Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 23 novembre et 10 décembre 2020, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement n° 2016301/8 du 19 octobre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il avait entaché son arrêté d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant d'enregistrer la demande d'asile de M. B... sur le fondement de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et en refusant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par cet article ; les autorités allemandes ont accepté de reprendre en charge M. B... le 14 août 2020 ; la faculté d'examiner une demande d'asile, dont l'examen n'incombe pas à l'Etat français, relève de son pouvoir discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile ; l'arrêté en litige n'ayant pas pour objet de renvoyer M. B... en Afghanistan, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant ; à supposer même que M. B... ait épuisé toutes les voies de recours en Allemagne, il ne démontre pas être dans l'impossibilité d'y déposer une nouvelle demande de protection internationale ni que les autorités allemandes ne procèderont pas, notamment au titre de leurs obligations découlant de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 40 de la directive n° 2013/32/UE du 26 juin 2013, à un nouvel examen de sa demande de protection internationale dans le respect de ses droits en tant que demandeur d'asile et n'évalueront pas les risques réels et actuels de mauvais traitements qui pèseraient sur lui en cas de renvoi en Afghanistan ; il est présumé que l'Allemagne, Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, respecte les droits fondamentaux et assure un traitement des demandes d'asile respectueux de ces droits tels qu'ils sont protégés par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; il n'est pas démontré que les autorités allemandes auraient fait une application inexacte de ces dispositions ; M. B... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Allemagne dans la procédure d'asile ; à supposer que la région de Kaboul, seul point d'entrée aérien en Afghanistan, serait caractérisée par contexte de violence généralisée, M. B... n'apporte, au soutien de ses affirmations sur sa nationalité ou ses origines, aucun élément précis et vérifiable ; il n'apporte par ailleurs aucune précision sur ses conditions de vie dans la région de Kaboul ou dans sa région d'origine ni aucun élément circonstancié relatif à des traitements inhumains ou dégradants qu'il aurait personnellement subis ;
- pour le reste, il s'en remet à ses écritures de première instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 février 2021, M. B..., représenté par Me C... A..., demande à la Cour de rejeter la requête, d'enjoindre au préfet de police de renouveler son attestation provisoire de demande d'asile et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens invoqués par le préfet de police ne sont pas fondés.
Par décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal judiciaire de Paris du 28 janvier 2021, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par une ordonnance du 18 février 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., qui indique être né le 29 avril 1996 et être de nationalité afghane, s'est présenté aux services de la préfecture de police le 10 août 2020 aux fins d'enregistrement d'une demande de protection internationale. Par un arrêté du 22 septembre 2020, le préfet de police a décidé son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement n° 2016301/8 du 19 octobre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à M. B... une attestation provisoire de séjour en application de l'article R. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 17 de ce même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. Pour annuler l'arrêté en litige contesté devant lui au motif que le préfet de police avait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant d'enregistrer la demande d'asile de M. B... sur le fondement de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et en refusant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par cet article, le tribunal a relevé que, d'une part, en cas de renvoi vers son pays d'origine, M. B... serait obligé de passer par Kaboul, seul point d'entrée du territoire afghan par voie aérienne depuis l'étranger, où il se trouverait exposé à un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, d'autre part, la décision du Tribunal administratif de Dresde du 1er décembre 2017 rejetant son recours dirigé contre la décision de l'Office fédéral pour la migration et les réfugiés du 23 janvier 2017 refusant de lui accorder la qualité de réfugié, qui était devenue définitive, remettait en vigueur l'obligation de quitter le territoire contenue dans la décision du 23 janvier 2017 et avait de fortes probabilités d'être exécutée dès le retour de M. B... en Allemagne.
4. Toutefois, l'arrêté en litige ne prononce pas l'éloignement de M. B... à destination de l'Afghanistan, mais seulement son transfert vers l'Allemagne. Par ailleurs, l'Allemagne, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités allemandes, alors même que la demande d'asile de M. B... a été rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de l'intéressé, les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Afghanistan. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné s'est fondé sur le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 pour annuler l'arrêté du 22 septembre 2020.
5. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... tant en première instance qu'en appel.
6. En premier lieu, l'arrêté préfectoral du 22 septembre 2020 portant transfert de M. B... aux autorités allemandes vise notamment le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le règlement (UE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il précise que M. B... est entré irrégulièrement sur le territoire français et s'y est maintenu sans être muni des documents et visas exigés par les textes en vigueur, que ses empreintes ont été relevées et permettent, après confrontation avec les bases de données européennes, d'établir qu'il a précédemment déposé deux demandes d'asile en Allemagne les 11 et 27 novembre 2015, dont les autorités ont accepté de le reprendre en charge en application des dispositions du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, les critères prévus au chapitre III du règlement n'étant pas applicables, et qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation, il ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2 ou 17 de ce règlement. Il ressort, en outre, des mentions de l'arrêté litigieux que le préfet a examiné la situation de M. B... au regard des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a conclu à l'absence de risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de la demande d'asile. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté ne peut qu'être écarté.
7. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier ni des termes de l'arrêté contesté que le préfet de police n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. B....
8. En troisième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance, produites par le préfet de police, que M. B... s'est vu remettre le 10 août 2020, avec le concours d'un interprète, l'ensemble des informations nécessaires au suivi de cette demande et à l'engagement de la procédure de transfert, et tout particulièrement, la brochure d'information sur le règlement " Dublin III " contenant une information générale sur la demande d'asile et le relevé d'empreintes (brochure A), la brochure d'information pour les demandeurs d'asile dans le cadre de la procédure " Dublin III " (brochure B), la brochure d'information, rédigée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, relative à la base de données " Eurodac " ainsi que le guide du demandeur d'asile, rédigés en langue dari, que l'intéressé avait indiqué comprendre. Si M. B... soutient ne pas avoir reçu la brochure B dans son intégralité à défaut de comporter les pages relatives au droit d'accès et de rectification des données, il ressort des pièces du dossier que M. B... a signé la première page de cette brochure indiquant qu'elle comportait 15 pages sans émettre aucune réserve. Enfin, il ressort du dossier que lors de l'entretien individuel mené le 10 août 2020 en présence d'un interprète en langue dari et que M. B... a déclaré avoir compris, l'intéressé a reconnu avoir reçu l'information sur les règlements et avoir été informé que sa demande d'asile serait examinée dans le cadre du règlement " Dublin III " et qu'une demande de reprise en charge par l'Allemagne serait engagée. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que M. B... n'aurait pas reçu, avant l'arrêté en litige, les éléments d'information requis par les dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, et de ce qu'il n'aurait pas bénéficié d'un entretien conformément à l'article 5 du même règlement ne peut qu'être écarté. Au demeurant, il ressort du dossier que l'entretien a été mené par un agent qualifié, au sens de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, du 12ème bureau de la direction de la police générale de la préfecture de police. Par ailleurs, la circonstance que le compte-rendu individuel n'identifierait pas l'agent ayant mené cet entretien est sans incidence dès lors que l'article 5 de ce règlement n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité de l'agent qui l'a mené.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 22 septembre 2020. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement et de rejeter les conclusions à fin d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. B... devant ce tribunal, ensemble ses conclusions à fin d'injonction présentées en appel ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2016301/8 du 19 octobre 2020 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation, d'injonction et tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 présentées par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris et celles présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 avril 2021.
Le rapporteur,
S. D...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
I. BEDR
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA03529