Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 26 juillet 2017 et par un mémoire complémentaire enregistré le 18 avril 2019, la commune de Mornac représentée par la SCP Pielberg-C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 31 mai 2017 ;
2°) de condamner in solidum la société Colas Sud-Ouest, venant aux droits de la société SA SCREG Sud-Ouest, et la société ERI à lui verser la somme de 107 449,84 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2014 et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice subi du fait des désordres constatés à la suite des travaux d'aménagement et de mise en sécurité de la RD 699 dans la traversée du lieu-dit " Le Queroy " ;
3°) de mettre à la charge de la société Colas Sud-Ouest et de la société ERI les dépens de l'instance ;
4°) de condamner in solidum la société Colas Sud-Ouest et la société ERI au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier car le tribunal administratif a omis de se prononcer sur la responsabilité contractuelle de la société ERI ;
- elle est recevable à rechercher la responsabilité de la société Colas Sud-Ouest, venant aux droits de la société SCREG Sud-Ouest sur le fondement de la garantie de parfait achèvement, puisque les désordres réservés lors de la réception n'ont pas été réparés ;
- le procès-verbal de levée des réserves du 20 avril 2012 vaut réception des travaux avec réserves ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que son action n'était pas recevable, car s'agissant de désordres ayant fait l'objet de réserves et même en l'absence de décision de prolongation du délai de garantie de parfait achèvement, le délai d'action avait continué à courir faute de réparation des désordres signalés dans le délai d'un an ;
- elle est fondée à rechercher la responsabilité de la société Colas Sud-Ouest, car les affaissements de chaussées et les détériorations de bordures sont dus à un défaut d'implantation des voies et du terre-plein central, dont les conséquences n'étaient pas décelables lors de la réception des travaux ;
- les défaillances de la société ERI dans sa mission de maîtrise d'oeuvre sont sans influence sur la responsabilité de la société Colas au titre de la garantie de parfaite achèvement ;
- à supposer qu'il n'y ait pas eu réception des travaux, la responsabilité de la société Colas Sud-Ouest serait engagée sur le terrain contractuel, ce qui repose sur la même cause juridique que la garantie de parfaite achèvement;
- la société Colas a manqué à son obligation de conseil en n'alertant pas le maître d'oeuvre ou le maître d'ouvrage des risques inhérents à la réalisation des travaux ;
- la responsabilité contractuelle de la société ERI est engagée car les désordres affectant les travaux réalisés par la société SCREG Sud-Ouest proviennent d'un défaut de surveillance et de conception des travaux ;
- ces constructeurs devront être condamnés à réparer l'intégralité des préjudices, soit la somme de 107 449,84 euros.
Par un mémoire enregistré le 16 mai 2018, la société Colas Sud-Ouest venant aux droits de la SA SCREG Sud-Ouest et représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la commune de Mornac ;
2°) à titre subsidiaire, de limiter sa part de responsabilité à 10% du montant des travaux ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Mornac la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement n'est pas irrégulier car le tribunal administratif n'a pas omis de statuer sur la responsabilité contractuelle de la société ERI ;
- la commune n'a jamais invoqué un défaut de conseil du maître d'oeuvre lors des opérations de réception ;
- la responsabilité contractuelle du maître d'oeuvre ne peut être engagée dès lors que le défaut d'implantation du rond-point était visible ;
- la commune n'établit pas que les désordres aient fait l'objet de réserves au moment de la réception des travaux ;
- les désordres ne figurent pas dans le procès-verbal des opérations préalables à la réception ;
- la commune n'est pas recevable à rechercher après l'expiration du délai d'un an, sa responsabilité sur le terrain de la garantie de parfaitement achèvement pour les désordres signalés dans l'année qui a suivi la réception des travaux ;
- en tout état de cause, les réserves concernant les désordres en litige ont été levées ;
- à titre subsidiaire, la garantie de parfait achèvement ne s'applique pas aux vices apparents lors de la réception ;
- les désordres tenant à la largeur des voies étaient apparents :
- n'ayant commis aucun manquement à ses obligations contractuelles, sa responsabilité ne peut être engagée ;
- la détérioration des bordures, qui est la conséquence de la détérioration des voies ou de l'affaissement de la chaussée, dont elle n'est pas responsable, ne lui est pas non plus imputable ;
- à titre infiniment subsidiaire, il sera mis à sa charge une part de responsabilité de 10% ;
- la commune ne pourrait davantage rechercher sa responsabilité sur le fondement de la garantie décennale ;
- l'évaluation des travaux de reprise doit tenir compte de la plus-value apportée à l'ouvrage ;
- les poutres et le renforcement des rives de la chaussée, dont les travaux ont été évalués à 29 396 euros HT, devront rester à la charge de la commune.
Par ordonnance du 21 août 2019, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 9 septembre 2019.
Vu le mémoire du 6 septembre 2019 présenté par la commune de Mornac et le mémoire enregistré le 11 septembre 2019 présenté pour la société Colas Sud-Ouest, qui n'ont pas été communiqués.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code civil ;
- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... B...,
- les conclusions de Mme K... L..., rapporteur public,
- les observations de Me C..., représentant la commune de Mornac, et les observations de Me G..., représentant la société Colas Sud-Ouest venant aux droits de la SA SCREG Sud-Ouest.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre des travaux d'aménagement et de mise en sécurité de la RD 699 dans la traversée du lieu-dit " Le Queroy ", la commune de Mornac (Charente) a confié une mission de maîtrise d'oeuvre complète à la société ERI par une convention d'études du 23 avril 2010 et a attribué par un acte d'engagement du 29 avril 2011, le marché de travaux à la SA SCREG Sud-Ouest aux droits de laquelle vient la société Colas Sud Ouest. La commune constatant l'apparition de différents désordres tenant notamment à des affaissements de la chaussée et à la détérioration des bordures de la voie, a d'abord demandé à la société SCREG Sud-Ouest d'y remédier, puis a sollicité le 9 novembre 2012 une expertise qui a été ordonnée le 22 février 2013 par le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers. Suite au dépôt du rapport de l'expert, elle a recherché la responsabilité de la société ERI sur le terrain contractuel et la responsabilité de la SA SCREG Sud-Ouest sur celui de la garantie de parfait achèvement, et à titre subsidiaire, elle a recherché leur responsabilité sur le terrain de la garantie décennale. La commune de Mornac relève appel du jugement du 31 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Dans sa requête introductive d'instance, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Poitiers le 17 juillet 2014, la commune de Mornac demandait que la responsabilité contractuelle du maître d'oeuvre soit retenue à raison des fautes commises dans sa mission de surveillance du chantier et dans la conception des travaux. Toutefois, le tribunal a omis de statuer sur ce fondement de responsabilité contractuelle des maîtres d'oeuvre. Il y a lieu d'annuler le jugement attaqué et de statuer par voie d'évocation sur la demande présentée par la commune de Mornac devant le tribunal administratif de Poitiers.
Sur le principe de responsabilité contractuelle de la société Colas et de la société ERI pour faute :
3. En premier lieu, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. En l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ne se poursuivent qu'au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves et tant que celles-ci ne sont pas levées.
4. Il résulte de l'instruction que par un document intitulé " réception des travaux, proposition du maître d'oeuvre et décision du maître d'ouvrage relatives à la levée des réserves ", qui comprend la proposition du maître d'oeuvre relative au procès-verbal de levée des réserves établie par la société ERI le 16r février 2012 et de la décision du maître d'ouvrage du 20 avril 2012 de levée des réserves, que la réception des travaux confiés à la société SGREG Sud-Ouest doit être regardée, en l'absence de tout autre acte antérieur manifestant la volonté de la commune de Mornac de réceptionner les travaux, comme ayant été prononcée avec réserves à effet du 20 avril 2012. Il résulte également de l'instruction que les réserves décrites dans l'annexe 2 jointe à la décision du maître d'ouvrage concernaient un affaissement du bord de la chaussée à l'entrée ouest sur une longueur de 200 mètres des deux côtés, des détériorations prématurées des bordures avec fissurations et des éclatements sur la même zone des deux côtés, la rupture d'une canalisation, une irrégularité de surface du revêtement au niveau du rétrécissement et une détérioration d'un regard avaloir. Par suite, les désordres en litige ayant fait l'objet de réserves lors de la réception des travaux, la commune de Mornac est en droit de rechercher la responsabilité contractuelle de droit commun de la société ERI et celle de la société Colas Sud-Ouest.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise que les désordres en litige, sont liés à des affaissements de chaussées et à des dégradations multiples de caniveaux sur une distance d'environ 200 mètres. Ils ont pour origine une mauvaise implantation des voies réalisées par la société SCREG Sud-Ouest. Il en est résulté que le terre-plein central est d'une largeur de 0,70 m au lieu de 0, 50 m prévue dans le projet établi par la société ERI et que les chaussées étant devenues trop étroites, les camions ont été obligés de rouler dans les caniveaux, qui ne sont pas prévus à cet effet. Par suite, ces désordres sont imputables à la société SCREG Sud-Ouest, chargée des travaux, aux droits de laquelle vient la société Colas Sud-Ouest et à un défaut de surveillance du chantier imputable à la société ERI.
6. Il ressort également du rapport de l'expert que ces désordres, notamment le phénomène de tassement des caniveaux, ont également pour origine le rabotage des anciennes bordures qui a créé un point de discontinuité d'homogénéité entre l'ancienne chaussée et l'ancien caniveau, créant ainsi un manque de structure pour supporter les charges roulantes, en particulier, les poids lourds. Il ressort de l'expertise que ces désordres sont exclusivement imputables à une faute de conception de la société ERI.
7. Par suite, et dès lors que les fautes commises par les sociétés SCREG Sud-Ouest et ERI ont concouru au même dommage dont il est demandé réparation, la commune de Mornac, est fondée à demander la condamnation solidaire de la société Colas Sud-Ouest et de la société ERI sur le fondement de leur responsabilité contractuelle.
En ce qui concerne les préjudices :
8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le coût des travaux nécessaires pour remédier aux désordres, qui correspond à la réfection partielle de la chaussée sud et à la réfection totale de la chaussée nord s'élève à la somme de 107 449,84 euros. Si la société Colas Sud-Ouest soutient que le montant des travaux chiffrés par l'expert apporte une plus-value à l'ouvrage, dès lors que les poutres et le renforcement des rives de la chaussée, dont les travaux ont été évalués à 29 396 euros, n'étaient pas prévus au contrat, il résulte toutefois de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que ces travaux ne sont que la conséquence des désordres liés au défaut d'implantation et de largeur de l'îlot central, rendant nécessaire un rétablissement des largeurs de voies à 2,90 m. ces travaux ne peuvent donc pas être regardés comme apportant une plus-value à l'ouvrage. Enfin, compte-tenu de la date d'apparition des désordres après l'achèvement des travaux, les travaux à effectuer sur la chaussée ne justifient pas un abattement de vétusté. Ainsi, le montant auquel a droit la commune de Mornac s'élève à 107 449, 84 euros.
En ce qui concerne les intérêts et la capitalisation des intérêts :
9. La commune de Mornac a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 107 449, 84 euros, à compter du 17 juillet 2014, date d'enregistrement de sa première requête devant le tribunal administratif de Poitiers tendant à la réparation des désordres, qui constitue sa première demande de paiement. La capitalisation des intérêts a été demandée le 17 juillet 2014. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 17 juillet 2015, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les appels en garantie :
10. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise, que compte-tenu des fautes respectives imputables à chacune de ces sociétés décrites aux points 5 et 6, la société ERI doit être condamnée à garantir la société Colas Sud-Ouest à hauteur de 60% de la condamnation solidaire prononcée contre eux.
Sur les dépens :
11. Il y a lieu de mettre les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 788,41 euros par une ordonnance du président du tribunal administratif de Poitiers du 13 décembre 2013 à la charge des constructeurs condamnés par le présent arrêt, à proportion de leurs parts respectives de leur responsabilité finale, soit 60% à la charge de la société ERI et 40% à la société Colas Sud-Ouest.
Sur les frais d'instance
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Mornac qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Colas Sud-Ouest demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de la société Colas Sud-Ouest et de la société ERI la somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes frais.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1402145 du tribunal administratif de Poitiers en date du 31 mai 2017 est annulé.
Article 2 : La société Colas Sud Ouest et la société ERI sont solidairement condamnées à verser à la commune de Mornac la somme de 107 449, 84 euros à titre d'indemnités.
Article 3 : La somme de 107 449, 84 euros portera intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2014. Les intérêts seront capitalisés au 17 juillet 2015 pour produire eux-mêmes intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 4 : La société ERI est condamnée à garantir la société Colas Sud Ouest à hauteur de 60 % de la condamnation solidaire prononcée à leur encontre par le présent arrêt.
Article 5 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 788,41 euros sont mis à la charge de la société ERI à hauteur de 60% et de la société Colas Sud Ouest à hauteur de 40%.
Article 6 : La société ERI et la société Colas Sud Ouest sont condamnées solidairement à verser à la commune de Mornac la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7: Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Mornac, à la société ERI et à la société Colas Sud Ouest.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. I... J..., président,
Mme E... H..., présidente-assesseure,
Mme D... B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 octobre 2019.
Le rapporteur,
Déborah B...Le président,
I... M...Le greffier,
N... O...
La République mande et ordonne au préfet de la Charente en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°17BX02486