme B...D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Le présent arrêt implique que le ministre de l'intérieur délivre à Mme E... B...D...et au jeune H...I...K...les visas qu'ils ont sollicités. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de leur délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. M. I...K...C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono, avocat de M. I...K...C..., de la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 juillet 2017 et la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France refusant de délivrer un visa à Mme E...B...D...et au jeune H...I...K...sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur, de délivrer un visa de long séjour à Mme E...B...D...et au jeune H...I...K... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. I...K...C... , àMme E...B...F...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. L'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 12 octobre 2018.
Le rapporteur,
M. LHIRONDEL
Le président,
A. PEREZ Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00914