Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 3 août 2018 et 30 juillet 2019, M. B... J..., représenté par Me I..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1609967 du 28 juin 2018 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter les conclusions de M. E... ;
3°) de mettre à la charge de M. E... une somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le recours de M. E... était irrecevable du fait de son caractère tardif ;
- la consultation de la commission départementale d'orientation de l'agriculture (CDOA) et la publicité prévues par les articles R. 331-4 et R. 331-5 du code rural et de la pêche maritime n'étaient pas obligatoires s'agissant de la confirmation d'une demande d'autorisation d'exploiter ;
- la décision attaquée ne méconnaît pas l'autorité de la chose jugée compte tenu de la modification des circonstances de fait et de droit ;
- M. E... n'établit pas en quoi la décision litigieuse méconnaitrait l'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime et le schéma directeur départemental des structures agricoles.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 octobre 2018, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation s'en remet à la sagesse de la Cour.
Par des mémoires en défense enregistrés les 11 juillet 2019 et 6 août 2019, M. E..., représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. J... à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par M. J... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- les observations de M. J... et de Me D..., substituant Me G..., avocat de M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E... exploitait une parcelle, dont M. J... est propriétaire, cadastrée E n° 2 d'une superficie de 18 hectares 23 ares et 60 centiares, sise au lieudit " Les 40 arpents " à La Croix-en-Brie dans le département de Seine-et-Marne. Par arrêté du 14 avril 2009, le préfet de Seine-et-Marne a délivré à M. J... l'autorisation d'exploiter cette parcelle. Sur recours de M. E..., cette autorisation a été annulée par un jugement du 21 octobre 2010 du tribunal administratif de Melun, confirmé par un arrêt du 21 février 2013 de la cour administrative d'appel de Paris. A la suite à cette annulation, M. J... a, par courrier du 30 août 2013, confirmé sa demande d'autorisation d'exploiter auprès du préfet de Seine-et-Marne, en faisant valoir un changement dans sa situation personnelle et professionnelle. En l'absence de réponse à cette demande dans un délai de quatre mois, il s'est prévalu d'une autorisation implicite d'exploiter à dater du 30 décembre 2013. Par un courrier du 29 janvier 2014, M. E... a saisi le préfet de Seine-et-Marne d'un recours gracieux en vue du retrait de l'autorisation implicite délivrée à M. J.... Par lettre du 10 février 2014, le préfet de Seine-et-Marne a informé M. E... qu'il considérait que M. J... n'était pas titulaire d'une telle autorisation implicite d'exploiter. Sur recours de M. J..., le tribunal administratif de Melun a, par jugement du 6 octobre 2016, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 22 février 2018, jugé que M. J... était titulaire d'une autorisation implicite d'exploitation à compter du 30 décembre 2013. M. E... a saisi dès le 5 décembre 2016 le tribunal administratif de Melun d'une demande d'annulation de cette autorisation tacitement accordée. Par le jugement du 28 juin 2018 dont M. J... fait appel, le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision implicite d'autorisation.
Sur l'étendue du litige :
2. A la suite de l'annulation prononcée par le tribunal administratif de Melun pour des motifs de procédure, le préfet de la Seine-et-Marne a repris l'instruction de la demande de M. J... et l'a expressément, par arrêté du 20 mars 2019, autorisé à exploiter la parcelle en cause. Cette circonstance ne prive pas d'objet le présent litige dès lors que cet arrêté du 20 mars 2019 a lui aussi été contesté et n'est donc pas définitif.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de première instance :
3. L'article R. 421-1 du code de justice administrative dispose : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". En outre, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment par un tiers une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire. Dans le cas où faute de publication régulière ou de mention des voies et délais de recours, le délai prévu par l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'a pas couru, un recours contentieux doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter du jour où son auteur a eu connaissance de la décision qu'il conteste. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle la décision lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
4. M. J... soutient que la requête de première instance de M. E... était tardive et irrecevable dès lors qu'elle n'a été enregistrée que le 5 décembre 2016 au tribunal administratif de Melun, alors qu'elle est dirigée contre l'autorisation implicite d'exploiter née le 30 décembre 2013 du silence gardé pendant plus de quatre mois sur sa demande par le préfet de Seine-et-Marne et que M. E... a eu connaissance de cette décision implicite au plus tard le 29 janvier 2014, date de son recours gracieux à l'encontre de cette décision implicite auprès du préfet de Seine-et-Marne. Toutefois, en réponse au recours gracieux de M. E..., le préfet de Seine-et-Marne l'a informé par courrier du 10 février 2014 que M. J... ne bénéficiait pas d'une autorisation implicite d'exploiter. M. E... a introduit son recours contentieux dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement du 6 octobre 2016 du tribunal de Melun déclarant, sur recours de M. J..., que celui-ci était bien titulaire d'une autorisation implicite d'exploiter depuis le 30 décembre 2013. Dans ces circonstances particulières, la requête de M. E... a été formée dans un délai raisonnable et n'est pas tardive.
Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal administratif :
5. L'article L. 331-3 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction applicable au litige dispose : " L'autorité administrative se prononce sur la demande d'autorisation en se conformant aux orientations définies par le schéma directeur départemental des structures agricoles applicable dans le département dans lequel se situe le fonds faisant l'objet de la demande. Elle doit notamment : 1° Observer l'ordre des priorités établi par le schéma départemental entre l'installation des jeunes agriculteurs et l'agrandissement des exploitations agricoles (...) 4° Prendre en compte la situation personnelle du ou des demandeurs, notamment en ce qui concerne l'âge et la situation familiale ou professionnelle et, le cas échéant, celle du preneur en place (...) ". Le sixième alinéa de l'article R. 331-4 de ce code dispose : " Le service chargé de l'instruction fait procéder à la publicité de la demande d'autorisation d'exploiter (...). Cette publicité porte sur la localisation des biens et leur superficie, ainsi que sur l'identité des propriétaires ou de leurs mandataires et du demandeur ". Selon l'article R. 331-5 du même code : " I. Les demandes d'autorisation d'exploiter sont soumises à l'avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture instituée aux articles R. 313-1 et suivants. Lorsque des candidatures concurrentes ont été enregistrées sur tout ou partie des biens qui font l'objet de la demande, l'ensemble des dossiers portant sur ces biens est soumis à la même séance de la commission. (...) II. Toutefois, il n'est pas procédé à cette consultation si les biens sur lesquels porte la demande n'ont pas fait l'objet de candidatures concurrentes dans les trois mois suivant l'enregistrement du dossier de demande complet et si la reprise envisagée remplit l'une des conditions suivantes : a) Les biens sont libres de location ; b) Les biens font l'objet d'une location et l'exploitant en place consent à la reprise (...) ".
6. Par courrier du 30 août 2013 adressé au préfet de Seine-et-Marne, M. J... a confirmé la demande d'autorisation d'exploiter qu'il avait formulée en 2008, et qui avait donné lieu à la décision d'autorisation du 14 avril 2009, annulée pour un motif de fond par jugement du 21 octobre 2010 du tribunal administratif de Melun. Si M. J... faisait valoir dans sa demande d'août 2013 que sa situation avait changé depuis sa première demande, le préfet ne lui a adressé aucun courrier lui demandant de compléter son dossier, si bien qu'une décision implicite d'autorisation est née sur cette la nouvelle demande à l'expiration du délai de quatre mois prévu par l'article R. 331-6 du code rural et de la pêche maritime, comme l'ont constaté successivement le tribunal administratif de Melun par jugement du 6 octobre 2016 et la cour administrative d'appel de Paris par arrêt du 22 février 2018. Toutefois, compte tenu de l'écoulement du temps, des nouveaux éléments dont il était fait mention et de l'annulation au fond de la première décision intervenue après une instruction complète, le préfet ne pouvait légalement statuer sur la demande du 30 août 2013 sans procéder aux formalités de publication prévues par les dispositions précitées de l'article R. 331-4 du code rural et de la pêche maritime et sans consulter à nouveau la commission départementale d'orientation de l'agriculture comme le prévoyait l'article R. 331-5 du même code. Ces formalités de publication et de consultation de la commission départementale d'orientation de l'agriculture constituent une garantie pour le demandeur et pour les tiers et sont de nature à influer sur le sens de la décision. Par suite, M. J... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a annulé la décision implicite d'autorisation dont il bénéficiait au motif que le préfet de la Seine-et-Marne devait reprendre l'instruction conformément aux dispositions précitées du code rural et de la pêche maritime.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. J... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision implicite née le 30 décembre 2013 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne l'a autorisé à exploiter la parcelle cadastrée E2 à La Croix-en-Brie. Sa requête d'appel doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à la condamnation de M. E..., qui n'est pas partie perdante dans la présente espèce, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. J... la somme que demande M. E... sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. J... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. E... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... J..., à M. H... E... et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.
Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme F..., présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 octobre 2019.
Le rapporteur,
A. C...La présidente,
S. F...La greffière,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.
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N° 18PA02676