Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 juillet 2018, Mme C...F..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 5 juillet 2018 et d'annuler l'arrêté préfectoral du 14 mars 2018 ;
2°) d'enjoindre au préfet du Calvados de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) à titre subsidiaire, d'annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français, d'enjoindre au préfet du Calvados de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et d'annuler la décision portant interdiction de retour sur le territoire français et le signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen, qui en résulte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros, à verser à MeB..., en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
sur le refus de titre de séjour :
- les articles L. 313-11-7° et L. 313-14 du CESEDA ont été méconnus et sa situation personnelle n'a pas été examinée ;
- il a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
sur l'obligation de quitter le territoire français :
- elle n'est pas motivée en fait ;
- elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
- l'auteur de l'acte n'était pas compétent ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 septembre 2018, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation du jugement du 5 juillet 2018 en tant qu'il a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français et le signalement de la requérante aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.
Il fait valoir que :
- l'interdiction de retour en litige ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l'intéressée par rapport au but poursuivi ;
- les moyens soulevés par Mme F...ne sont pas fondés ;
- il renvoie à ses écritures de première instance qu'il reprend subsidiairement.
Mme F...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C...F..., ressortissante arménienne née le 5 avril 1958, est entrée sur le territoire français le 8 mars 2010. Elle a fait une demande d'asile, qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 19 avril 2010, et par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 22 mars 2011. Elle a demandé le réexamen de sa demande, demande rejetée par l'OFPRA le 24 mai 2011 et par la CNDA le 6 septembre 2012. Le 11 février 2013, Mme F...a demandé un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 28 mai 2013, le préfet du Calvados a rejeté cette demande et a enjoint à Mme F...de quitter le territoire français. Le recours dirigé contre cet arrêté a été rejeté par le tribunal administratif de Caen par un jugement du 12 septembre 2013, confirmé par un arrêt de la Cour le 3 décembre 2013. Le 23 mars 2015, Mme F...a sollicité une carte de séjour pour raisons médicales, demande rejetée par une décision du préfet du Calvados du 14 avril 2017. Le 23 novembre 2017, Mme F...a, de nouveau, demandé un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par l'arrêté attaqué du 14 mars 2018, le préfet du Calvados a refusé de faire droit à cette demande, a fait obligation à la requérante de quitter le territoire français à destination du pays de son choix dans un délai de trente jours et lui a interdit de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par un jugement du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 14 mars 2018 en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, a enjoint au préfet du Calvados de saisir, dans un délai de trois jours à compter de la notification du jugement, les services ayant procédé au signalement de Mme C... F...aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen en vue d'effacer ce signalement et a rejeté le surplus de ses conclusions. Mme F...fait appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions. Le préfet du Calvados, par la voie de l'appel incident, demande l'annulation du jugement du 5 juillet 2018 en tant qu'il a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français et le signalement de la requérante aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment de la motivation de la décision attaquée, que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de MmeF.... Par suite, le moyen doit être écarté.
4. D'autre part, il ressort également des pièces du dossier que si Mme F...est présente en France depuis 2010, elle a vécu en Arménie pendant plus de cinquante ans. Ses deux enfants sont entrés en France avec elle, alors qu'ils étaient déjà majeurs. Sa soeur et son neveu sont également en France. Si elle établit que ses deux parents sont décédés, elle n'établit pas ne plus avoir d'attaches dans son pays d'origine où elle a vécu la très grande majorité de sa vie. En outre, si sa fille est bénéficiaire d'une carte de résident valable dix ans, ainsi que le mari de cette-dernière, l'intéressée n'a produit, s'agissant de son fils, qu'une carte de résident valable un an, jusqu'au 7 juin 2018. Il n'est ainsi pas établi que son fils aurait vocation à séjourner durablement en France. Enfin, s'il ressort des pièces du dossier que sa fille est titulaire d'une carte d'invalidité avec un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 %, il n'en ressort pas que le mari de cette dernière, M.E..., serait lui-même handicapé, la requérante n'ayant produit qu'une demande de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Ainsi, malgré les attestations de proches produites, il n'est pas établi que la présence en France de Mme F...serait indispensable pour s'occuper de la fille de M. et Mme E...née en 2013. Dès lors, et alors même que Mme F...a une activité associative importante, souhaite à nouveau travailler dans l'entreprise de couture de son fils et fait des efforts pour maîtriser la langue française, le moyen tiré de la méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ". Les éléments cités au point précédent ne peuvent être regardés comme des motifs exceptionnels ou circonstances humanitaires justifiant une régularisation de la situation de Mme F...en application des dispositions précitées. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. En premier lieu, Mme F...se borne à invoquer devant les juges d'appel, sans plus de précisions ou de justifications que dans sa demande de 1ère instance, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
7. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 4, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
8. En premier lieu, il ressort de l'arrêté du préfet du Calvados du 18 octobre 2017, régulièrement publié, que la direction de l'immigration est chargée, notamment, de toutes les procédures liées à l'accueil et au séjour des étrangers dans le département ainsi qu'à l'éloignement du territoire de ressortissants étrangers. En outre, par un arrêté du 19 janvier 2018, régulièrement publié, M. A...D..., directeur de l'immigration, a reçu délégation du préfet du Calvados à l'effet de signer tous les arrêtés et décisions dans les matières ressortissant aux attributions de la direction de l'immigration, à l'exception de certains actes parmi lesquels ne figurent pas les interdictions de retour sur le territoire français. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté doit être écarté.
9. En second lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
10. Il est constant que Mme F...n'a pas exécuté l'obligation de quitter le territoire français du 28 mai 2013 prise à son encontre, les recours contre cette décision ayant été rejetés à la fin de l'année 2013 et a vécu en Arménie pendant plus de cinquante ans. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'elle est entrée en France en 2010 avec ses deux enfants, certes déjà majeurs. De plus, les attestations produites établissent que les liens entretenus entre Mme F...et ses deux enfants, dont l'une a un titre de séjour valable dix ans et est porteuse d'un handicap, et sa petite-fille, sont réguliers et d'une particulière intensité. Dès lors, le préfet du Calvados a méconnu les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en édictant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux années.
11. Il résulte de tout ce qui précède que d'une part, Mme F...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande en tant qu'elle était dirigée contre la décision de refus de titre de séjour et contre la décision portant obligation de quitter le territoire français et que, d'autre part, le préfet du Calvados n'est pas fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français et le signalement de la requérante aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen.
12. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions de Mme F...à fin d'injonction sous astreinte, ainsi que sa demande présentée au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme F...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions incidentes du préfet du Calvados sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...F...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 3 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président assesseur,
- Mme Picquet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 mai 2019.
Le rapporteur,
P. PICQUET
Le président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°18NT02825