Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 septembre 2020 sous le n°20NT02736, Mme D..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de Tenzin F..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 juillet 2020 ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Tenzin F... dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au profit de son conseil, qui renoncera, dans cette hypothèse, à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, ou, si la demande d'aide juridictionnelle est rejetée ou s'il n'y est que partiellement fait droit, à son profit en application des dispositions de ce dernier article.
Elle soutient que :
- la décision attaquée méconnait les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me C..., représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante chinoise d'origine tibétaine qui a obtenu le bénéfice de la qualité de réfugiée le 31 décembre 2015, relève appel du jugement du 2 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé le 19 juillet 2019 contre une décision des autorités consulaires françaises en Inde du 29 avril 2019 refusant de délivrer un visa de long séjour en France à son fils B... F... au titre de la réunification familiale.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. L'aide juridictionnelle totale a été accordée à Mme D... par une décision du 5 novembre 2020. Par suite, ses conclusions tendant à ce que lui soit accordée l'aide juridictionnelle à titre provisoire sont sans objet. Il n'y a pas lieu de statuer sur ces conclusions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) ; 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) /. (...) II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Il résulte de ces dispositions combinées que l'administration est en droit de refuser de délivrer un visa de long séjour à un membre de famille d'un réfugié au motif que la réunification sollicitée n'est que partielle, sauf pour le demandeur à démontrer que cette réunification partielle est justifiée par un motif tenant à l'intérêt des enfants.
4. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
5. La demande de visa présentée pour Tenzin F... a été rejetée par l'autorité consulaire de l'ambassade de France en Inde au motif qu'elle était déposée dans le cadre d'une réunification familiale partielle qui porte atteinte à l'intérêt des enfants de la personne placée sous la protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ou de son conjoint. En cas de décision implicite et en l'absence de communication, sur demande du destinataire, des motifs de cette décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, dont la décision se substitue à celle des autorités consulaires, doit être regardée comme s'étant appropriée le motif retenu par ces autorités.
6. Il est constant que le jeune B... F..., dont le lien de filiation avec Mme D... n'est pas contesté, a deux soeurs, nées le 29 mars 2002 et le 25 juillet 2000, pour lesquelles aucune demande de visa n'a été déposée. Mme D... soutient que seul son fils réside en Inde et que ses deux filles aînées, mariées selon la tradition tibétaine, n'ont jamais quitté la Chine. Elle soutient également que le père du jeune B... F... est décédé en 2010. Si le ministre, qui reprend ses écritures de première instance, indique que la présence de Tenzin F... en Inde n'est pas avérée, Mme D... a toutefois produit une attestation du bureau d'installation tibétain (Tibetan settlement office) et, surtout, ainsi qu'il a été dit, la demande de visa a été déposée en Inde pour le jeune B... F.... La présence dans ce pays de Tenzin F... n'est ainsi pas sérieusement contestée. Nonobstant l'absence de voyage en Inde de Mme D..., et alors même que la demande de visa a été déposée trois ans après la reconnaissance par l'OFPRA de la qualité de réfugiée de Mme D..., Mme D..., qui justifie cependant de deux transferts d'argent en Inde pour des montants de 370 et 200 euros les 25 février et 7 juillet 2019, doit être regardée comme démontrant, dans les circonstances particulières de l'espèce, que l'intérêt supérieur du jeune B... F..., âgé de 15 ans à la date de la décision attaquée, est de la rejoindre en France. Par suite, Mme D... est fondée à soutenir que la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions et stipulations précitées.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
8. Sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait ou de droit, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde que le ministre de l'intérieur délivre à Tenzin F... un visa de long séjour. Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, en l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me C... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 juillet 2020 et la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Tenzin F... un visa d'entrée et de long séjour en France, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à C... une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 30 mars 2021 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme A..., présidente assesseur,
- Mme Bougrine, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2021.
Le rapporteur,
H. A...
Le président,
A. PÉREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02736