Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 août 2020, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 1er juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande de Mme D....
Il soutient que :
- concernant M. B... D..., il n'est pas précisé dans l'extrait d'acte de naissance qu'il a présenté à l'appui de sa demande de visa dans quel registre cet acte a été effectivement transcrit contrairement à ce que prévoit le jugement supplétif n°17197 du 2 août 2017 au vu duquel il a été établi. Il apparaît, en outre, au regard de la note des autorités guinéennes du 19 mai 2014, une contrariété avec le numéro de l'extrait d'acte de naissance, qui porte sur quatre chiffres, pour pouvoir être reprise dans le numéro d'identification national du passeport ;
- de même, concernant les enfants G..., Houssai, Ramata, H... et Kindy Sallun, il n'est pas précisé dans les extraits d'acte de naissance qu'ils ont présentés dans quels registres de l'état civil ils ont été effectivement transcrits contrairement à ce que prévoient les jugements supplétifs au vu desquels ils ont été établis. Par ailleurs, les numéros d'extraits d'acte de naissance, qui portent sur quatre chiffres, présentent la même contrariété au regard de la note des autorités guinéennes du 19 mai 2014 ;
- il reviendra Mme D... d'expliquer la raison pour laquelle aucun de ces documents n'a été légalisé conformément aux dispositions de l'article 191 du Code civil guinéen ;
- la possession d'état n'est pas établie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2020, Mme J... D..., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants H..., Kindy, Houssai, Ramata et Aïssatou D... et M. B... D..., représentée par Me F..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, et par l'effet dévolutif de l'appel, à l'annulation de la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au ministre de délivrer les visas sollicités dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à titre infiniment subsidiaire, à l'annulation de la décision contestée de la commission de recours et à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au ministre de procéder au réexamen des demandes de visa dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, en tout état de cause, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à leur conseil au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;
- en tout état de cause, et par l'effet dévolutif de l'appel, les autres moyens soulevés en première instance, qu'ils reprennent en appel, sont de nature à justifier l'annulation de la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Mme J... D... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
le code civil ;
la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
le rapport de M. A...'hirondel,
et les observations de Me C..., substituant Me F..., représentant Mme D... et autres
Considérant ce qui suit :
1. Mme J... D..., née le 5 août 1975 et de nationalité guinéenne, est entrée le 16 décembre 2014 en France où elle a été admise au statut de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 12 juillet 2017. M. B... D..., qui se présente comme son époux, et leurs cinq enfants allégués, H..., Kindy, Houssai, Ramata et Aïssatou D..., ont déposé, le 29 janvier 2019, des demandes de visa long séjour au titre du rapprochement familial des familles de réfugiés. Les autorités consulaires françaises à Conakry ont opposé, par une décision notifiée le 22 mars 2019, un refus à ces demandes au motif que les documents d'état civil présentés n'étaient pas probants. Le 26 juin 2019, un recours était déposé devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qui, par une décision du 26 août 2019, l'a rejeté en confirmant le motif retenu par les autorités consulaires. Par un jugement du 1er juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme D..., la décision de la commission de recours. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Pour refuser de délivrer aux intéressés les visas qu'ils sollicitaient, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que les actes de naissances, transcrits sur la base de jugements supplétifs tardifs rendus le jour même de la requête, ne sont pas conformes à l'article 601 du Code de procédure civile guinéen et à l'article 175 du code civil, de sorte que la production de tels documents relève d'une intention frauduleuse et ne permet pas d'établir l'identité des demandeurs.
3. En premier lieu, d'une part, le I de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, dispose que : " I - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans (...) ". Le II du même article dispose que : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 7213 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux ".
4. D'autre part, l'article L. 721-3 du même code dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre ".
5. Enfin, aux termes de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
6. Il résulte des dispositions citées aux points 3 à 5 que les actes établis par l'Office français des réfugiés et des apatrides ( OFPRA) sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.
7. Il ressort des pièces du dossier que l'OFPRA a délivré le 26 octobre 2017, en application de l'article L. 721-3 précité, un certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil célébré le 20 février 2000 à Ratoma, Conakry (Guinée) entre M. B... D... et Mme J... K.... La circonstance que l'extrait d'acte de naissance n°3539 de l'intéressé, délivré le 3 août 2017 en exécution du jugement supplétif n°171197 du 2 août 1997, ne mentionne pas le registre dans lequel l'acte a été transcrit, contrairement à ce que prévoirait ce jugement supplétif, n'est pas de nature à établir le caractère frauduleux du certificat de mariage délivré par l'OFPRA. Par ailleurs, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère. La circonstance alléguée par le ministre ne saurait, au surplus, établir le caractère frauduleux du jugement supplétif qui, en raison de son caractère déclaratif, établit la filiation de l'intéressé à la date de sa naissance ni, également, de l'extrait d'acte de naissance.
8. Par ailleurs, il ressort de la note du ministre guinéen de l'administration du territoire et de la décentralisation du 19 mai 2014 que, dans le cadre de la mise en oeuvre des passeports biométriques, un numéro d'identification national unique a été élaboré, lequel est composé de quinze chiffes dont les 11ème, 12ème et 13ème chiffres, doivent correspondre à ceux portés sur l'acte de naissance présenté à l'appui de la demande du document de voyage. Cette note précise que " ce numéro d'identification unique est conçu en fonction des actes de naissance fournis par les demandeurs du passeport biométrique qui est le document de voyage par excellence en Guinée. Ces actes doivent être authentifiés par la Division des affaires administratives et juridiques de la Direction Nationale de l'Etat Civil, responsable de la gestion de ce numéro auprès de la police de l'air et des frontières au Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile " et que " le numéro de l'extrait de naissance doit être conforme à celui du numéro d'identification unique, élément clé du passeport c'est- à-dire le onzième, le douzième et le treizième chiffre ". Il est constant, alors même que le numéro de l'extrait de naissance comporte quatre chiffres, qu'ont bien été reportés sur le passeport de M. B... D..., dans le numéro d'identification unique, aux onzième, douzième et treizième chiffres, les trois derniers chiffres du numéro de l'extrait d'acte de naissance. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le passeport de M. B... D... a été délivré au vu d'un autre acte d'état civil que celui présenté dans le cadre de la demande de visa.
9. Enfin, aux termes de l'article 191 du code civil guinéen : " Toute personne peut, sauf l'exception prévue à l'article 209, se faire délivrer par les dépositaires des registres de l'état civil des copies des actes inscrits sur les registres. / Les copies délivrées conformes aux registres portant en toutes lettres la date de délivrance, et revêtues de la signature et du sceau de l'autorité qui les aura délivrées, feront foi jusqu'à inscription de faux. Elles devront être, en outre, légalisées sauf conventions internationales contraires, lorsqu'il y aura lieu de les produire devant les autorités étrangères. / Il pourra être délivré des extraits qui contiendront, outre le nom de la commune où l'acte a été dressé, la copie littérale de cet acte et des mentions et transcriptions mises en marge, à l'exception de tout ce qui est relatif aux pièces produites à l'officier de l'état civil qui l'a dressé et à la comparution des témoins. Ces extraits font foi jusqu'à inscription de faux. ". Les documents produits à l'appui de la demande de visa n'ont pas le caractère de copies d'acte de l'état civil délivrées conformes aux registres mais de jugements supplétifs tenant lieu d'acte de naissance accompagnés d'un extrait de sa transcription dans le registre. Par suite, les dispositions de l'article 191 du code civil guinéen, qui imposent la légalisation des copies d'actes délivrées conformes aux registres, ne leurs sont pas applicables.
10. En deuxième lieu, s'agissant des enfants H..., Kindy, Houssai, Ramata et Aïssatou D... ont été produits à l'appui des demandes de visa, les jugements supplétifs délivrés le 1er août 2017 par le tribunal de première instance de Conakry II, portant respectivement, pour chacun de ces enfants, les n°17068, n°17069, n°17066, n°17067 et n°17065, ainsi que les extraits d'actes de naissance pris en exécution de ces jugements par l'officier de l'état civil de la commune de Ratoma - ville de Conakry le 3 août 2017 et portant les n°3540, n°3542, n°3544, n°3543 et n°3546. Pour contester l'authenticité de ces documents, le ministre reprend les mêmes moyens que précédemment développés tirés de ce que les extraits d'acte de naissance ne mentionnent pas les registres dans lesquels les actes ont été transcrits, une numérotation d'identification unique non conforme aux précisions apportées par les autorités guinéennes dans leur note du 19 mai 2014 et le défaut de légalisation des actes en méconnaissance des dispositions de l'article 191 du code civil guinéen. Il y a lieu d'écarter ces moyens pour les mêmes motifs que ceux développés aux points 7 à 9.
11. Alors même que Mme D... n'aurait pas établi une possession d'état, il résulte de ce qui précède que, faute pour l'administration d'établir l'existence d'une fraude, l'acte de mariage établi par l'OFPRA sur le fondement de l'article L. 721-3 précité a valeur d'acte authentique établissant le lien matrimonial allégué et les jugements supplétifs présentés par M. B... D... et les enfants H..., Kindy, Houssai, Ramata et Aïssatou D..., justifient de leur identité. Il en va de même s'agissant des extraits d'acte de naissance et des passeports dont le caractère inauthentique n'est pas démontré. Il suit de là que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les frais liés au litige :
12. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me F... dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Le versement de la somme de 1 200 euros à Me F... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J... D..., à M. B... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme E..., présidente assesseur ;
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 février 2021.
Le rapporteur,
M. I...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT02530