Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 juin 2018, Mme D...E...épouse A...et M. F...C..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 novembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision litigieuse de la commission ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à un nouvel examen de la situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que son avocate renonce à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que :
- les conditions relatives à la substitution de motifs n'étaient pas réunies ;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état-civil, qui ne sont pas entachés de fraude, et par la possession d'état ;
- la décision de refus de délivrance de visa est contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le droit à la préservation de l'unité familiale est une composante essentielle du droit à bénéficier d'une protection via l'asile.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 juillet 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.
Mme D...E...épouse A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 18 décembre 2014, l'autorité consulaire française à Bujumbura (Burundi) a rejeté la demande de visa de long séjour formée par M. F...C..., né le 19 juillet 1998, en qualité d'enfant de Mme D...E...épouseA..., ressortissante congolaise résidant en France où elle s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 21 juillet 2009. Par une décision implicite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, saisie le 20 février 2015, a rejeté cette demande de visa. Par ordonnance du 27 avril 2016 le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa de M. F...C.... Le ministre après avoir procédé à ce réexamen, a, de nouveau, opposé un refus, le 2 mai 2016. MmeE..., agissant en son nom et au nom de son fils allégué, F...C..., a demandé l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, ainsi que celle du ministre de l'intérieur du 2 mai 2016. Par un jugement du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 2 mai 2016 et rejeté le surplus de la demande de MmeE.... M. C...et Mme E...font appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté leurs conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.
2. Il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été prise au motif tiré de ce qu' " en l'absence de documents établissant que l'autre parent serait décédé ou déchu de l'exercice de ses droits parentaux ou du droit de garde, le visa sollicité ne peut être délivré ".
3. Aux termes de l'article L. 411-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Toutefois, ces dispositions n'ont été rendues applicables aux ressortissants étrangers qui se sont vus reconnaître la qualité de réfugié que par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015. Aussi, à la date de la décision attaquée de la commission du 20 avril 2015, la circonstance que l'autre parent ne soit pas déchu de ses droits parentaux ne pouvait légalement fonder un refus de délivrer un visa à un enfant d'un réfugié. Par suite, les demandeurs étaient fondés à soutenir que la commission ne pouvait légalement se fonder sur l'absence de production des documents précités.
4. L'administration peut cependant, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée, est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué. Dans le premier mémoire en défense produit en première instance et communiqué à MmeA..., le ministre de l'intérieur a demandé au tribunal de substituer au motif initial le motif tiré de ce que le lien de filiation de l'enfant F...C...à l'égard de Mme A...n'était pas établi, compte tenu du défaut de valeur probante des actes d'état-civil produits d'une part, et du défaut de constitution d'une filiation au moyen de la possession d'état d'autre part.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme E...a produit une décision du 13 mars 2014 portant établissement d'un acte de naissance malgré l'expiration des délais légaux de déclaration, concernant M.C..., ainsi qu'une copie intégrale de l'acte de naissance et un extrait d'acte de naissance.
6. Contrairement à ce que fait valoir la défense, la décision de déclaration tardive a été suffisamment motivée. Comme l'indiquent les requérants, l'article 40 du décret-loi burundais n°1/024 du 28 avril 1993, qui dispose que le nom du père n'est mentionné pour un enfant naturel que s'il a reconnu simultanément l'enfant, n'est pas applicable aux déclarations tardives comme en l'espèce, alors même que la décision en cause mentionne ces dispositions dans ses visas. Dès lors, la circonstance que la décision du 13 mars 2014 mentionne le nom du père alors que ce dernier n'a pas reconnu l'enfant, n'est pas de nature à entacher de fraude l'acte en cause. La défense fait valoir que l'officier de l'état-civil de Bujumbura a été chargé d'établir l'acte de naissance au vu de l'autorisation de déclaration tardive alors que l'extrait d'acte a été signé par l'officier d'état-civil de la commune de Buyenzi. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que seul l'extrait d'acte de naissance a été signé par l'officier d'état-civil précité, la copie intégrale de l'acte de naissance ayant bien été signée par l'officier d'état-civil adjoint de Bujumbura. Enfin, si la défense fait valoir qu'il existe des informations supplémentaires entre l'autorisation de déclaration tardive et l'extrait de l'acte de naissance, cette autorisation permet à un officier d'état-civil d'établir un acte de naissance et non pas seulement d'effectuer une retranscription des mentions contenues dans l'autorisation.
7. Cependant, si l'article 45 du code civil burundais dispose que la déclaration tardive est signée du gouverneur de province ou de son délégué, comme le fait valoir la défense, la décision du 13 mars 2014 n'indique pas que la décision était prise pour le maire en sa qualité de délégué du gouverneur et dès lors, il appartenait aux requérants d'établir cette délégation. Cette anomalie, portant sur la compétence de l'auteur de l'autorisation de déclaration tardive de naissance, est à elle seule de nature à entacher de fraude l'ensemble des actes d'état-civil produits.
8. Les requérants se prévalent ensuite d'une possession d'état. Toutefois, les premiers mandats adressés au frère de Mme E...pour s'occuper de l'enfant n'ont été effectués que quelques mois avant la demande de visa de long séjour. De même, les échanges sur Internet avec M. C...n'ont débuté avec la mère alléguée, au vu des pièces produites, que postérieurement à la décision attaquée de la commission. Une seule photo, ne comportant pas de date, est produite. Dès lors, ces éléments ne suffisent pas à établir la possession d'état dont se prévalent les requérants.
9. Enfin, les seules circonstances que les actes d'état-civil en cause avaient été soumis à l'examen de la commission, tout comme au consulat de France, sans que leur valeur probante n'ait été remise en cause lors de leurs décisions respectives et que ce soit le ministre de l'intérieur qui ait demandé cette substitution de motif ne suffisent pas à établir que la commission de recours n'aurait pas pris la même décision en se fondant sur ce nouveau motif. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a opéré la substitution de motif sollicitée.
10. En dernier lieu, à défaut de lien filial établi, la décision attaquée n'a méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme ni le droit à la préservation de l'unité familiale des réfugiés.
11. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme E...et M. C...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande s'agissant du refus de visa de long séjour qui a été opposé à M.C.... Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E...et de M. C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...E...épouseA..., à M. F...C...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 3 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 mai 2019.
Le rapporteur,
P. PICQUET
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18NT02451