Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 mai 2017, le préfet de la Manche demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 mai 2017 du magistrat désigné du tribunal administratif de Caen ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Caen.
Il soutient que :
- il apporte la preuve qu'il a remis à M. B...les informations prévues par les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 en langue russe ;
- s'agissant des autres moyens soulevés par l'intéressé devant le tribunal administratif, la décision de transfert est suffisamment motivée, ne méconnaît pas les dispositions des articles 5 et 9 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ni celles de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
La requête a été communiquée le 31 mai 2017 à M. B..., qui n'a pas produit de mémoire en défense malgré une mise en demeure adressée le 13 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Francfort, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., ressortissant kirghize, né le 11 septembre 1978, est entré irrégulièrement en France le 28 janvier 2017. Il a déposé le 27 février 2017 auprès du préfet du Calvados une demande d'asile. La comparaison de ses empreintes dans le système Visabio a révélé qu'il était titulaire d'un passeport, revêtu d'un visa de court séjour délivré par les autorités suisses pour le compte des autorités tchèques, et valable du 16 décembre 2016 au 27 décembre 2016. Les autorités tchèques, saisies d'une demande de prise en charge le 3 mars 2017 sur le fondement des dispositions du 4 de l'article 12 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013, ont donné leur accord le 4 avril 2017. Par deux arrêtés du 12 mai 2017, le préfet de la Manche, d'une part, a prononcé son transfert aux autorités tchèques, responsables de l'examen de sa demande d'asile, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de six mois. Le préfet de la Manche relève appel du jugement du 23 mai 2017 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a annulé ces arrêtés.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B...s'est vu remettre, le 27 février 2017, le guide du demandeur d'asile ainsi que la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' ". Ces trois documents, qui comprennent l'ensemble des informations prévues par les dispositions citées au point précédent, lui ont été remis en langue russe, langue que l'intéressé a déclaré comprendre. Par suite, le préfet de la Manche est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pour annuler l'arrêté du 12 mai 2017 ordonnant le transfert de M. B...aux autorités tchèques et, par voie de conséquence, l'arrêté du même jour l'assignant à résidence. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'intéressé devant le tribunal administratif de Caen.
4. En premier lieu, l'arrêté contesté vise les textes applicables, précise la situation familiale de M. B...et indique que le préfet a saisi les autorités tchèques en application des dispositions du 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que celles-ci ont fait savoir le 4 avril 2017 qu'elles étaient d'accord pour cette prise en charge. La mention du 4 de l'article 12 de ce règlement, qui concerne les personnes titulaires d'un visa périmé depuis moins de six mois délivré par un Etat membre de l'Union européenne, permettait au requérant de connaître le motif pour lequel les autorités tchèques ont été saisies par la France d'une demande de prise en charge. Par suite, l'arrêté contesté est suffisamment motivé en droit et en fait.
5. En second lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
6. L'entretien individuel de M.B..., prévu à l'article 5 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013, s'est déroulé le 27 février 2017 à la préfecture du Calvados. Il ressort des pièces du dossier que lors de cet entretien le requérant a bénéficié d'un interprète en langue russe de la société ISM interprétariat, qui est agréée par le ministère de l'intérieur et présente donc toutes les garanties de sérieux et de qualité. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 9 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013 : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. ". Aux termes de l'article 2 de ce règlement : " Aux fins du présent règlement, on entend par : (...) g) " membres de la famille ", dans la mesure où la famille existait déjà dans le pays d'origine, les membres suivants de la famille du demandeur présents sur le territoire des États membres: - le conjoint du demandeur, ou son ou sa partenaire non marié(e) engagé(e) dans une relation stable, lorsque le droit ou la pratique de l'État membre concerné réserve aux couples non mariés un traitement comparable à celui réservé aux couples mariés, en vertu de sa législation relative aux ressortissants de pays tiers, - les enfants mineurs des couples visés au premier tiret ou du demandeur, à condition qu'ils soient non mariés et qu'ils soient nés du mariage, hors mariage ou qu'ils aient été adoptés au sens du droit national, - lorsque le demandeur est mineur et non marié, le père, la mère ou un autre adulte qui est responsable du demandeur de par le droit ou la pratique de l'État membre dans lequel cet adulte se trouve, - lorsque le bénéficiaire d'une protection internationale est mineur et non marié, le père, la mère ou un autre adulte qui est responsable du bénéficiaire de par le droit ou la pratique de l'État membre dans lequel le bénéficiaire se trouve ".
8. Au regard de ces dispositions, la soeur de M.B..., en dépit du fait qu'elle ait été admise à résider en France en qualité de réfugiée, n'est pas un " membre de la famille " tel que défini à l'article 2 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013. Ainsi, le moyen tiré de ce que le préfet de la Manche aurait méconnu les dispositions de l'article 9 de ce règlement doit être écarté.
9. Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) " ;
10. La faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
11. M. B...soutient que sa soeur et son beau-frère, de nationalité française, ainsi que ses parents, qui ont présenté une demande de titre de séjour en qualité d'étrangers malades, résident en France. Toutefois, le requérant n'apporte aucun élément de nature à justifier d'une vie privée et familiale stable en France, ni de l'impossibilité d'un retour en République tchèque. Ainsi, en ne mettant pas en oeuvre la procédure dérogatoire prévue par les dispositions de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de la Manche n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de la décision ordonnant son transfert aux autorités tchèques au soutien de sa contestation de la décision d'assignation à résidence.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Manche est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a annulé ses arrêtés du 12 mai 2017, lui a enjoint de procéder à un nouvel examen de la demande d'admission provisoire au séjour en qualité de demandeur d'asile de M. B... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 23 mai 2017 du magistrat désigné du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Une copie en sera transmise pour information au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Pons, premier conseiller,
- M. Bouchardon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 juin 2018.
Le président-rapporteur,
J. FRANCFORTL'assesseur le plus ancien,
F. PONS
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT016432