Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1711097/4-1 du 21 février 2019 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande de changement de nom présentée par M. G....
Il soutient que le jeune A... ayant atteint l'âge de treize ans au cours de la procédure, il devait consentir à son changement de nom même si la demande présentée par son père a été formulée alors qu'il était âgé de moins de treize ans.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 juin 2019, M. G..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'une somme de 4 000 euros lui soit versée à titre de dommages et intérêts et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat, à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le moyen soulevé par la garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé ;
- les courriers échangés durant l'instruction de la demande démontrent que le garde des sceaux s'est mépris sur la portée de celle-ci et a tenté d'évincer le conseil de M. G... ;
- son fils a un intérêt légitime au changement de nom demandé ;
- la décision de refus porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel elle a été prise et méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que celles de l'article 8 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- en tardant à instruire la demande alors que le juge des tutelles avait donné son autorisation, puis en faisant appel alors qu'il estime que le changement de nom est dans l'intérêt de l'enfant, le garde des sceaux fait de la résistance abusive.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., avocat de M. G....
Considérant ce qui suit :
1. A... E..., né le 31 janvier 2004, a été reconnu d'abord par sa mère, Mme E..., puis par son père, M. G.... A défaut d'autre accord entre ses parents, il a reçu le nom du parent à l'égard duquel sa filiation a été établie en premier lieu, soit celui de sa mère. M. G... a d'abord obtenu du juge aux affaires familiales, par ordonnance du 19 septembre 2012, que son fils porte, à titre d'usage, le nom E...-G.... Il a ensuite demandé à nouveau à la mère de l'enfant d'accepter la déclaration conjointe devant officier d'état civil qui permettrait d'adjoindre le nom du père à celui de la mère, mais sans succès. M. G... a alors été autorisé par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Paris, par une ordonnance rectifiée du 28 novembre 2013, à présenter, en sa qualité d'administrateur légal pur et simple, une demande de changement de nom afin que son fils mineur porte le nom de E...-G.... Par un courrier reçu par l'administration le 20 août 2014, M. G... a saisi le garde des sceaux, ministre de la justice, de cette demande de changement de nom. Celle-ci a été rejetée par une décision du 9 mai 2017 du garde des sceaux, ministre de la justice, au motif que le consentement du jeune A..., qui avait atteint treize ans en cours de procédure, ne figurait pas au dossier de demande. La garde des sceaux ministre de la justice fait régulièrement appel du jugement du 21 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision du 9 mai 2017.
2. L'article 61 du code civil dispose : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret ". Le premier alinéa de l'article 61-3 du même code précise : " Tout changement de nom de l'enfant de plus de treize ans nécessite son consentement personnel lorsque ce changement ne résulte pas de l'établissement ou d'une modification d'un lien de filiation ". Enfin, l'article 2 du décret du 20 janvier 1994 relatif à la procédure de changement de nom dispose : " A peine d'irrecevabilité, la demande expose les motifs sur lesquels elle se fonde, indique le nom sollicité et, lorsque plusieurs noms sont proposés, leur ordre de préférence ; elle est accompagnée des pièces suivantes : / (...) / 3° Le consentement personnel écrit des enfants mineurs du demandeur âgés de plus de treize ans (...) ".
3. A la suite d'une demande du conseil de M. G... sur l'état d'instruction de la demande de changement de nom reçue le 20 août 2014, la garde des sceaux, ministre de la justice a indiqué à celui-ci, par un courrier daté du 5 septembre 2016, que le dossier était incomplet et lui a demandé de produire, outre des pièces concernant l'état civil et la nationalité française du père, le consentement écrit de l'enfant de plus de treize ans au changement de nom. La demande de fournir le consentement écrit du mineur a été renouvelée par courrier du 18 novembre 2016 qui n'aurait été reçu que le 13 janvier 2017. Par la décision contestée du 9 mai 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande de changement de nom en l'absence de production de cette pièce.
4. Si le jeune A... n'avait que dix ans lorsque son père, autorisé par le juge des tutelles, a déposé, dans son intérêt, la demande de changement de nom, il est constant qu'à la date à laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a statué expressément sur cette demande, l'enfant avait treize ans révolus, si bien qu'en application des dispositions précitées de l'article 61-3 du code civil aucun décret ne pouvait l'autoriser à changer de nom s'il n'y avait pas personnellement consenti. Le garde des sceaux est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a annulé la décision litigieuse au motif que la condition tenant à la production d'un consentement écrit du mineur devait s'apprécier à la date du dépôt de la demande.
5. Il y a lieu pour la Cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de M. G....
6. En premier lieu, il ne résulte pas des pièces du dossier que les courriers du garde des sceaux adressés à M. G... pour lui demander de compléter son dossier n'auraient pas été reçus. La circonstance que ces courriers, à l'exception d'un seul, ont été adressés au père de l'enfant et non à son conseil qui aurait été mandaté à cet effet est ainsi sans incidence sur la légalité de la décision du 9 mai 2017. Sont également inopérants les moyens tirés des modalités de notification de la décision, comme du jugement du tribunal administratif.
7. En deuxième lieu, la circonstance que le garde des sceaux a mis près de trois ans à statuer expressément sur la demande est sans influence sur la légalité de sa décision.
8. En troisième lieu, à supposer que le garde des sceaux se soit, comme il est soutenu, trompé sur la portée du changement de nom sollicité par M. G..., la demande a été rejetée au motif que le consentement personnel du mineur de plus de treize ans était requis, ce qu'exige dans tous les cas l'article 61-3 du code civil, sauf lorsque le changement de nom résulte de l'établissement ou de la modification d'un lien de filiation. Un tel motif suffisait en l'espèce à entraîner le rejet de la demande, sans que la circonstance que le père ait été autorisé par le juge des tutelles à demander le changement de nom de son fils n'autorise le ministre à se dispenser de recueillir le consentement de l'enfant de plus de treize ans.
9. En quatrième lieu, si M. G... fait valoir que son fils a un intérêt légitime au changement de nom sollicité, ce moyen est inopérant dans la mesure où le refus de changement de nom n'est pas fondé sur l'absence d'intérêt légitime mais sur l'absence de consentement personnel de l'enfant de plus de treize ans. La décision litigieuse, qui vise à préserver le droit du mineur à consentir au changement d'un élément essentiel de son identité, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel elle a été prise et n'a ainsi pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle n'a pas plus méconnu, à les supposer directement invocables, les stipulations de l'article 8 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant selon lesquelles " les Etats parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant à préserver son identité, y compris son nom et ses relations familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale ".
10. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 9 mai 2017 rejetant la demande de changement de nom présentée par M. G... pour son fils mineur. Il y a lieu d'annuler ce jugement dans l'ensemble de ses dispositions.
11. Dès lors que l'appel du ministre de la justice est fondé, la demande indemnitaire de M. G... qui invoque une résistance abusive de sa part ne peut qu'être rejetée.
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante, verse à M. G... la somme qu'il demande au titre des frais qu'il a exposés pour son recours au juge.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1711097/4-1 du 21 février 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Les demandes de G... en première instance et devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B... G....
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme H..., présidente de chambre,
- M. Diémert, président assesseur,
- M. D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 octobre 2019.
Le rapporteur,
A. D...La présidente,
S. H...La greffière,
M. C...
La République mande et ordonne à la garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
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19PA01311