Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 20 février 2018, le 4 mai 2018 et le 19 novembre 2018, M.A..., représenté par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 novembre 2017 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 10 novembre 2017 par lesquels la préfète de la Loire-Atlantique a décidé d'une part son transfert en Italie en vue de l'examen de sa demande d'asile et d'autre part son assignation à résidence ;
3°) d'enjoindre à la préfète, à titre principal de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
en ce qui concerne la décision de réadmission
- la décision est insuffisamment motivée ;
- les dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ont été méconnues ; il n'est pas démontré que l'entretien a été conduit par une personne qualifiée en droit national ;
- la décision ne comporte aucun critère de détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile ;
- la décision méconnait les dispositions de l'article 10 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision n'a pas été précédée d'un examen rigoureux de sa situation médicale ;
- la décision méconnaît l'article 10 du règlement n° 1560/2003 ;
- la décision est entachée d'un défaut d'examen du risque de violation des dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors qu'il y a des raisons de croire à des défaillances systémiques en Italie et qu'en l'absence même de défaillances systémiques, il existe un risque de mauvais traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en Italie ;
- les dispositions de l'article 17-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ont été méconnues ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il n'est pas en fuite ;
en ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle est insuffisamment motivée ;
- l'illégalité de la décision de transfert en Italie entraîne l'illégalité de la décision d'assignation à résidence ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnait son droit à un recours effectif dès lors que la notification de l'arrêté d'assignation à résidence emporte un délai de recours contentieux réduit à 48 heures à l'encontre de l'arrêté de réadmission plutôt que de quinze jours.
Par un courrier enregistré le 13 avril 2018, la préfète de la Loire-Atlantique indique que M. A...étant en fuite depuis le 28 mars 2018, le délai de transfert a été reporté au 19 avril 2019.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2018, la préfète de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête, M. A...ayant été déclaré en fuite depuis le 28 mars 2018.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique ;
- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter,
- et les observations de MeD..., représentant M.A....
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant guinéen né le 23 mars 1997, a déposé une demande d'asile en France le 2 octobre 2017 auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique. La consultation du fichier Eurodac a révélé qu'il avait franchi irrégulièrement les frontières italiennes le 20 mars 2017 puis sollicité l'asile dans ce pays le 29 mars 2017. La demande de reprise en charge de M. A...formée par la préfète de la Loire-Atlantique auprès des autorités italiennes le 3 octobre 2017 a été implicitement acceptée. Par un arrêté du 10 novembre 2017, la préfète a décidé, d'une part, de remettre l'intéressé aux autorités italiennes et, d'autre part, de l'assigner à résidence. M. A...relève appel du jugement du 13 novembre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...) La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. ". Par ailleurs, l'article 17 du même règlement dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité ". Il résulte de ces dispositions que si le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 prévoit en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et que cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application des critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile est toutefois écartée en cas de mise en oeuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre par l'article 17 de ce règlement est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
3. Il ressort des pièces du dossier, en particulier d'une attestation du 28 février 2018 établie par un praticien hospitalier psychiatre, que M. A...est suivi régulièrement par la permanence d'accès aux soins de santé (PASS) psychiatrie du centre hospitalier universitaire de Nantes depuis la fin de l'année 2017. Selon cette attestation, l'intéressé présente un épisode dépressif majeur, avec une perte d'élan vital et un risque suicidaire, " des voix lui disant de s'infliger des blessures par arme blanche ", et des troubles de sommeil importants avec une insomnie quasi-totale. Le praticien hospitalier met en lien cet état psychique très perturbé avec le deuil pathologique de la compagne du requérant, décédée en Algérie lors de la traversée du désert et les violences physiques subies par M. A...en Algérie et en Lybie. Par ailleurs, est versée au dossier une attestation du 22 février 2018 émanant d'une permanente du service diocésain de la pastorale des migrants indiquant qu'elle a fait la connaissance de M. A..." dans le courant du mois d'octobre 2017 ", que ce dernier " était à la rue " et que " il est vite apparu qu'il était dans un état de détresse psychologique épouvantable ". En outre, le requérant produit une convocation datée du 10 octobre 2017 pour une consultation à la permanence d'accès aux soins de santé le 16 novembre 2017, date à laquelle un nouveau rendez-vous lui été fixé pour une consultation le 8 décembre 2017. Les éléments produits permettent d'établir qu'au moment où a été prise la décision de remise à l'Italie, une prise en charge médicale de M.A..., rendue nécessaire par la gravité de son état de santé, se mettait en place. Par ailleurs, le requérant soutient avoir mentionné ses problèmes de santé ainsi que l'absence de soins prodigués en Italie où il s'est retrouvé à la rue alors pourtant qu'il était malade, lors de son entretien en préfecture le 2 octobre 2017. Toutefois, le compte-rendu d'entretien extrêmement bref, d'ailleurs non signé par l'agent qui l'aurait conduit, ne comporte pas d'éléments d'information autres que les renseignements sommaires mentionnés dans le formulaire de demande d'asile de M.A.... Dans ces conditions, en l'absence de toute réponse expresse à la demande de reprise en charge formulée par l'administration française, il n'existe aucune garantie que les autorités italiennes soient en mesure de prendre en compte l'état de santé du requérant et le suivi médical qu'il requiert alors qu'il ressort des pièces du dossier et des propos non contredits tenus à l'audience, où le requérant était présent, que son état est étroitement lié à la pérennité du suivi de son traitement en France, dont le défaut entraînerait une dégradation particulièrement grave de sa santé, susceptible d'être irréversible en raison en particulier des idées suicidaires expressément mentionnées dans le certificat médical précité du 28 février 2018.
4. Or, dans son arrêt du 16 février 2017 C.K., H.F. et A.S. c/ Slovénie (n° C-578/16), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que " dès lors qu'un demandeur d'asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l'article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l'État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d'apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu'elles décident du transfert de l'intéressé (...) Il appartiendrait alors à ces autorités d'éliminer tout doute sérieux concernant l'impact du transfert sur l'état de santé de l'intéressé. Il convient, à cet égard, en particulier lorsqu'il s'agit d'une affection grave d'ordre psychiatrique, de ne pas s'arrêter aux seules conséquences du transport physique de la personne concernée d'un État membre à un autre, mais de prendre en considération l'ensemble des conséquences significatives et irrémédiables qui résulteraient du transfert. ". Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, eu égard à la particulière vulnérabilité de M.A..., de son jeune âge et des risques personnels pour sa santé, la préfète de la Loire-Atlantique a entaché la décision de transfert en Italie prise le 10 novembre 2017 d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressé en ne faisant pas usage de la faculté d'instruire sa demande d'asile en France en application des dispositions précitées du 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 novembre 2017 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a décidé sa remise aux autorités italiennes. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler l'arrêté du 10 novembre 2017 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a décidé de l'assigner à résidence.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
7. Le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 10 novembre 2017 par lequel la préfète de la Loire-Atlantique a décidé la remise de M. A...aux autorités italiennes, implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de délivrer à ce dernier une attestation de demande d'asile lui permettant de séjourner provisoirement en France, durant l'examen de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me D...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 novembre 2017 et les arrêtés de la préfète de la Loire-Atlantique du 10 novembre 2017 portant transfert de M. A...en Italie et assignation à résidence sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Loire-Atlantique de délivrer à M. A...une attestation de demandeur d'asile suivant la procédure normale valant autorisation provisoire de séjour en France, dans un délai de deux semaines à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le versement de la somme de 1 500 euros à Me D...est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 20 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Tiger-Winterhalter, présidente,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller,
- M. Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2018.
La rapporteure,
N. Tiger-Winterhalter Le président,
L. LainéLa greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00771
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