Par un jugement n° 1400793 du 22 décembre 2016, le tribunal administratif de La Réunion a fixé la créance détenue par la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion sur l'EURL Martin Dominique à la somme de 100 997,04 euros, ordonné à l'EURL Martin Dominique d'évacuer le domaine public dans un délai de deux mois et rejeté le surplus des conclusions de la demande de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion.
Procédure devant la Cour :
Par une ordonnance du 1er mars 2019, prise sur le fondement de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a attribué à la Cour administrative d'appel de Paris le jugement du dossier d'appel enregistré à la Cour administrative d'appel de Bordeaux.
Par une requête et un mémoire enregistrés le 3 avril 2017 et le 19 octobre 2017, l'EURL Martin Dominique, représentée par Me E... A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1400793 du 22 décembre 2016 par lesquels le tribunal administratif de La Réunion a fixé le montant de la créance de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion et ordonné son expulsion du domaine public ;
2°) de rejeter les demandes de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion ;
3°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'EURL Martin Dominique soutient que :
- la juridiction administrative n'est pas compétente pour statuer sur l'admission de la créance ;
- les demandes de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion tendant à la condamnation au paiement de la créance et à l'application d'intérêts de retard et de dommages et intérêts étaient irrecevables ;
- le tribunal n'a pas statué sur ses conclusions tendant à l'interruption de l'instance ;
- dès lors qu'elle a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis du 15 octobre 2014, les articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce, imposant des règles relatives à l'interruption de l'instance, faisaient obstacle à ce que le tribunal accueille les demandes de fixation de la créance et d'expulsion du domaine public, en l'absence de justification de sa déclaration de créance par la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion, l'article L. 622-22 du code de commerce ne permettant en toute hypothèse pas qu'il soit fait droit à une demande d'expulsion formulée en cours d'instance et étrangère à la fixation du montant de la créance.
Par des mémoires en défense enregistrés le 1er août 2017 et le 17 novembre 2017, la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête, à titre reconventionnel à ce que sa créance soit fixée à la somme de 100 997,04 euros et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'EURL Martin Dominique sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La chambre de commerce et d'industrie de La Réunion soutient que les moyens invoqués par l'EURL Martin Dominique ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. G... ;
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention conclue le 22 novembre 2007, la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion a autorisé l'EURL Martin Dominique à occuper, pour une durée de six ans et en contrepartie d'une redevance annuelle d'un montant de 55 800 euros hors taxes révisable chaque année en fonction de l'évolution de l'indice du coût de la construction et d'une redevance commerciale fixée à 2 % du chiffre d'affaires, le local n° 42 de l'esplanade de Saint-Gilles-les-Bains, appartenant au domaine public concédé du port de pêche et de plaisance de cette commune, en vue de l'exploitation d'un bar-restaurant. En août 2014, la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande tendant notamment à la condamnation de l'EURL Martin Dominique à lui verser la somme de 46 835,96 euros au titre de redevances impayées. Par un jugement du 15 octobre 2014, le tribunal mixte de commerce de
Saint-Denis a ouvert une procédure de redressement judiciaire de l'EURL Martin Dominique. A la suite de ce jugement, la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion a, dans ses écritures ultérieures, abandonné ses conclusions à fin de condamnation et demandé que sa créance sur l'EURL Martin Dominique soit fixée, au titre de l'occupation du domaine public jusqu'au 15 octobre 2014, à la somme de 100 997,04 euros, assortie des intérêts contractuels. Elle a ensuite, après l'adoption d'un plan de continuation le 14 octobre 2015, demandé l'expulsion de l'EURL Martin Dominique du domaine public dans un délai de dix jours avec recours, le cas échéant, à la force publique et la condamnation de l'intéressée à lui payer la somme de 16 093,50 euros au titre de l'occupation du domaine public depuis le 14 octobre 2015, assortie des intérêts contractuels, ainsi que les redevances restant à percevoir jusqu'à ce qu'elle quitte les lieux et une somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts. Par un jugement du 22 décembre 2016, le tribunal administratif de La Réunion a fixé le montant de la créance détenue par la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion sur l'EURL Martin Dominique à la somme de 100 997,04 euros, lui a ordonné d'évacuer le domaine public dans un délai de deux mois et a rejeté le surplus des conclusions de la demande. L'EURL Martin Dominique fait appel de ce jugement en tant qu'il fixe le montant de la créance de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion et prononce son expulsion du domaine public.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. L'EURL Martin Dominique soutient que le tribunal n'a pas statué sur ses conclusions tendant à l'interruption de l'instance en application de l'article L. 622-22 du code de commerce. Toutefois, si elle a présenté sa demande tendant à l'interruption de l'instance comme des conclusions, il s'agissait d'un moyen à l'appui de sa défense tendant au rejet de la demande de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion. Dans les points 3 et 4 du jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a exposé les motifs pour lesquels les articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce ne faisaient pas obstacle à ce qu'il se prononce sur les conclusions du demandeur tendant à ce que soit fixé le montant de sa créance domaniale. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que ce jugement serait entaché d'omission à statuer sur des conclusions manque en fait.
Sur le bien fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 622-21 du code de commerce : " I. Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-7 et tendant : 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; 2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent (...) ". Aux termes de l'article L. 622-22 du même code : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan (...) dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant (...) ".
4. Les dispositions précitées du code de commerce qui posent le principe de l'interruption ou de l'interdiction de toute action en justice, de la part de tous les créanciers, à compter du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, et définissent les modalités de reprise des instances en cours tendant à la constatation des créances et à la fixation de leur montant, ne comportent pas de dérogation aux dispositions régissant les compétences respectives des juridictions administratives et judiciaires. S'il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire de statuer sur l'admission ou la non-admission des créances déclarées et de déterminer les modalités de règlement des créances sur les entreprises en état de redressement, puis de liquidation judiciaire, la circonstance que la collectivité publique dont l'action devant le juge administratif tend à faire reconnaître et évaluer ses droits n'aurait pas régulièrement déclaré sa créance éventuelle est sans influence sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur ces conclusions dès lors qu'elles ne sont elles-mêmes entachées d'aucune irrecevabilité au regard des dispositions dont l'appréciation relève de la juridiction administrative, et ce, sans préjudice des suites que la procédure judiciaire est susceptible d'avoir sur l'extinction de cette créance. Ainsi, si le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur l'acte par lequel une personne morale de droit public déclare une créance, il est compétent pour statuer sur l'existence et le montant d'une créance publique. De la même façon, les dispositions précitées du code de commerce sont sans influence sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur des conclusions tendant à l'expulsion d'un occupant irrégulier du domaine public, dès lors que celles-ci ne sont entachées d'aucune irrecevabilité au regard des dispositions dont l'appréciation relève de la juridiction administrative.
5. En premier lieu, à la suite du jugement du 15 octobre 2014 du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis ouvrant une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de l'EURL Martin Dominique mentionné au point 1, la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion, qui n'a à aucun moment de la procédure demandé à la juridiction administrative de se prononcer sur l'admission de sa créance, a abandonné ses conclusions visant à obtenir une condamnation et a demandé au tribunal administratif de La Réunion, s'agissant des redevances domaniales impayées au titre de la période antérieure au jugement précité, de se prononcer sur l'existence et le montant d'une créance publique, conclusions qui relèvent de la compétence du juge administratif. Dans ces conditions, l'EURL Martin Dominique ne peut utilement se prévaloir de l'incompétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur l'admission de la créance de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion et sur une condamnation à paiement. Pour les mêmes motifs, dès lors que la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion, s'agissant des mêmes redevances, n'a pas demandé, dans le dernier état de ses écritures, une condamnation à paiement, mais seulement la fixation du montant de sa créance, conclusions qui n'étaient entachées d'aucune irrecevabilité au regard des dispositions dont l'appréciation relève de la juridiction administrative, l'EURL Martin Dominique ne peut utilement soutenir que la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion n'est pas recevable à présenter des conclusions à fin de condamnation à paiement.
6. En deuxième lieu, la circonstance que la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion n'aurait pas régulièrement déclaré sa créance est sans incidence sur la recevabilité de ses conclusions présentées devant le juge administratif tendant à voir constatée l'existence et fixé le montant de sa créance, conclusions qui relèvent de la compétence de la juridiction administrative et dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles seraient entachées d'une irrecevabilité au regard des dispositions dont l'appréciation relève de cette juridiction. Dans ces conditions, l'EURL Martin Dominique ne peut utilement se prévaloir, s'agissant de l'existence et du montant de la créance relative aux redevances antérieures au jugement du 15 octobre 2014 du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis, qui ne sont pas utilement contestés dès lors que la requérante se borne à indiquer qu'elle est " à jour des loyers postérieurs au plan de redressement judiciaire ", de ce que la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion n'aurait pas justifié de sa déclaration de créance, que cette déclaration ne serait pas valide ou que la reprise d'instance prévue à l'article L. 622-22 du code de commerce serait irrégulière.
7. En troisième lieu, les dispositions des articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce sont également sans influence sur la compétence du juge administratif pour se prononcer sur les conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion tendant à l'expulsion d'un occupant irrégulier du domaine public, qui présentaient un lien suffisant avec les conclusions tendant à ce que soit constatée l'existence et fixé le montant de la créance domaniale pour être introduites en cours d'instance devant le tribunal administratif. Dans ces conditions, alors qu'il n'est pas contesté que la convention d'occupation du domaine public liant la requérante à la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion est arrivée à son terme en novembre 2013 et n'a pas été renouvelée, l'EURL Martin Dominique, occupante sans droit ni titre du domaine public concédé à l'établissement public, n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du code du commerce faisaient obstacle à ce que soit ordonnée par le juge administratif son expulsion du domaine public.
8. Enfin, l'EURL Martin Dominique ne peut utilement soutenir que la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion n'est pas recevable à demander sa condamnation à payer la somme de 16 093,50 euros au titre de l'occupation du domaine public depuis le 14 octobre 2015 et le versement d'intérêts et de dommages et intérêts, dès lors que ces conclusions ont été rejetées par l'article 3 du jugement attaqué et que l'instance d'appel ne porte que sur les articles 1er et 2 de ce jugement, la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion n'ayant pas fait appel des articles de ce jugement qui lui étaient défavorables.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Martin Dominique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a fixé le montant de la créance détenue par la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion à la somme de 100 997,04 euros et lui a ordonné d'évacuer le domaine public dans un délai de deux mois. Ses conclusions à fin d'annulation du jugement et de rejet des conclusions de première instance doivent ainsi être rejetées.
Sur les conclusions reconventionnelles :
10. Il résulte de ce qui précède que le présent arrêt confirme le jugement attaqué, fixant le montant de la créance de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion à la somme de 100 997,04 euros. Les conclusions reconventionnelles de l'établissement tendant à ce que sa créance soit fixée à ce montant sont ainsi dépourvues d'objet et doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
12. Les dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'EURL Martin Dominique demande au titre des frais qu'elle a exposés. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EURL Martin Dominique une somme au titre des frais exposés par la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'EURL Martin Dominique est rejetée.
Article 2 : Les conclusions reconventionnelles de la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Martin Dominique, à Me B... et à la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme F..., présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. G..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 octobre 2019.
Le rapporteur,
F. G...La présidente,
S. F...Le greffier,
M. C...La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA21078