Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 juin et 24 septembre 2020, la société Chaze TP, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 8 avril 2020 du tribunal administratif de Nantes en ce qu'il la condamne au versement d'une somme de 24 857,52 euros sur le fondement de la garantie de parfait achèvement ;
2°) de rejeter la demande du SIAEP de Chailland ;
3°) de mettre à la charge du SIAEP de Chailland la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que sa responsabilité sur le fondement de la garantie de parfait achèvement a été retenue à tort par les premiers juges en raison de la tardiveté de cette demande : si la demande de désignation d'un expert par le SIAEP a interrompu les délais de prescription et de forclusion, ces délais ont recommencé à courir à compter de la désignation d'un expert, le 12 mai 2016, et non du dépôt de son rapport le 18 juillet 2017 ; or le SIAEP n'a saisi la juridiction administrative de sa demande indemnitaire qu'après l'expiration le 12 mai 2017 du délai d'un an de cette garantie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2020, la communauté de communes de l'Ernée, venant aux droits du SIAEP de Chailland, représentée par Mes Poirier et Gaillard, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de la société Chaze TP une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société Chaze TP ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention volontaire, enregistré le 22 novembre 2020, la société Generali IARD, représentée par Me C..., conclut au rejet de la demande du SIAEP de Chailland.
Elle soutient que :
- elle dispose d'un intérêt à intervenir en sa qualité d'assureur de la société Chaze TP entre 2010 et 2016 alors même que les conditions d'application de la police d'assurance conclue ne sont pas applicables en l'espèce ;
- la demande du SIAEP présentée à l'encontre de la société Chaze TP sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et suivants du code civil est infondée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 8 décembre 2014, le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable (SIAEP) de Chailland (Mayenne), a commandé la fourniture et la pose d'une citerne souple destinée au stockage des boues de traitement de la station d'épuration de Chailland, pour un prix de 28 567,32 euros TTC. Les travaux ont été accomplis aux mois de février et mars 2015 et leur réception a été prononcée, sans réserve, le 10 avril suivant. Le 6 mai 2015, la société Citerneo, fournisseur de la citerne, constatant un défaut de fabrication de ses produits, est intervenue sur le site pour renforcer la soudure centrale de cet équipement. Le 30 juin 2015, la société Citerneo a informé la société Chaze TP du caractère défectueux de son produit et de la nécessité de son remplacement. Le 4 juillet 2015, la citerne s'est éventrée, provoquant l'écoulement de 100 m3 de boues sur la plateforme où la bâche était installée. Par une ordonnance du 12 mai 2016, rendue à la demande du SIAEP de Chailland, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a ordonné une expertise. Il ressort du rapport d'expertise, déposé le 19 juillet 2017, que le désordre trouve son origine dans un défaut de fabrication de la toile de la citerne, insuffisamment résistante à la chaleur et aux contraintes auxquelles une bâche de stockage des boues est susceptible d'être exposée. Par un jugement du 8 avril 2020, dont la société Chaze TP relève appel, le tribunal administratif de Nantes a condamné cette dernière à verser au SIAEP de Chailland, d'une part, sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, la somme de 24 857,52 euros au titre du coût d'enlèvement de la citerne éventrée et de pompage des boues déversées ainsi que du coût d'installation d'une nouvelle citerne et, d'autre part, la somme de 36 088,68 euros, au titre du remboursement des frais d'expertise. La société Generali IARD présente un mémoire d'intervention volontaire en demande.
Sur l'intervention de la société Generali IARD :
2. La société Generali IARD, en sa qualité d'assureur en 2015 de la société Chaze TP, a intérêt à l'annulation du jugement attaqué. Ainsi son intervention est recevable.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 44 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux : " 44.1. Délai de garantie : / Le délai de garantie est, sauf prolongation décidée comme il est précisé à l'article 44.2, d'un an à compter de la date d'effet de la réception. / Pendant le délai de garantie, outre les obligations qui peuvent résulter pour lui de l'application de l'article 41.4, le titulaire est tenu à une obligation dite " obligation de parfait achèvement ", au titre de laquelle il doit : a) Exécuter les travaux ou prestations éventuels de finition ou de reprise prévus aux articles 41.5 et 41.6 ; b) Remédier à tous les désordres signalés par le maître de l'ouvrage ou le maître d'oeuvre, de telle sorte que l'ouvrage soit conforme à l'état où il était lors de la réception ou après correction des imperfections constatées lors de celle-ci ; (...). / A l'expiration du délai de garantie, le titulaire est dégagé de ses obligations contractuelles, à l'exception des garanties particulières éventuellement prévues par les documents particuliers du marché. (...) ". Aux termes de l'article 44.2 du même cahier des clauses administratives générales : " Prolongation du délai de garantie : / Si, à l'expiration du délai de garantie, le titulaire n'a pas procédé à l'exécution des travaux et prestations énoncés à l'article 44.1 ainsi qu'à l'exécution de ceux qui sont exigés, le cas échéant, en application de l'article 39, le délai de garantie peut être prolongé par décision du représentant du pouvoir adjudicateur jusqu'à l'exécution complète des travaux et prestations, que celle-ci soit assurée par le titulaire ou qu'elle le soit d'office conformément aux stipulations de l'article 41.6. ".
4. Aux termes de l'article 2241 du code civil : " La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. ". L'article 2242 du même code précise que " L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ". Par ailleurs, aux termes de l'article 2239 du même code : " La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès. / Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ". Il résulte de ces dispositions, d'une part, que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance et que, lorsque le juge fait droit à cette demande, le même délai est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge. D'autre part, la suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.
5. Il est constant que les travaux d'installation de la citerne souple de la station d'épuration de Chailland ont été réceptionnés sans réserve le 10 avril 2015. Le délai d'un an de mise en oeuvre de la garantie de parfait achèvement prévue à l'article 44 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux a donc commencé à courir à compter de cette date. Il résulte de l'instruction que le 31 mars 2016 le SIAEP a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes de prescrire une expertise portant sur la citerne Citerneo et les désordres observés en conséquence de son éventrement, au contradictoire notamment de la société Chaze TP et que cette demande a interrompu le délai d'un an de la garantie de parfait achèvement. Le juge des référés du tribunal administratif s'est prononcé sur cette demande par une ordonnance du 12 mai 2016, date à laquelle a donc recommencé à courir le délai de cette garantie. L'expertise sollicitée ayant été ordonnée, ce même délai s'est trouvé suspendu jusqu'au dépôt par l'expert désigné de son rapport le 18 juillet 2017. Le SIAEP a alors engagé une action indemnitaire recherchant la responsabilité de l'entreprise devant le tribunal administratif de Nantes le 28 décembre 2017, en invoquant la responsabilité contractuelle de la société Chaze TP dans son courrier enregistré au greffe du tribunal le 18 janvier 2018 pour préciser le fondement de sa demande, puis, par un mémoire enregistré le 15 avril 2019, s'est prévalu de la garantie de parfait achèvement. Ainsi, d'une part, le deuxième alinéa de l'article 2239 du code civil disposant que le délai de prescription suspendu " recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. ", le délai de la garantie n'expirait que le 18 janvier 2018 et a donc été de nouveau interrompu lorsque le SIAEP de Chailland a invoqué la responsabilité contractuelle de la société Chaze TP. D'autre part, l'article 2242 du code civil précisant que " L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance. " et la garantie de parfait achèvement prévue par les stipulations précitées au point 3 reposant sur le même fondement juridique que la responsabilité contractuelle, le SIAEP de Chailland était encore recevable à invoquer la garantie de parfait achèvement lorsqu'il l'a explicitement citée dans son mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2019.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Chaze TP n'est pas fondée à soutenir que le SIAEP de Chailland ne pouvait plus se prévaloir de la garantie de parfait achèvement et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande indemnitaire du SIAEP de Chailland présentée sur ce fondement.
Sur les dépens :
7. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ".
8. Les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés ont été taxés et liquidés à la somme de 36 088,68 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Nantes du 11 décembre 2017. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 qu'il y a lieu de maintenir ces frais à la charge définitive de la société Chaze TP.
Sur les frais d'instance :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la société Chaze TP. En revanche, il convient, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette société, sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la communauté de communes de l'Ernée, venue aux droits du SIAEP de Chailland.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de la société Generali IARD est admise.
Article 2 : La requête de la société Chaze TP est rejetée.
Article 3 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 36 088,68 euros sont maintenus à la charge définitive de la société Chaze TP.
Article 4 : La société Chaze TP versera à la communauté de communes de l'Ernée la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Chaze TP, à la communauté de communes de l'Ernée, à la société Generali IARD et à la société Citerneo.
Délibéré après l'audience du 2 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. A..., président assesseur,
- Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 février 2021.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
L. Lainé
La greffière,
V. Desbouillons
La République mande et ordonne au préfet la Mayenne en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT01602