Par un arrêt n° 13PA04763 du 13 février 2015, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement et fait partiellement fait droit à la demande de Mme A...en condamnant le centre d'action sociale de la ville de Paris à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, sous réserve que le versement soit subordonné à la subrogation de ce centre, à concurrence de cette somme, dans les droits détenus par Mme A...à l'encontre de M. E....
Par une décision n° 389451 du 3 octobre 2016, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi de Mme A..., annulé l'arrêt de la Cour en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions d'appel de Mme A...et renvoyé à la Cour le jugement de ces conclusions.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mars 2013, et un mémoire complémentaire, enregistré le 25 juin 2013, MmeA..., représentée par MeC..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1114961/5-4 du 22 janvier 2013 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner le Centre d'action sociale de la ville de Paris à lui verser une somme de 146 000 euros en réparation du préjudice causé par l'attitude de l'administration face au harcèlement moral et sexuel qu'elle estimait avoir subi sur son lieu de travail, somme assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du Centre d'action sociale de la ville de Paris une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que tous les mémoires échangés entre les parties n'ont pas été régulièrement notifiés ;
- c'est à tort que le tribunal lui a opposé la prescription quadriennale ;
- sa demande indemnitaire était fondée, dès lors qu'elle avait alerté sa hiérarchie dès l'été 2002 ;
- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs s'agissant de son droit à indemnisation du préjudice de carrière subi ;
- en outre, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que ce préjudice de carrière n'était pas vérifié, malgré les éléments témoignant de sa valeur professionnelle ;
- il ressort des faits de l'espèce, tels que précisément détaillés par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 8 décembre 2008, que le harcèlement invoqué est avéré, ainsi que l'absence de protection de Mme A...par sa hiérarchie ;
- ses préjudices sont tels qu'elle les a décrits dans sa demande de première instance.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 8 avril 2014 et 28 novembre 2016, le Centre d'action sociale de la Ville de Paris, représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête et demande, en outre, à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme A...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pagès,
- les conclusions de M. Ouardes, rapporteur public,
- les observations de Me Stouffs, avocat de MmeA...,
- et les observations de Me Dufaud, avocat du centre d'action sociale de la Ville de Paris.
1. Considérant que MmeA..., infirmière au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Anselme Payen du centre d'action sociale de la ville de Paris, durant la période courant de juin 1994 à mai 2003, a saisi ce centre, le 22 avril 2011, d'une demande indemnitaire tendant à la réparation des préjudices résultant de la faute, pour l'administration, à avoir laissé se perpétrer des faits de harcèlement moral et sexuel dont elle avait été victime, de la part de M. E..., un collègue aide-soignant, à compter de l'année 2002 ; qu'en l'absence de réponse, elle a saisi le Tribunal administratif de Paris ; qu'elle a relevé régulièrement appel du jugement du 22 janvier 2013 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre d'action sociale de la Ville de Paris (CASVP) à lui verser une somme de 146 000 euros, quitte à parfaire, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de notification de sa demande préalable, capitalisés s'ils sont dus pour une année entière, en réparation du préjudice causé par l'attitude de l'administration face au harcèlement moral et sexuel qu'elle soutient avoir subi sur son lieu de travail ; que, par l'arrêt susvisé du 13 février 2015, la Cour de céans a annulé ce jugement et fait partiellement droit à la demande indemnitaire de Mme A...en condamnant le centre d'action sociale de la ville de Paris à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, sous réserve que le versement soit subordonné à la subrogation de ce centre, à concurrence de cette somme, dans les droits détenus par Mme A...à l'encontre de M. E... ; que, par la décision susvisée du 3 octobre 2016, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi de MmeA..., annulé l'arrêt de la Cour en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions d'appel de Mme A...et renvoyé à la Cour le jugement de ces conclusions ;
Sur le surplus des conclusions à fin d'indemnisation présentées par MmeA... :
En ce qui concerne la responsabilité :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 ter de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits : / a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; / b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers " ; qu'aux termes de l'article 6 quinquiès de la même loi : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. " ;
3. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;
4. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des déclarations des intéressés eux-mêmes recueillis dans le cadre de la procédure pénale susmentionnée, ainsi que des témoignages d'un certain nombre de leurs collègues, que Mme A...a subi, durant les années 2002 et 2003, des provocations physiques et verbales, humiliantes et répétées de la part de M. E..., dans le cadre du service de nuit que l'un et l'autre assuraient au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes Anselme Payen du CASVP ; qu'il ressort, en outre, des pièces produites par la requérante, en particulier les certificats médicaux attestant de l'état d'angoisse et de dépression dans lequel ces comportements l'ont plongée, que ces faits ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible d'altérer sa santé, au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 ; qu'il en résulte que ces agissements, s'ils ne peuvent être regardés comme caractérisant un harcèlement sexuel au sens des dispositions de l'article 6 ter de la même loi, étaient toutefois, comme l'a d'ailleurs relevé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt daté du 8 décembre 2008 portant sur la demande civile de la requérante, constitutifs d'un harcèlement moral ; que, par suite, d'une part, Mme A...était fondée à mettre en cause la responsabilité du CASVP en raison de la faute personnelle commise par son collègue, non dépourvue de tout lien avec le service, comme cela a été jugé par l'arrêt susvisé de la Cour de céans confirmé par le Conseil d'Etat sur ce point, lequel n'est donc plus en litige ; que, d'autre part, il résulte de l'instruction que, notamment par deux lettres adressées en août 2002 à la directrice de l'EPHPAD, Mme A...avait informé celle-ci du comportement observé et des propos tenus par M. E... à son encontre sans que le CASVP ne prenne alors des mesures propres à faire cesser ces agissements ; qu'ainsi le CASVP doit être regardé comme ayant commis une faute distincte en laissant se perpétrer de tels agissements ;
En ce qui concerne les préjudices :
6. Considérant, en premier lieu, que si Mme A...demande tout d'abord à être indemnisée du préjudice de carrière qu'elle aurait subi à raison des faits précédemment évoqués, il ne résulte pas de l'instruction, nonobstant la circonstance qu'elle avait été admise sur la liste complémentaire aux épreuves du 18 mars 2003 pour la sélection en vue de son admission à l'Institut de formation des cadres de santé, qu'il existerait un lien de causalité direct entre les faits susmentionnés et la perte de chance de devenir cadre de santé qu'elle invoque ; qu'ainsi, c'est à bon droit que le tribunal, qui pouvait relever, sans entacher son jugement d'une contradiction de motifs, que la requérante avait toujours fait l'objet d'avis élogieux de sa hiérarchie, a rejeté sa demande sur ce point ;
7. Considérant, en second lieu, qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence de Mme A...causés par la faute de service commise par le CASVP en condamnant ce dernier à lui verser une somme de 6 000 euros ;
En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :
8. Considérant que la requérante a droit, comme elle le demande, aux intérêts au taux légal sur la somme de 6 000 euros à compter de la date de réception de la réclamation préalable du 22 avril 2011, adressée au CASVP ;
9. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière " ; que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que Mme A...a demandé la capitalisation des intérêts dans sa demande introductive d'instance enregistrée le 26 août 2011 devant le Tribunal administratif de Paris ; que cette demande ne prend effet qu'à la date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière ;
Sur les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CASVP une nouvelle somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme A...et non compris dans les dépens, s'ajoutant à la somme déjà allouée par l'arrêt susvisé du 13 février 2015 ; qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeA..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par le CASVP et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le Centre d'action sociale de la ville de Paris est condamné à verser à Mme A...une somme de 6 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts légaux à compter de la date de réception de la réclamation préalable adressée au centre d'action sociale de la Ville de Paris. Les intérêts échus un an après cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le Centre d'action sociale de la ville de Paris versera la somme de 1 000 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme A...maintenues en litige est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par le Centre d'action sociale de la ville de Paris sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...A...et au Centre d'action sociale de la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2017 à laquelle siégeaient :
M. Krulic, président de chambre,
M. Pagès, premier conseiller,
M. Legeai, premier conseiller,
Lu en audience publique le 28 mars 2017.
Le rapporteur,
D. PAGES
Le président,
J. KRULIC
Le greffier,
C. RENE-MINE
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA03037