Par une requête enregistrée le 30 novembre 2018, M. et Mme A..., représentés par Me B..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes du 8 octobre 2018 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 26 septembre 2018 ;
3°) d'enjoindre à la préfète d'Ille-et-Vilaine de les autoriser à solliciter l'asile en France et de leur délivrer une attestation de demandeur d'asile en procédure normale dans le délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de leur situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- l'arrêté portant transfert de Mme A... est intervenu au terme d'une procédure contraire aux stipulations de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 dès lors que le guide du demandeur d'asile et les brochures A et B lui ont été remis en anglais le 18 avril 2018 et en lingala seulement le 17 septembre 2018 ; il n'appartenait pas à son mari de lui traduire ces documents d'autant qu'ils ne sont pas de même nationalité et que M. A... n'a pas indiqué parler couramment la langue lingala ;
- les décisions de transfert ont été prises en méconnaissance des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du point 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- ces décisions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions des paragraphes 1 de l'article 17 et 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 dès lors que les autorités françaises n'ont pas obtenu une garantie individuelle de prise en charge adaptée de leurs enfants.
Les parties ont été informées le 9 avril 2019, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office suivant : non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation des arrêtés de transfert en raison de l'expiration du délai de six mois prévu au 1 de l'article 29 du règlement n°604/2013 du 26 juin 2013, dès lors qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que ce délai aurait été prolongé dans les conditions prévues au 2 du même article, ni que ces arrêtés auraient reçu exécution pendant leur période de validité.
Par un mémoire enregistré le 11 avril 2019, les requérants soutiennent qu'ils ont refusé d'embarquer le 19 novembre 2019 et leur délai de transfert a été porté à 18 mois pour non présentation au vol.
Par des mémoires enregistrés les 12 avril 2019, 24 avril 2019 et 18 septembre 2019, la préfète d'Ille-et-Vilaine précise que le délai de transfert des intéressés a été prolongé jusqu'au 8 avril 2020 et conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
M. et Mme A... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 10 décembre 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 modifié ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- et les observations de Me B..., représentant M. et Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme A..., respectivement ressortissants angolais et congolais, relèvent appel du jugement du 8 octobre 2018 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 26 septembre 2018 par lesquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé leur remise aux autorités italiennes, responsables de l'examen de leur demande d'asile, ainsi que des arrêtés du même jour les assignant à résidence.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. (...). "
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vue remettre lors de l'entretien qui s'est tenu le 18 avril 2018 avec un agent de la préfecture d'Ille-et-Vilaine par l'intermédiaire d'un interprète, la brochure B intitulée " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue lingala qu'elle a déclaré comprendre et lire. En revanche, le guide du demandeur d'asile ainsi que la brochure A intitulée " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " lui ont été remis ce même jour en anglais et en langue lingala seulement le 17 septembre 2018. En défense, la préfète s'est prévalu de la circonstance que l'anglais constituait l'une des langues officielles d'Afrique du sud où Mme A... avait séjourné durant au moins cinq ans, qu'elle avait indiqué qu'elle souhaitait que la langue d'audition à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides soit l'anglais et enfin que son mari entendu le même jour dans le cadre d'une procédure similaire avait déclaré parler le français et l'anglais et était par voie de conséquence en mesure de lui traduire les documents remis dans cette langue. Le formulaire type pour la transmission de données préalablement à un transfert produit au dossier indique en outre que Mme A... parle l'anglais et le lingala. Dans ces conditions, Mme A... doit être regardée comme ayant disposé en temps utiles de l'ensemble des informations lui permettant de faire valoir ses observations. Les requérants ne sont par suite pas fondés à soutenir que les dispositions précitées de l'article 4 du règlement du 26 juin 2013 auraient été méconnues et que Mme A... aurait été privée d'une garantie entachant d'irrégularité la procédure menée à son encontre.
4. En deuxième lieu, aux termes du deuxième alinéa du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ".
5. Si l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités de ce pays répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
6. M. et Mme A... font état de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve l'Italie, confrontée à un afflux sans précédent de réfugiés. Ils invoquent notamment l'arrêt du 4 novembre 2014, affaire Tarakhel c. Suisse, par lequel la Cour européenne des droits de l'homme (Grande Chambre) a relevé que les autorités suisses auraient dû obtenir au préalable " des autorités italiennes une garantie individuelle concernant, d'une part, une prise en charge adaptée à l'âge des enfants et, d'autre part, la préservation de l'unité familiale ".
7. les documents d'ordre général produits par M. et Mme A..., non actualisés à la date à laquelle ont été prises les décisions attaquées, ne permettent pas d'établir l'l'existence de défaillances dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de justifier que celles-ci revêtiraient un caractère systémique et seraient de ce fait susceptibles de faire obstacle de manière générale au transfert des demandeurs d'asile aux autorités italiennes. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, et notamment du formulaire type pour la transmission de données préalablement à un transfert conformément au paragraphe 4 de l'article 31 du règlement du 26 juin 2013, que la préfète d'Ille-et-Vilaine a informé les autorités italiennes que M. A... voyageait avec son épouse et trois enfants nés respectivement en 2002, 2013 et 2016.
Ces seuls éléments ne sont pas de nature à regarder les intéressés comme des personnes particulièrement vulnérables au sens de la jurisprudence précitée de la Cour européenne des droits de l'homme précitée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Dans son arrêt du 4 novembre 2014, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que les défaillances relevées dans les capacités d'accueil de l'Italie n'empêchaient pas l'adoption de décisions de transfert, mais obligeaient le pays qui envisageait une procédure de remise, lorsqu'elle porte sur une personne particulièrement vulnérable, et notamment s'agissant d'une famille avec de jeunes enfants, à obtenir au préalable, avant toute exécution matérielle, une garantie individuelle concernant une prise en charge adaptée à l'âge des enfants ainsi que la préservation de l'unité familiale.
9. La préfète d'Ille-et-Vilaine a produit une copie du formulaire type pour l'échange de données concernant la santé avant l'exécution d'un transfert dit " Dublin " conformément au paragraphe 1 de l'article 32 du même règlement, daté du 10 octobre 2018, indiquant que M. A... sera accompagné de son épouse et de trois enfants, dont sa fille Progress, qui a subi le 28 septembre 2018 une opération de chirurgie dentaire nécessitant une anesthésie générale ainsi que trois jours de repos. Si les requérants se prévalent par ailleurs des résultats d'analyse de sang réalisée par M. A..., le conseiller santé auprès du directeur général des étrangers en France a estimé le 1er octobre 2018 que les résultats de ce bilan sanguin n'étaient pas alarmants et n'exposaient pas l'intéressé à un risque au cours de son transfert vers l'Italie. Enfin, les requérants mettent en avant le fait que leurs enfants sont scolarisés en France. Dès lors et en dépit de la circonstance que l'Italie n'a pas explicitement accepté leur prise en charge, M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que les arrêtés contestés seraient entachés d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 et de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
10. Pour les mêmes motifs que ceux rappelés au point 9, il ne ressort pas des pièces du dossier que les décisions attaquées seraient contraires aux stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du point 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.
Sur le surplus des conclusions :
11. Les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. et Mme A... et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet de leurs conclusions principales.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... G... A... et Mme E... A... et au ministre de l'intérieur. Une copie sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 27 septembre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 octobre 2019
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT04219