Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2018, M.A..., représenté par
MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1712085/1-2 du
15 décembre 2017 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 23 juin 2017 par lequel le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français, dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de police de procéder au réexamen de sa demande et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une omission à statuer dès lors que le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'un défaut de motivation ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'une erreur de fait ;
- la décision portant refus de titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article
L. 313-11 7ème du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 avril 2018, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire en réplique a été enregistré le 17 mai 2018 pour M.A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme d'Argenlieu,
- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
- et les observations de Me Rapoport, avocat de M.A...,
Considérant ce qui suit :
1. M. A...est entré en France le 16 octobre 2008 et s'y est maintenu continûment depuis, selon ses déclarations. Il a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-11 7ème du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le 26 janvier 2016. Par une décision du 23 juin 2017, le préfet de police a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français, dans le délai de trente jours, et a fixé le pays de destination. M. A...relève appel du jugement n° 1723085/1-2 du 15 décembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 juin 2017.
Sur la légalité de l'arrêté du 23 juin 2017 :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. I1 ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 313-11 7ème du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A...est entré en France en 2008 et y séjourne depuis, de manière continue et en partie régulière, s'étant vu délivrer, entre les mois de décembre 2009 à avril 2014, des titres de séjour en qualité d'étranger malade. Il est constant que M. A...a conclu un pacte civil de solidarité, le 17 février 2015, avec un ressortissant français. Le préfet de police conteste toutefois la réalité de cette communauté de vie, en produisant le compte rendu d'une enquête menée en novembre 2016, se bornant à conclure que " (...) la communauté de vie est réduite à une communauté de toit, au domicile conjugal (...). M. (...)A...a déclaré s'occuper au quotidien de son conjoint qui est sous traitement médical ". Mais cette analyse non circonstanciée est contredite par les pièces du dossier. Il ressort notamment d'avis d'impositions, de documents bancaires, de bulletins de salaires, de factures d'électricité et de nombreuses attestations circonstanciées, que la communauté de vie entre les deux hommes remonte à l'année 2010. Des photographies montrent les deux hommes en voyage. De nombreuses attestations émanant de proches et de thérapeutes, relatent le caractère amoureux de leur relation et décrivent l'organisation de l'appartement qui, ne comportant qu'une seule chambre, ne peut accueillir qu'un couple. S'il ressort des pièces du dossier que le conjoint de M.A..., âgé de 76 ans, est atteint d'une pathologie altérant ses facultés intellectuelles ayant conduit à sa mise sous curatelle en 2016, cette circonstance ne saurait réduire, ainsi que le soutient le préfet de police, la communauté de vie des deux hommes à une communauté de toit. Enfin, si M. A...a été brièvement marié en Egypte entre les années 2004 et 2010, année de son divorce prononcé alors qu'il était déjà en France depuis deux ans, avec une compatriote, avec laquelle il a eu deux enfants nés en 2005 et 2006, l'intéressé soutient sans être utilement contredit n'avoir plus que des liens très distendus avec eux. Par conséquent, dans les circonstances très particulières de l'espèce, eu égard à l'ancienneté et à la stabilité de la relation entre M. A...et son compagnon, le préfet de police a porté atteinte de manière disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garantie par les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en refusant de faire droit à la demande de titre de séjour de M.A..., en l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et en fixant son pays de retour.
4. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tirés notamment de l'irrégularité du jugement, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, le présent arrêt implique nécessairement que cette autorité délivre à M. A...un titre de séjour. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au préfet de police de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais de justice :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A...et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1712085/1-2 du 15 décembre 2017 et l'arrêté préfectoral du 23 juin 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer à M. A...une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Il est mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D...A..., au préfet de police et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 22 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Even, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme d'Argenlieu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juin 2018.
Le rapporteur,
L. d'ARGENLIEU
Le président,
B. EVEN
Le greffier,
S. GASPAR La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00229