Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 octobre 2014 ME..., représenté par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 août 2014 ;
2°) d'annuler les décisions des 28 décembre 2011, 27 janvier 2012 et 27 avril 2012 du directeur du centre hospitalier spécialisé de la Sarthe ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier spécialisé de la Sarthe le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision du 27 janvier 2012 méconnait l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ; les faits allégués à l'appui de cette décision n'avaient pas un caractère de vraisemblance suffisant et la seule pièce versée au dossier fait référence à des rumeurs et à des propos tenus par des patients ; ces faits étaient en contradiction avec les appréciations portées sur sa fiche de notation pour l'année 2011 ;
- la décision du 27 avril 2012 prononçant sa révocation à compter du 30 avril 2012 est intervenue à la suite d'une procédure irrégulière et en méconnaissance du principe d'impartialité garanti par l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le directeur adjoint du personnel ne pouvait assister en qualité de secrétaire au conseil de discipline et le procès-verbal du conseil de discipline ne mentionne pas le grade d'un des représentants du personnel avec voix délibérative en méconnaissance des dispositions de l'article IV de l'arrêté du 14 août 1992 ;
- la décision prononçant sa révocation est illégale au fond ; les différents griefs retenus contre lui ne sont pas établis matériellement ; les griefs tirés de ce qu'il aurait de son propre chef décidé d'extraire un patient de sa chambre d'isolement et aurait maltraité physiquement un jeune patient particulièrement vulnérable ne sont pas fondés ; le grief tiré du comportement humiliant et portant atteinte à la dignité humaine qu'il aurait eu à l'égard d'un patient lors de son transfert le 30 novembre 2011 n'est pas sérieux ; le reproche tenant à l'atteinte à l'obligation de secret professionnel et à l'éthique professionnelle ne pouvait être retenu contre lui car il avait déjà fait l'objet d'un rapport précédemment ; le grief tiré de la non application des prescriptions médicales procède d'une interprétation totalement subjective ; enfin le grief tiré de la non exécution des actes relevant de la profession d'infirmier n'est pas davantage établi.
Par un mémoire enregistré le 11 septembre 2015, le centre hospitalier spécialisé de la Sarthe conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. E...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code la santé publique ;
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
- le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière ;
- le décret n° 92-794 du 14 août 1992 relatif aux commissions administratives paritaires locales et départementales de la fonction publique hospitalière ;
- l'arrêté du 14 août 1992 relatif à la répartition des corps et grades de la fonction publique hospitalière pour la constitution des commissions administratives paritaires locales et départementales des établissements mentionnés à l'article 2 du titre IV du statut général des fonctionnaires, autres que celles compétentes pour l'assistance publique des hôpitaux de Paris ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public ;
1. Considérant que M.E..., infirmier en soins généraux et spécialisés du 2ème grade affecté au centre hospitalier spécialisé de la Sarthe, a fait l'objet d'une mesure de suspension pour une durée de quatre mois par une décision du directeur de l'établissement en date du 28 décembre 2011 ; que l'article 2 de cette décision a été modifié le 27 janvier 2012 en vue de reporter la date de saisine du conseil de discipline au 31 mars 2012 au plus tard ; que, par une décision du 27 avril 2012, rendue après l'avis émis le 25 avril par le conseil de discipline, le directeur de l'établissement a prononcé la révocation de M. E... à compter du 30 avril suivant ; que M. E...a saisi le tribunal administratif de Nantes de deux demandes successives tendant à l'annulation, d'une part, de la décision précitée du 28 décembre 2011, ensemble la décision modificative du 27 janvier 2012, d'autre part, de la décision du 27 avril 2012 prononçant sa révocation,; que M. E...relève appel du jugement du 26 août 2014 par lequel cette juridiction a rejeté ses deux demandes ;
Sur la légalité de la décision du 28 décembre 2011, ensemble celle du 27 janvier 2012, prononçant la suspension de M. E...:
2. Considérant qu'aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline (...) " ; que la mesure provisoire de suspension, qui est uniquement destinée à écarter temporairement un agent du service en attendant qu'il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation, ne présente pas par elle-même un caractère disciplinaire ; qu'elle peut être légalement prise dès lors que l'administration est en mesure d'articuler à l'encontre de l'intéressé des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que le directeur du centre hospitalier a été saisi les 26 et 27 décembre 2011 de deux plaintes circonstanciées, la première rédigée par un patient majeur se disant victime de maltraitance de la part de M.E..., la seconde émanant d'un autre patient de l'établissement entendu par un permanencier de la commission de relation avec les usagers et se plaignant, quant à lui, de maltraitances physiques et verbales ; que, dès le 26 décembre 2011, le docteur Shapira, médecin chef du pôle de psychiatrie générale dans lequel M. E...est affecté, avait alerté la direction de l'établissement sur les faits de maltraitance signalés et caractérisés " par une brutalité physique et verbale " et demandé l'organisation d'une enquête administrative ; qu'il est constant que M. E...avait déjà par le passé, ainsi que plusieurs attestations en témoignent, fait preuve de comportements colériques, agressifs et violents conduisant certains patients voire certains collègues à le craindre et suscitant de fortes tensions dans le service ; qu'à deux reprises, les 22 février et 2 septembre 2011, deux blâmes lui avaient été infligés pour, d'une part, non respect d'une prescription médicale et pour s'être soustrait aux directives données par ses supérieurs hiérarchiques et, d'autre part, pour non respect des règles déontologiques ; que, dans ces conditions, à la date à laquelle la décision contestée a été prise et compte tenu de la concordance des témoignages et signalements et du comportement agressif et inadapté, qui s'était manifesté de façon réitérée, de l'intéressé et qui était connu de sa hiérarchie, les faits reprochés à M. E...présentaient un caractère de vraisemblance suffisant de nature à justifier que soit prise, dans l'intérêt du service, une mesure de suspension de fonctions et ce, sans que la circonstance que l'agent avait été bien noté au titre de l'année 2011 soit de nature à remettre en cause cette appréciation ;
Sur la légalité de la décision du 27 avril 2012 prononçant la révocation de M.E... :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 7 du décret du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière : "Le conseil de discipline délibère en dehors de la présence de toute personne qui n'est pas membre du conseil, son secrétaire excepté. " ; que la présence du directeur adjoint chargé du personnel, appelé à assurer le secrétariat du conseil de discipline, n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité la procédure ; qu'il n'est en l'espèce pas établi que la présence de ce fonctionnaire, qui n'a pas participé au débat mais s'est contenté, ainsi qu'en atteste le procès-verbal établi à l'issue de ce conseil, de répondre " à des interrogations des membres portant sur la forme et les règles de la procédure disciplinaire ", ait été de nature à influer sur le sens des votes émis au cours de cette séance; que, par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière pour ce motif ;
5. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 83 de la loi du 9 janvier 1986 : " Le conseil de discipline ne comprend en aucun cas des fonctionnaires d'un grade inférieur à celui du fonctionnaire déféré devant lui, à l'exception des fonctionnaires d'un garde hiérarchiquement équivalent au sens de l'article 20-1 de la présente loi. Il comprend au moins un fonctionnaire du grade de ce dernier ou d'un grade équivalent " ; que l'article 1er de l'arrêté du 14 août 1992, relatif à la répartition des corps et grades de la fonction publique hospitalière pour la constitution des commissions administratives paritaires locales et départementales des établissements mentionnés à l'article 2 du titre IV du statut général des fonctionnaires, énonce quant à lui : " Le procès-verbal mentionné à l'article 48 du décret du 14 août 1992 doit contenir au minimum les informations suivantes : - nom de la commission administrative paritaire ; - date et objet de la séance ; - nom et qualité du président ; - liste des membres siégeant avec voix délibérative et leur qualité (représentant de l'administration ou du personnel, grade) ; - procès-verbal des débats ; - résultats des votes faisant apparaître leur répartition (favorable, défavorable, nuls) ainsi que les abstentions " ; que si le procès-verbal du conseil de discipline qui s'est tenu le 25 avril 2012 mentionne que participaient en qualité de représentants des personnels avec voix délibérative Mme G...et M.A..., étant expressément précisé qu'ils étaient respectivement psychologue et infirmier au sein du centre hospitalier spécialisé de la Sarthe, il est constant que la lettre du 6 avril 2012 convoquant M. E...devant cette instance indiquait expressément le grade de M. A...et que ce grade était équivalent au sien ; qu'il s'ensuit que la circonstance que le procès-verbal ne mentionne pas le grade de M. A...demeure sans incidence sur la régularité de la procédure disciplinaire suivie ;
En ce qui concerne la légalité interne :
6. Considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir saisi de moyens en ce sens de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier et notamment des différents témoignages circonstanciés produits que M. E...a, le 25 décembre 2011, interrompu l'isolement thérapeutique auquel était astreint un patient, hospitalisé au sein de l'unité de soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat en provenance de la maison d'arrêt " Les Croisettes " du Mans, en le conviant de sa propre initiative et sans aucune concertation avec les autres membres de l'équipe soignante à prendre son repas dans la salle commune avec les autres patients en dehors de toute consigne médicale contrairement à ce que prévoit le protocole de soins relatif à l'isolement thérapeutique ; que ces faits, que M. E...a reconnus lors d'un entretien qu'il a eu le lendemain avec un cadre suppléant de l'unité de soins, et qui ont été consignés dans un témoignage versé au rapport introductif devant le conseil de discipline, ont été de nature à mettre en danger les membres de l'équipe soignante et les autres patients de l'unité, comme en ont témoigné une aide-soignante, un agent des services hospitaliers, une infirmière et un cadre de santé qui ont souligné un très fort sentiment d'insécurité et un contexte majeur de tension au moment de ce repas ; que M. E...a, également le 25 décembre 2011, adopté un comportement particulièrement violent et inadapté à l'égard d'un jeune patient adulte de retour de permission en " le saisissant brutalement par le cou avec son bras, ce qui a soulevé ce patient du sol (étranglement),en le trainant dans sa chambre toujours en l'étranglant pour le jeter violemment sur le lit " ; que ces faits, qui caractérisent un comportement particulièrement maltraitant de la part d'un infirmier, en violation des articles R.4311-2 et R.4312-2 du code de la santé publique, sont également attestés par les témoignages d'une aide soignante et d'une infirmière ; qu'il ressort également du témoignage d'un patient que l'intéressé aurait adopté à son égard, le 30 novembre 2011, un comportement humiliant et insultant à l'occasion de son transfert dans une autre unité ; qu'il ressort des pièces jointes au rapport de saisine du conseil de discipline que le déroulement de carrière de M. E...a été marqué au cours des dernières années par des manquements professionnels et/ou un comportement non conforme à la déontologie professionnelle de l'infirmier ; qu'ont ainsi été rapportés des signalements pour comportement violent et agressif verbalement et physiquement, pour tenue de propos violents et irrespectueux à l'égard de patients mais aussi de collègues et du personnel d'encadrement, ainsi que pour faits relevant de la maltraitance ; qu'enfin il ressort de plusieurs témoignages d'infirmières travaillant aux côtés du requérant que ce dernier a tenté de surdoser le traitement médicamenteux d'une patiente et a demandé à ses collègues de faire de même, et qu'il est non contesté que M. E...omet régulièrement de consigner ses actes de soins, faisant ainsi obstacle à leur traçabilité et à l'identification du personnel soignant responsable ;
8. Considérant que l'ensemble des éléments de faits ainsi rappelés, qui sont corroborés par de nombreuses attestations circonstanciées et convergentes et autres pièces figurant au dossier, sont, malgré les dénégations de l'intéressé, de nature à établir la matérialité des comportements et des faits qui sont reprochés à M.E..., lesquels constituent des manquements professionnels d'une particulière gravité et inexcusable ; que de telles fautes étaient, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, de nature à justifier une sanction disciplinaire ; qu'eu égard à la réitération d'un comportement maltraitant, agressif et violent, à l'absence de remise en cause des modalités de son exercice professionnel malgré notamment l'infliction de deux blâmes au cours de l'année 2011, le directeur du centre hospitalier spécialisé de la Sarthe a, en infligeant à M. E... la sanction de la révocation, sanction du quatrième groupe, pris une sanction proportionnée à la gravité de ces fautes ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier spécialisé de la Sarthe, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. E...de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. E...le versement au centre hospitalier spécialisé de la Sarthe de la somme de 1000 euros au titre des mêmes frais ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.
Article 2 : M. E...versera la somme de 1000 euros au centre hospitalier spécialisé de la Sarthe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...et au centre hospitalier spécialisé de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 février 2016.
Le rapporteur,
O. COIFFETLe président,
I. PERROT
Le greffier,
M. LAURENT
La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14NT02761