Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 mai 2015 et 27 juin 2016,
M. A...demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1403489 du 19 mars 2015 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 novembre 2013 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de le réintégrer dans les cadres de la police nationale en qualité de gardien de la paix et dans ses anciennes fonctions, et de reconstituer sa carrière dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi ainsi que la somme de 44 985,57 euros correspondant à la perte de son traitement pendant vingt-et-un mois ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas été invité à discuter les motifs de son éviction et qu'il n'a pas reçu l'avis rendu par le conseil de discipline, réuni le 11 septembre 2013 ; le ministre de l'intérieur a ainsi méconnu le principe du contradictoire, énoncé notamment par l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;
- le ministre de l'intérieur n'a pu, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée attachée au jugement n° 1301071/5-1 du 16 octobre 2013 du Tribunal administratif de
Paris, fonder son arrêté sur la circonstance qu'il ne s'est pas présenté à son poste depuis le
15 février 2010 malgré plusieurs mises en demeure de reprendre son service ;
- il n'a pas repris son service le 15 février 2010 dès lors qu'en dépit du changement d'affectation préconisé par le médecin chef adjoint de la préfecture de police, la reprise du travail devait s'effectuer dans le même service où il faisait l'objet de harcèlement moral ;
- l'arrêté contesté ne pouvait être fondé sur sa demande de prise de congés annuels au titre de l'année 2009, qui ne constitue pas une faute ;
- les faits qui lui sont reprochés sont anciens et la sanction a été prise trois ans
après ces faits ; l'arrêté contesté n'est qu'une nouvelle illustration de l'acharnement de l'administration à son encontre ;
- au vu des circonstances très particulières de son dossier, en particulier de l'état de nécessité dans lequel il se trouvait, il n'a pas commis de faute en exerçant une activité privée ;
- l'arrêté contesté est dépourvu de base légale en ce qu'il est fondé sur la circonstance qu'il se serait " déjà manifesté défavorablement " ;
- il est entaché d'erreur d'appréciation ;
- il a adressé au ministre de l'intérieur une demande indemnitaire préalable en date du 3 mars 2015, qui a été implicitement rejetée ;
- il a subi un important préjudice moral, ayant été victime de harcèlement moral et ayant été sanctionné pour des faits qui ne sont, en réalité, que des prétextes pour l'évincer de la police.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le requérant se sont pas fondés ;
- les conclusions indemnitaires sont, à titre principal, irrecevables ;
- à titre subsidiaire, elles ne peuvent qu'être rejetées en l'absence de toute faute commise par l'administration ;
- enfin, les préjudices invoqués par le requérant découlent de la situation irrégulière dans laquelle il s'est lui-même placé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
-la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Larsonnier,
- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.
1. Considérant que M. A...a été titularisé au grade de gardien de la paix le
15 juin 2006 ; que, par un arrêté du 25 novembre 2013, le ministre de l'intérieur, conformément à l'avis rendu par le conseil de discipline le 11 septembre 2013, l'a exclu temporairement de ses fonctions pour une durée de vingt-quatre mois, dont trois mois avec sursis ; que, par un jugement en date du 19 mars 2015, le Tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions de M. A...tendant à l'annulation de cet arrêté et à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice résultant pour lui de cette décision et des agissements constitutifs de harcèlement moral qu'il estime avoir subis ; que
M. A...fait appel de ce jugement ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant, en premier lieu, que M. A... soutient à l'appui de sa requête que l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé et qu'il a été pris au terme d'une procédure irrégulière, dès lors qu'il n'a pas été invité à discuter les motifs de son éviction et qu'il n'a pas reçu l'avis rendu par le conseil de discipline à l'issue de sa séance du 11 septembre 2013 à laquelle il a été convoqué ; que, toutefois, le requérant n'apporte aucun élément de fait ou de droit de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le Tribunal administratif de Paris sur son argumentation de première instance, reprise en appel sans élément nouveau ; qu'il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par les premiers juges ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit " ; qu'aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans (...) " ; qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ;
4. Considérant qu'il ressort des termes de l'arrêté contesté que pour prononcer la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de vingt-quatre mois, dont trois mois avec sursis, à l'encontre de M.A..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur les motifs tirés, d'une part, de ce que l'intéressé, invoquant un congé maladie ordinaire, ne s'était pas présenté à son poste à compter du 15 février 2010 malgré plusieurs mises en demeure de reprendre son service et sans produire de certificat médical d'arrêt de travail, se plaçant ainsi en absence irrégulière, et avait demandé à tort à bénéficier du reliquat de ses congés annuels 2009 pour la période du 24 mars au 27 avril 2010 et, d'autre part, de ce que M. A...avait cumulé, en dehors des cas prévus par la loi, une activité privée lucrative avec l'exercice de ses fonctions de policier ; que le ministre en a déduit que M. A..." a contrevenu aux obligations statutaires et déontologiques qui s'imposent à tout fonctionnaire de police, notamment d'intégrité et de loyauté ", avant de mentionner que celui-ci " s'était déjà manifesté défavorablement " ;
5. Considérant que M. A...ne peut utilement invoquer l'autorité de la chose jugée par le Tribunal administratif de Paris qui a annulé, par un jugement du 16 octobre 2013, confirmé par un arrêt de la Cour du 29 octobre 2015, l'arrêté du 30 octobre 2012 le radiant des cadres pour abandon de poste à compter du 20 juillet 2011 alors que le présent litige porte sur la sanction d'exclusion temporaire de fonctions prise par l'arrêté du 25 novembre 2013 et n'a donc pas le même objet ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'à l'issue d'un congé pour maladie, M. A...s'est rendu à la visite médicale de reprise le 12 février 2010 à la suite de laquelle le médecin chef adjoint du service médical du secrétariat général pour l'administration de la police de Paris s'est prononcé en faveur d'une reprise du travail en spécifiant qu'un " changement de service était médicalement justifié " ; que le médecin de prévention, qui a examiné M. A...le 11 mars 2010, a également conclu à une reprise du travail, mais dans un autre service ; que M. A...n'a pas repris le travail et, malgré les mises en demeure de reprendre le service et la suspension de son traitement, est resté absent sans justification du 15 février 2010 au 27 octobre 2010 ; que, contrairement à ce que soutient
le requérant, il lui appartenait de justifier son absence ou de reprendre le service dès le
15 février 2010, même si l'administration n'avait pas encore procédé à son changement d'affectation ; que, dans ces conditions, l'absence injustifiée de M. A...de son service pendant huit mois revêt un caractère fautif ;
6. Considérant que M. A...a reconnu, notamment devant le conseil de discipline, avoir exercé en août et septembre 2010 une activité privée lucrative, consistant en la conduite de véhicule de transport de voyageurs appartenant à une société privée, qui lui a permis de percevoir la somme de 392 euros ; qu'il est constant que le 1er septembre 2010, alors qu'il était au volant de ce véhicule, il a fait l'objet d'un avis de contravention pour " défaut d'attestation préfectorale devant accompagner le permis B " ; que M.A..., qui s'est placé lui-même dans une situation d'absence injustifiée du service, restait soumis à l'interdiction de principe du cumul de ses fonctions de gardien de la paix avec une activité privée rémunérée ; qu'il n'a jamais sollicité l'autorisation de ses supérieurs hiérarchiques avant d'exercer l'activité professionnelle en cause, comme l'exigeaient cependant les dispositions de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 dans sa version alors applicable ; que, contrairement à ce qu'il soutient, il n'entrait pas dans le champ d'application du IV de l'article 25 de cette même loi qui ne concerne que les agents détenant un emploi à temps non complet ou exerçant un service à temps incomplet ; que les faits ainsi reprochés à M.A..., qui doivent être regardés comme établis, sont constitutifs d'une faute justifiant le prononcé d'une sanction ;
7. Considérant, en revanche, que la demande de M. A...tendant à obtenir le bénéfice du reliquat de ses congés annuels au titre de l'année 2009, alors qu'il était absent du service de façon non justifiée, ne présente pas en elle-même un caractère fautif ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les motifs tenant à l'absence injustifiée de M. A...entre le
15 février 2010 au 27 octobre 2010 et l'exercice non autorisé d'une activité privée lucrative pendant cette période ; que ce n'est que par un motif surabondant que le ministre de l'intérieur a relevé, dans l'arrêté contesté, que M. A...s'était " déjà manifesté défavorablement " dès lors que les faits susmentionnés étaient de nature, à eux seuls, à justifier l'engagement d'une procédure disciplinaire à son égard ;
8. Considérant qu'en matière de procédure disciplinaire, l'action de l'administration n'est enfermée dans aucun délai ; que, par suite, la circonstance que les faits reprochés à
M. A...remontent à l'année 2010 est sans incidence sur la légalité de la sanction litigieuse ;
9. Considérant, enfin, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de vingt-quatre mois, dont trois mois
avec sursis, soit disproportionnée au regard de la nature et de la gravité des faits reprochés
à M. A..., alors notamment que celui-ci avait déjà fait l'objet les 27 avril 2004 et
16 avril 2011 respectivement d'une sanction portant exclusion temporaire de fonctions de huit jours et d'un blâme ;
Sur les conclusions indemnitaires :
10. Considérant qu'il résulte des points qui précèdent que le ministre de l'intérieur n'a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'encontre de M. A... en lui infligeant une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de vingt-quatre mois, dont trois mois avec sursis ; que, par suite, M. A...n'est pas fondé à demander réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de cette sanction ;
11. Considérant que M. A...sollicite également la réparation du préjudice moral subi en raison du harcèlement moral dont il estime avoir été victime ; qu'en tout état de cause, il ressort des pièces du dossier de première instance qu'au 6 mars 2014, date à laquelle ont été enregistrées auprès du Tribunal administratif de Paris ces conclusions indemnitaires,
M. A...n'avait pas présenté de réclamation préalable à l'administration ; que, par un mémoire en défense enregistré le 30 juin 2014, le ministre de l'intérieur a opposé, à titre principal, une fin de non-recevoir aux conclusions de l'intéressé ; que celui-ci a alors fait parvenir à l'administration, le 3 mars 2015, une demande indemnitaire ; que, toutefois, aucune décision de l'administration rejetant cette demande n'était née à la date à laquelle le tribunal a statué ; que c'est à juste titre que les premiers juges ont rejeté ses conclusions indemnitaires comme irrecevables ; que, dans ces conditions, M. A...ne peut utilement se prévaloir devant la Cour d'une décision implicite de l'administration rejetant sa demande préalable ; que, par suite, les conclusions indemnitaires présentées par M. A...ne peuvent qu'être rejetées ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Considérant que la présente décision, en ce qu'elle rejette les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 25 novembre 2013 présentées par le requérant, n'implique pas de mesure d'exécution ; que, par suite, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de le réintégrer dans les cadres de la police nationale en qualité de gardien de la paix et dans ses anciennes fonctions et de reconstituer sa carrière ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A...demande au titre des frais qu'il a exposés ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Formery , président de chambre,
- Mme Coiffet, président assesseur,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 décembre 2016.
Le rapporteur,
V. LARSONNIERLe président,
S.-L. FORMERY Le greffier,
S. JUSTINE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°15PA02034