Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 avril 2020 Mme B... E..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 février 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 décembre 2019 en tant qu'il lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à titre de subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 500 euros à verser à son conseil dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors qu'il n'a pas annulé la décision fixant le pays de renvoi alors qu'il a constaté l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement à destination du Soudan et qu'elle n'est admissible ni en Libye, où les migrants sub-sahariens subissent de graves discriminations, ni en Arabie saoudite, pays dont elle n'a pas la nationalité;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête a été communiquée le 21 avril 2020 au préfet d'Ille-et-Vilaine, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme B... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 juin 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- et les observations de Me C..., représentant Mme B... E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... E..., ressortissante soudanaise née en 1996 et déclarant être entrée irrégulièrement en France le 10 octobre 2018, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 13 mai 2019 du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par un arrêté du 30 décembre 2019, le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle était susceptible d'être reconduite. Mme B... E... relève appel du jugement du 11 février 2020 du président du tribunal administratif de Rennes rejetant sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Mme B... E... soutient que le premier juge aurait dû faire droit à ses conclusions aux fins d'annulation de la décision fixant le pays de renvoi et ne pas se borner à constater que des circonstances postérieures à l'arrêté contesté faisaient obstacle à l'exécution de la mesure d'éloignement à destination du Soudan. Ce faisant, la requérante critique l'appréciation au fond portée par le premier juge sur son recours pour excès de pouvoir et un tel moyen, qui relève du bien-fondé du jugement est sans incidence sur sa régularité.
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :
3. En premier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressée dont la décision portant obligation de quitter le territoire français serait entachée par adoption des motifs circonstanciés retenus à bon droit par le premier juge.
4. En second lieu, Mme B... E... soutient qu'elle vit en couple depuis octobre 2018 avec un compatriote, alors titulaire d'un titre de séjour valable jusqu'au 24 octobre 2020 et qu'une fille est née de cette relation le 1er septembre 2019. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressée, qui tant dans sa demande initiale d'asile déposée le 15 janvier 2019, que lors du renouvellement de cette demande a déclaré être célibataire, n'établit ni l'ancienneté de la relation de concubinage qu'elle invoque ni la réalité d'une communauté de vie avec le père de son enfant à la date de l'arrêté contesté. Elle ne justifie pas davantage de l'existence de liens entre cet enfant et son père. Ayant vécu principalement au Soudan et en Libye, elle n'établit pas être dépourvue d'attaches personnelles et familiales en dehors du territoire français, où elle est entrée irrégulièrement à l'âge de vingt-deux ans et où elle n'a séjourné que quatorze mois. Si la requérante soutient en outre que sa fille, pour le compte de laquelle elle a présenté une demande d'asile, court un risque d'excision au Soudan, la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français n'a pas pour objet de fixer le pays à destination duquel cette mesure d'éloignement est susceptible d'être exécutée. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment des conditions d'entrée et de séjour en France de Mme B... E..., et alors même qu'un second enfant est né début 2021 comme il a été indiqué à la barre, la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
Dès lors, en prenant cette décision, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a pas davantage commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur la situation personnelle de l'intéressée.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
5. L'arrêté contesté dispose que Mme B... E... pourra être reconduite à destination de tout pays dans lequel elle serait légalement admissible. Si l'intéressée soutient qu'elle n'est admissible ni en Libye ni en Arabie Saoudite, cette circonstance, à la supposer avérée, est seulement de nature à faire obstacle à l'exécution de la mesure d'éloignement à destination de ces deux pays et est sans incidence sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi.
6. Aux termes de l'article 3 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
7. Mme B... E..., qui se déclare née en Arabie Saoudite et être d'origine ethnique borgo, fait valoir qu'elle a vécu jusqu'à l'âge de douze ans au Soudan, pays qu'elle a quitté avec sa famille en 2008 à la suite d'une attaque de son village par des milices janjawids, pour rejoindre la Libye où elle a vécu une dizaine d'années. Toutefois, alors que sa demande d'asile a été rejetée au motif notamment que ses déclarations relatives à son ethnie et sa région d'origine présentaient un caractère succinct et incertain, l'intéressée n'établit pas, en se bornant à se prévaloir de considérations générales sur la situation du Darfour occidental et du statut de femme isolée qui serait le sien, qu'elle serait personnellement exposée à des risques graves et actuels en cas de retour au Soudan. La requérante n'établit pas davantage, en invoquant, en des termes généraux, les discriminations subies en Libye par les migrants d'origine ethnique non-arabe, être personnellement exposée à de tels risques en cas d'éloignement à destination de ce pays. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.
8. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions concernant les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dernières stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Mme B... E... soutient que sa fille, née le 1er septembre 2019, serait exposée à un risque d'excision au Soudan et qu'une demande d'asile a été présentée en janvier 2020. Toutefois, en se bornant à produire des documents comportant des considérations générales relatives aux mutilations génitales féminines au Soudan, sans apporter aucun élément circonstancié de nature à établir que sa fille serait personnellement exposée à un risque de mutilation ou qu'elle serait dans l'impossibilité de l'en protéger, l'intéressée n'établit pas la réalité du risque qu'elle invoque.
Par suite le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
D E C I D E
Article 1er : La requête de Mme B... E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 4 février 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président,
- Mme D..., président-assesseur,
- M. Berthon, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2021.
Le rapporteur
C. D...
Le président
I. Perrot
Le greffier
A. Martin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20NT013612