Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 août 2017 et 19 avril 2019 M. et MmeD..., représentés par MeF..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 16 juin 2017 ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 239 000 euros assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article
L.761-1 du code de justice administrative ainsi que le remboursement du droit de plaidoirie.
Ils soutiennent que :
- les arrêtés du préfet de la Sarthe du 28 août 2009 et du 27 octobre 2010 leur refusant d'exploiter les terres en litige, qui ont été annulés par le tribunal administratif de Nantes le 13 juillet 2011 pour vice de forme, étaient également entachés d'illégalité sur le fond ; le calcul des coefficients de développement d'exploitation ayant permis de départager leur demande et celle présentée par M.B..., au profit de ce dernier, était erroné ; M. B...n'employait aucun salarié à la différence d'eux-mêmes qui embauchaient deux salariés à temps partiel et un apprenti, et M. B...ne pouvait bénéficier des deux autorisations d'exploiter dans la mesure où, en leur qualité de propriétaires des terres en cause, ils souhaitaient eux-mêmes les exploiter ;
- l'Etat a donc commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- ils ont subi un préjudice lié aux travaux de remise en état des terres pour un montant total de 23 184,30 euros ; l'état des terres ayant été constaté par huissier, ils demandent le remboursement des honoraires soit la somme de 435,55 euros ;
- les terres n'ayant pas été exploitées plus de deux ans d'affilée, ils ont perdu les droits à paiement unique qui y étaient attachés, soit de 2009 à 2019 la somme totale de 81 485,72 euros dont le quantum n'est pas utilement contesté par l'administration ;
- la valeur vénale du terrain s'est trouvée dépréciée de 27 300 euros ;
- les pertes de récoltes en colza, blé et maïs pour les années culturales 2009-2010,
2010-2011 et 2011-2012 s'élèvent à la somme totale de 101 597,25 euros dont le quantum n'est pas utilement contesté par l'administration ;
- ils ont enfin subi un préjudice moral et une perte d'image dans leur environnement professionnel qui peuvent être évalués à 5 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 15 octobre 2018 le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens présentés par les époux D...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Coiffet,
- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et MmeD..., dirigeants d'une exploitation agricole d'une superficie totale de 336 hectares à Cormes (Sarthe), dont seulement 18 ha 65 en pleine propriété, ont déposé les 27 mai 2009 et 9 juillet 2009 une demande d'autorisation d'exploiter 29,85 hectares supplémentaires dont ils s'étaient portés acquéreurs. Cette demande a été rejetée par un arrêté du préfet de la Sarthe du 28 août 2009, en raison de l'existence d'une demande concurrente bénéficiant d'un rang de priorité supérieur. Par un arrêté préfectoral du 27 octobre 2010, une nouvelle demande, en date du 11 mai 2010 a été rejetée pour le même motif. Ces deux arrêtés préfectoraux ont été annulés par le tribunal administratif de Nantes le 13 juillet 2011, au motif que l'irrégularité de la composition de la commission départementale d'orientation de l'agriculture de la Sarthe devait être tenue pour établie. Le préfet de la Sarthe a alors engagé une nouvelle procédure en invitant le 21 septembre 2011 les deux concurrents à confirmer leur demande. Seuls les époux D...ont répondu en confirmant le 17 octobre 2011 leur demande d'autorisation d'exploiter. Cette autorisation leur a été délivrée par un arrêté du 1er février 2012. M. et Mme D...ont alors, le 22 décembre 2014, présenté à l'administration une réclamation préalable tendant au versement d'une somme de 250 033,23 euros en réparation des divers préjudices qu'ils estimaient avoir subis du fait de l'illégalité des deux arrêtés préfectoraux des 28 août 2009 et 27 octobre 2010. En l'absence de réponse à leur demande, ils ont sollicité du tribunal administratif de Nantes la condamnation de l'Etat à leur verser cette somme. Les époux D...relèvent appel du jugement du 16 juin 2017 par lequel cette juridiction a rejeté leur demande indemnitaire, qu'ils ont ramenée à la somme de 239 000 euros.
2. Si toute illégalité qui entache une décision administrative constitue en principe une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique au nom de laquelle cette décision a été prise, une telle faute ne peut donner lieu à la réparation du préjudice subi par l'exploitant évincé lorsque, les circonstances de l'espèce étant de nature à justifier légalement la décision, le préjudice allégué ne peut être regardé comme la conséquence du vice dont cette décision est entachée.
3. Aux termes de l'article que l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction applicable : " L'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. / Elle doit notamment :1° Observer l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles, en tenant compte de l'intérêt économique et social du maintien de l'autonomie de l'exploitation faisant l'objet de la demande ; 2° S'assurer, en cas d'agrandissement ou de réunion d'exploitations, que toutes les possibilités d'installation sur une exploitation viable ont été considérées ; 3° Prendre en compte les biens corporels ou incorporels attachés au fonds dont disposent déjà le ou les demandeurs ainsi que ceux attachés aux biens objets de la demande en appréciant les conséquences économiques de la reprise envisagée ;/ 6° Tenir compte du nombre d'emplois non salariés et salariés permanents ou saisonniers sur les exploitations concernées ; 7° Prendre en compte la structure parcellaire des exploitations concernées, soit par rapport au siège de l'exploitation, soit pour éviter que des mutations en jouissance ne remettent en cause des aménagements réalisés à l'aide de fonds publics ; (...) ".
4. Aux termes de l'article 3 du schéma directeur départemental des structures agricoles (SDDSA) du département de la Sarthe, alors en vigueur, adopté par un arrêté préfectoral du 19 juin 2008 qui définit les priorités de la politique départementale : " Ordre des priorités : Les opérations pour lesquelles des demandes d'autorisation d'exploiter concurrentes sont présentées sont classées selon l'ordre des priorités suivant: / 6- Autres installations et agrandissements.". L'article 5 énonce ensuite : " Hiérarchisation complémentaire dans un même rang de priorité : Les demandes concurrentes relevant d'un même rang de priorité peuvent être hiérarchisées pour différencier les demandes en fonction de la dimension économique des exploitations dès que ces dimensions diffèrent de plus de 0,2. (...) ". Enfin, l'article 6 indique, quant à lui : " La dimension économique des exploitations est mesurée par le rapport du coefficient de l'exploitation sur le coefficient de main d'oeuvre. / Le coefficient de l'exploitation est égal à la somme des coefficients d'équivalence de chaque production, calculée sur la base du tableau d'équivalence figurant au 2. du présent article./ Le coefficient de main d'oeuvre est égal à la somme de la valeur des UHT présents sur l'exploitation selon leur fonction et selon leur rang, précisé au 3. du présent article. ".
5. Il résulte de la combinaison des dispositions rappelées aux points 3 et 4 que le préfet, saisi de demandes concurrentes d'autorisation d'exploiter portant sur les mêmes terres, doit, pour statuer sur ces demandes, observer l'ordre des priorités établi par le schéma directeur départemental des structures agricoles. Il est ainsi tenu de rejeter la demande lorsqu'un autre agriculteur, prioritaire au regard des dispositions du schéma directeur départemental des structures agricoles (SDDS), a également présenté une demande d'autorisation portant sur les mêmes terres.
6. En premier lieu, il ressort des arrêtés des 28 août 2009 et 27 octobre 2010 mentionnés au point 1 que, pour départager les demandes d'autorisation d'exploiter les mêmes parcelles présentées par M. D... et par M.B..., demandes qui relevaient de la même priorité de rang 6 " autres installations et agrandissements " de l'article 3 du schéma directeur, et pour accorder à M. B... l'autorisation sollicitée le préfet de la Sarthe s'est fondé sur la circonstance que " le coefficient de développement d'exploitation de M. D...était supérieur de plus de 0,2 à celui de M.B..., différence permettant de hiérarchiser les situations au regard de l'article 5 du SDDS ". Il est établi que ce constat a été fait par l'administration au vu des données figurant dans les formulaires de demandes d'autorisation présentées respectivement par M. D...et par M.B..., que l'administration a versés aux débats en appel, et que le calcul du coefficient de développement d'exploitation - soit la dimension économique de l'exploitation - a été opéré à partir des renseignements portés dans les rubriques " productions végétales ", " productions animales " et " personnes travaillant sur l'exploitation - affiliées à la MSA-". Il ne résulte pas de l'instruction et n'est pas démontré par les requérants, qui n'apportent aucune précision à l'appui de leur critique, que le calcul ainsi opéré par l'administration, qui résulte de la somme des coefficients économiques des productions végétales et animales divisée par le coefficient de main d'oeuvre (soit aucun salarié s'agissant de M. B...et deux salariés et un apprenti pour M. D...) et aboutit à retenir, à la date des arrêtés critiqués, un coefficient économique d'exploitation de 1,9758 pour M. D...et de 1,2227 pour M.B..., serait erroné.
7. En second lieu, du fait de l'indépendance de la législation des cumuls d'exploitations agricoles et de celle des baux ruraux, le préfet de la Sarthe pouvait légalement, alors même que les époux D...étaient propriétaires des terres en litige et n'avaient ni consenti ni l'intention de consentir aucun bail à M. B..., écarter au profit de ce dernier la candidature de M. D...en se conformant aux dispositions du schéma directeur des structures agricoles du département considéré. Par suite, le moyen avancé par les époux D...tiré de ce que l'autorisation d'exploitation accordée à M. B...ne pouvait être validée faute de pouvoir obtenir leur accord en leur qualité de propriétaires des parcelles en litige, est inopérant et ne peut qu'être écarté. Les requérants ne sauraient davantage utilement invoquer cette dernière circonstance pour soutenir que les dispositions des 3° et 6° citées au point 3 de l'article L. 331-2 du code rural auraient été pour ce motif méconnues.
8. Il résulte de ce qui précède que, bien qu'entachés d'un vice de forme, les arrêtés préfectoraux des 28 août 2009 et 27 octobre 2010 refusant à M. D...l'autorisation d'exploiter les parcelles d'une surface de 29 ha 85 étaient légalement justifiés au regard des dispositions légales et règlementaires alors en vigueur. Par suite, et dès lors qu'aucun lien ne peut être établi entre ces arrêtés et les préjudices invoqués, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les prétentions indemnitaires de Mme et M.D....
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. et Mme D...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les frais de l'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme et M. D...de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Pour les mêmes motifs, leur demande tendant au remboursement des frais de plaidoirie, au demeurant non chiffrés, ne peut qu'être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme et M. D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G...D..., à Mme A...C...épouse D...et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Berthon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 mai 2019.
Le rapporteur
O. CoiffetLe président
I. Perrot Le greffier
M. E...
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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17NT02463